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13 novembre 2003

Les financements export

Publié par Emmanuel Lemoine | N° 16 - Les marchés financiers émergents

On entend généralement par «financement export » l'activité bancaire qui consiste à mettre en place des financements en faveur d'emprunteurs de pays émergents, souverains, publics, ou privés, dans le cadre de contrats d'exportation de biens d'équipement en provenance de pays de l'OCDE, et en général avec le soutien de mécanismes d'assurance crédit publics ou privés.

Les financements à l'export constituent un exemple de financement lié, par opposition aux financements déliés tels que les émissions obligataires ou la plupart des crédits syndiqués.

Le caractère lié résulte du fait que le crédit export est dédié au financement d'un contrat commercial bien identifié, conclu entre un vendeur (exportateur) et un acheteur (importateur).

De ce fait, l'argent prêté n'est pas mis à la disposition de l'emprunteur mais directement crédité par la banque au compte de l'exportateur sur présentation de documents contractuels (factures, situations de travaux, attestation de transport et de livraison ... ).

Ainsi le crédit export et son mécanisme de paiement à l'exportateur sur remise documentaire contribuent à renforcer la sécurité des paiements en faveur des exportateurs.

La conséquence directe pour la banque est qu'elle se trouve systématiquement face à deux clients : l'exportateur et l'emprunteur.

LE RÔLE DES ASSUREURS﷓CRÉDITS PUBLICS

L’assureur public intervient pour le compte du gouvernement du pays exportateur et apporte une assurance
ou une garantie(5) contre le risque de crédit aux banques commerciales chargées de mettre en place le financement export. En France, ce rôle est assuré par la Coface (Compagnie Française d'Assurance du Commerce Extérieur(6)).

L'assurance ou la garantie apportée aux banques commerciales par les assureurs publics permet à ces banques d'accorder des crédits à des pays émergents sur des durées très longues, de 10 à 20 ans, pour le financement d'investissements importants.

En contrepartie du risque de contrepartie pris par l'assureur﷓crédit, celuici perçoit une prime payée :

- le plus souvent par l'acheteur (emprunteur),

- et parfois par l'exportateur, qui doit alors la répercuter dans son prix de vente.

En France, le dossier est instruit par la Coface, et les décisions sont prises en « Commission des Garanties », une commission interministérielle présidée par le Directeur de la Direction des Relations Économiques Extérieures, et composée de représentants de la Coface, de la Direction du Trésor, du Ministère du Budget, du Ministère de l'industrie, et du Ministère des Affaires Étrangères.

LE CONSENSUS OCDE

Les accords OCDE(7), connus sous le nom d'accords du Consensus, ont pour objectif « d'encourager une concurrence entre exportateurs des pays de l'OCDE qui soit fondée sur la qualité et le prix des biens et services exportés plutôt que sur le soutien public ».

Ces accords limitent le niveau de soutien public et notamment :

﷓ l'assiette de financement pouvant faire l'objet d'une assurance ou d'une garantie par un assureur crédit public (85 % du montant des biens et services exportés),

﷓ la durée maximum de remboursement du crédit couverte par l'assureur crédit public (de 3 à 10 ans à compter de la livraison du bien d'équipement, durée maximale fixée selon le niveau de richesse du pays emprunteur mesuré en PNB/habitant),

﷓ le niveau minimum du taux d'intérêt fixe du crédit (si celui-ci fait l'objet d'un soutien public).

Bien que ne relevant que d'un simple « Gentleman's Agreement », ces accords du Consensus sont assez bien respectés par les pays exportateurs.

Ils ne s'appliquent néanmoins ni au secteur agricole ni aux équipements militaires. Quant aux avions gros porteurs, aux bateaux, et aux centrales électriques nucléaires, ils font l'objet d'accord sectoriels particuliers dans le Consensus OCDE.

Les différentes parties ayant par nature des intérêts, des contraintes, des cultures et des méthodes d'analyse différentes, toute la difficulté de la négociation consiste à aboutir à un schéma de financement contribuant à la satisfaction de chacune des entités participant à la transaction.

DES ENJEUX MAJEURS

Enjeux industriels et économiques

On peut en trouver de multiples exemples : ainsi, la vente sur le marché national n'assurant pas toujours des économies d'échelle suffisante, le développement de nouveaux prototypes est parfois conditionné au passage préalable de commandes à l'exportation. Dans une telle configuration, la réussite à l'exportation est une condition nécessaire au renouvellement de la gamme, à l'innovation, et donc à la survie même de l'entreprise.

Enjeux technologiques de développement

La livraison de matériels s'accompagne de transferts de technologies, et parfois même de transferts de licence.

En exportant, le producteur se crée de nouveaux concurrents. Plus qu'un industriel, l'exportateur devient «vendeur de technologie ». Pour survivre, il doit vendre une technologie suffisamment performante pour être commercialement attrayante mais aussi suffisamment ancienne pour garder une longueur d'avance et ne pas se créer des concurrents trop dangereux.

A l'inverse, les pays qui sont aujourd'hui obligés d'acheter des biens d'équipement entendent pouvoir:

﷓ développer leur capacité et leur indépendance technologiques,

﷓ bénéficier des retombées économiques en terme de création de valeur ajoutée et d'emploi.

D'où des exigences des acheteurs dans les appels d'offre internationaux de plus en plus fréquemment exprimées en terme :

﷓ de contenu local : portion minimale du contrat que l'exportateur doit faire réaliser localement par des entreprises du pays acheteur, ce qui implique à la fois transfert de technologie et support à l'emploi local,

Ainsi, pour tous les métros vendus à la Chine, le contenu local doit représenter au moins 50 % du montant total de l'offre commerciale de l'exportateur

﷓ d'offset (contrepartie industrielle) obligation faite à l'exportateur d'investir ou de trouver des investisseurs au profit du pays acheteur.

Dans certains contrats, le ratio minimum « montant d'offset / montant d'exportation » doit être supérieur à 1, notamment dans les grands appels d'offre internationaux lancés par des entités souveraines.

Cette logique qui pousse les pays acheteurs à maximiser le contenu local et les offsets est compréhensible : il s'agit de multiplier les bénéfices économiques liés à l'investissement, et parfois même de justifier l'investissement lui-même (face aux éventuelles contestations de l'opposition et/ou



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Figure n°1 : Padang, sur l'île de Sumatra, en indonésie.


auprès de la population dans le pays considéré).

Reste que la rationalité économique globale de ce système peut parfois être contestée :

﷓ les exportateurs sont poussés à racheter des entreprises locales, et ce, sans même être certains d'emporter l'appel d'offre,

﷓ la réalisation locale pose parfois d'énormes problèmes :

a) le re﷓développement dans le pays acheteur de sites de production et/ou de systèmes technologiques déjà existants dans le pays exportateur peut conduire à des augmentations de prix ﷓ en tout état de cause, il ne permet pas de profiter au mieux des économies d'échelle liées à une production en série,

b) il faut trouver sur place des entreprises compétentes, capables de réaliser les prestations avec la qualité et dans les délais prévus, sans dépassement de prix,

﷓ lorsque l'exportateur s'est vu imposer la réalisation locale d'une partie du contrat commercial sous sa propre responsabilité, il se trouve exposé au risque de non performance de ses sous﷓traitants locaux,

﷓ les offsets correspondent parfois à des investissements qui auraient été réalisés de toute façon : il n'y a donc pas de bénéfice réel pour le pays acheteur, l'exercice consistant simplement pour l'exportateur à faire apposer « son label » sur des investissements en cours,

﷓ tout au contraire, les offsets sont parfois des compensations industrielles non viables sur le long terme : elles ne sont réalisées que grâce à des subventions accordées par le pays acheteur et/ou par l'exportateur dans le cadre du contrat d'exportation et elles disparaissent juste après la disparition de ces mêmes subventions : leur bénéfice réel pour le pays acheteur est alors très limité,

﷓ dans les appels d'offre, l'évaluation du montant des offsets proposés par les différents exportateurs constitue à lui seul un véritable casse﷓tête.

Enjeux diplomatiques

La réalisation d'importants contrats de vente de biens d'équipement prend souvent une dimension diplomatique :

﷓ pendant les appels d'offre, les autorités politiques des pays exportateurs pèsent de tout leur poids pour tenter de faire pencher la balance en faveur de leur exportateur. Les ambassades et les postes d'expansion économique(9) sont mis à contribution,

﷓ ces contrats sont d'ailleurs parfois signés lors de visites présidentielles ou ministérielles,

﷓ inversement, des exportateurs peuvent être exclus officiellement ou éliminés officieusement en raison de problèmes d'ordre diplomatique entre le pays acheteur et le pays exportateur.

Sur certains contrats, la dimension diplomatique semble d'ailleurs parfois prendre le pas sur l'efficacité industrielle et la rationalité économique :

﷓ les commandes réalisées constituent « un partage du gâteau » entre différents pays exportateurs que l'on souhaite remercier aux dépens de pays exportateurs que l'on souhaite éventuellement sanctionner,

- au point, si nécessaire, de répartir les commandes d'un même type d'équipement entre plusieurs fournisseurs de pays exportateurs différents, avec tous les problèmes techniques que cela induit (formation, entretien, service après﷓vente, pièces de rechange ... ).

L’APPROCHE COMMERCIALE DES BANQUES EN FINANCEMENT EXPORT

Comme nous l'avons vu plus haut, et par nature, la mise en place d'un crédit export implique pour la banque de traiter avec deux clients, l'exportateur, et l'acheteur / emprunteur.

Les exportateurs sont en général de grands groupes internationaux qui remportent de nombreux contrats à l'exportation (et qui sont donc des clients récurrents du financement export). Ils sont par ailleurs des clients bancaires importants dans de nombreux autres domaines (immobilier, taux, change, fusions, acquisitions ... ) et représentent par là même un fort
« intérêt clientèle ».

L’acheteur / emprunteur : c'est l'entité avec laquelle la banque va se lier contractuellement en signant une convention de crédit. Il peut s'agir d'entités souveraines ou de grands groupes internationaux (Gazprom, Pemex... ) représentant aussi un important « intérêt clientèle ».

Pour prospecter efficacement, se positionner en amont sur les futures opérations, mener efficacement les négociations et conclure effectivement les transactions, la banque doit donc développer un savoir-faire particulier pour gérer la négociation simultanée avec deux clients aux intérêts par nature divergents, et actualiser en permanence sa connaissance des deux clients : l'exportateur et l'acheteur / emprunteur.

L’EXPORTATEUR

La banque se doit notamment de connaître l'économie du secteur d'activité de l'exportateur, sa stratégie d'exportation et ses projets prioritaires. La banque doit aussi savoir se repérer dans l'organigramme de l'exportateur, savoir apprécier les niveaux de décisions des différents interlocuteurs, et même prendre en considération sa culture d'entreprise.

L’EMPRUNTEUR

En ce qui concerne l'emprunteur, la banque axera le développement de ses connaissances sur l'évaluation de la situation économique et politique du pays (pour l'évaluation du risque pays notamment), l'identification des prospects susceptibles de représenter un potentiel d'investissement, la connaissance des décideurs et des processus d'approbation, la maîtrise de la réglementation, de la loi, des autorisations à obtenir et des limitations éventuelles (contrôle des changes ... ). Comprendre la culture, l'histoire et les usages locaux est évidemment indispensable à la bonne réalisation du projet.

Selon leur stratégie bancaire propre, et surtout selon les paramètres particuliers de chaque opération de financement export, les banques pourront être amenées à favoriser l'approche exportateur ou l'approche emprunteur.

UN INVESTISSEMENT A LONG TERME

La réalisation d'une transaction de financement export nécessite des mois et le plus souvent des années de travail tant pour l'exportateur que pour la banque. L’exécution du contrat industriel pouvant prendre 5 à 7 ans, voire 10 ans, et la durée de remboursement pouvant atteindre 10 ans ou plus, il peut s'écouler plus de 20 ans entre la première réunion de travail en amont et le dernier remboursement du crédit !

Pour les banques, les financements export constituent donc une activité d'investissement sur le long terme, tant au niveau technique qu'au niveau commercial avec les exportateurs et les emprunteurs.

LA MAÎTRISE DES PROCÉDURES DE FINANCEMENT EXPORT

Compte tenu de l'accroissement de la concurrence internationale, les contrats d'exportation en provenance d'un seul et même pays se font de plus



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Figure n°2 : Construction de lave-linges dans une usine Haier (Chine).


en plus rares.

Les grandes multinationales exportatrices ont des usines dans de nombreux pays de par le monde. En fonction des caractéristiques de l'appel d'offre, du plan de charge de chaque site de production, et aussi en fonction des conditions de soutien de l'assureur﷓crédit public dans le pays où le site de production est installé, la multinationale va optimiser le « sourcing industriel » de son offre commerciale.

Le métier même des ingénieristes consiste à proposer un package industriel, commercial, et financier optimal, en choisissant au mieux au niveau international les sous﷓traitants susceptibles de proposer le meilleur équipement au meilleur prix et avec le meilleur financement.

Les acheteurs, toujours plus exigeants, ont tendance à faire eux-mêmes leur shopping, dans une optique de rapport qualité/prix, de maîtrise technologique, ou de gestion de leurs relations diplomatiques... Ils peuvent donc imposer sur un même projet des exportateurs de nationalités différentes avec des statuts de co﷓traitants ou de sous﷓traitants.

Dans ce cadre, un important challenge technique pour les banques réside dans leur capacité (ou leur incapacité) à assurer la coordination financière de l'ensemble des projets industriels quel que soit leur sourcing industriel.

Malgré l'harmonisation en cours au sein de l'OCDE, et compte tenu des spécificités propres à chaque procédure nationale de soutien aux exportations, seules 2 ou 3 banques au monde ont aujourd'hui une réelle capacité en financement export « multisource».

LA NÉCESSITÉ DES ASSUREURS CRÉDITS PUBLICS ?

Le soutien public se justifie :

﷓ du point de vue des emprunteurs, par la difficulté voire l'impossibilité de se refinancer sur les marchés de capitaux internationau(12), du moins sur des maturités compatibles avec les durées de réalisation et de rentabilisation d'investissements industriels lourds,

﷓ du point de vue financier, par la nécessité de mutualiser les risques et par la capacité supérieure des entités souveraines à récupérer les créances impayées,

﷓ du point de vue des exportateurs, par la concurrence internationale et le caractère vital des exportations pour le développement des groupes industriels,

﷓ et du point de vue des pays exportateurs, par le besoin de sauvegarder, et si possible de développer, l'emploi dans les pays.

Ce soutien public est périodiquement remis en cause :

﷓ en raison de son coût pour les contribuables (ainsi, le système français de soutien aux exportations fut longtemps déficitaire),

﷓ en raison du caractère florissant du solde de la balance du commerce extérieur, comme c'est le cas en France actuellement,

﷓ et en raison des biais qu'il peut induire dans les mécanismes concurrentiels, ce qui explique par exemple le processus d'encadrement du soutien public et d'harmonisation prôné par l'OCDE.

Reste à éviter plusieurs écueils dans la réflexion, et notamment :

﷓ ne pas accepter les idées reçues qui consistent à croire que le mécanisme de soutien aux exportations est nécessairement déficitaire : la France prouve le contraire depuis de nombreuses années consécutives ;

﷓ ne pas se tromper de diagnostic : un solde favorable de la balance du commerce extérieur est﷓il à lui seul la preuve d'une bonne situation économique ? ;

﷓ ne pas se tromper d'objectif : le but d'une politique du commerce extérieur est﷓il de maximiser le solde de la balance des paiements ? ou, on l'oublie souvent, de favoriser une spécialisation optimale des différents secteurs de l'économie ?,

﷓ et, dans un monde largement soumis aux rapports de force, ne pas faire preuve d'un excès de naïveté : les pays qui prétendent lutter contre les subventions publiques ne sont﷓ils pas aussi ceux qui mettent en place les systèmes de subvention les plus puissants et les plus discrets ?

LA NÉCESSITÉ DES INSTITUTIONS PUBLIQUES RÉALISANT LA STABILISATION DU TAUX D'INTÉRÊT ?

Les emprunteurs des pays émergents qui s'endettent sur de longues maturités sont réticents à prendre des risques de taux d'intérêt en monnaie étrangère à long ou très long terme.

Pour des emprunteurs publics ou souverains, qui font face à des contraintes budgétaires et/ou réglementaires, la nécessité d'un taux d'intérêt fixe à l'endettement est encore plus forte.

Or, face aux aléas industriels, et notamment aux risques de retard dans le processus de construction et/ou de livraison(13), les produits de marché n'offrent pas toujours des solutions satisfaisantes et compétitives.

Dans ce cadre, l'intervention d'un organisme public pour la « stabilisation » du taux d'intérêt peut permettre d'offrir des taux d'intérêt fixes aux emprunteurs(14).

Grâce à la mutualisation des risques, l'organisme public peut ainsi soutenir efficacement les exportations de son pays sans pénaliser pour autant les contribuables.

Emmanuel Lemoine, ENSAE 94

(4). L’assurance est conditionnelle (l'assuré a la charge de la preuve) et l'assuré ne sera indemnisé qu'après constitution et approbation du dossier de sinistre par l'assureur.

(5). La garantie est inconditionnelle et appelable à première demande.

(6). Les assureurs﷓crédits proposent de nombreux autres produits. Ainsi les produits offerts par la Coface aux entreprises françaises exportatrices vont de l'assurance prospection aux garanties d'investissement, en passant par la garantie du risque de fabrication.

(7). Arrangement relatif à des lignes directrices pour les crédits à l'exportation bénéficiant d'un soutien public (dernière publication 1998).

(8). Entreprises locales qui peuvent se trouver en mauvais état financier et/ou industriel.

(9). Ou les services équivalents lorsqu'il s'agit d'autres pays que la France.

(12). Cette difficulté à se refinancer lut particulièrement sensible dans la quasi-totalité des pays émergents suite aux crises russe et asiatique.

(13). Les retards dans le processus de construction et/ou de livraison ne sont pas toujours imputables à l'exportateur, bien au contraire. Des problèmes locaux d'ordre administratif, des délais imprévus dans la réalisation de la partie réservée aux sous﷓traitans locaux, ou tout simplement de mauvaises conditions climatiques peuvent générer ces retards.

(14). En France, le mécanisme de la stabilisation des financements export est assuré par Natexis Activités Institutionnelles.

Autrice

Emmanuel Lemoine

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