Du public à audience commercialisable
Le téléspectateur: une drôle de marchandise.
Quelle horreur : il paraîtrait que le téléspectateur est une marchandise !
De là à penser que les chaînes de télévision traitent l'homo sapiens avec mépris et cynisme, cherchant à le séduire par tous les moyens, il n'y a qu'un pas que les détracteurs de la publicité à la TV franchissent fréquemment. Ce public, composé de personnages qui s'autorisent -souvent a juste titre- à se considérer comme «bien-pensant» imagine que l'homo sapiens a osé détourner la télévision, media auquel tout le monde reconnaît un impact, voire un pouvoir quasiment mythique, sur es peuples en matière d'information, de culture et aussi de divertissement, de ses nobles vertus intellectuelles, pour en faire un vulgaire robinet à images avec des ambitions bassement mercantiles, au sens le plus péjoratif du terme c'est-à-dire un attrape_nigauds ? Pourtant il leur faut bien reconnaître que les téléspectateurs quels qu'ils soient et quelle que soit l'émission considérée, regardent toujours de leur plein gré aucune chaîne n'ayant clairement la capacité de les y obliger. N'entrons pas ici dans le débat qui oppose souvent culture et divertissement (comme si les deux étaient du reste incompatibles !) puisqu'il semble stérile.
La nature (humaine) des téléspectateurs témoigne d'une plus forte propension à regarder des programmes dits de divertissement que des programmes dits culturels : il s'agit d'un constat, un point c'est tout. Certains estiment donc qu'un bon programme doit avoir la capacité de captiver les téléspectateurs, même s'il est regardé par peu de gens, et d'autres qu'un programme doit être capable de rassembler une audience importante, même s'il n'est pas culturel.
Adoptons plutôt un point de vue économique : et si tout simplement la publicité ne faisait que tirer parti de la magie toute puissante de ce média auprès des foules afin de créer un cercle vertueux dans notre tissu économique ?
Eh bien oui, il faut l'avouer, ce sont bien des quantités de téléspectateurs que les chaînes de TV commercialisent auprès des entreprises de tous poils qui désirent diffuser des messages publicitaires.
Le raisonnement est simple : une entreprise, que l'on appellera par la suite annonceur pour coller au jargon publicitaire, désire développer ses ventes ; cet annonceur possède des estimations du rendement de la publicité à la TV, c'est-à-dire combien d'individus téléspectateurs il est nécessaire d'exposer au message publicitaire afin de les transformer en individus consommateurs ; ce sont donc bien des quantités de téléspectateurs que l'annonceur «achète» aux chaînes de TV.
En bref, l'annonceur, une fois son budget de communication déterminéa pour objectif de minimiser le rapport prix payé / quantité d'audience exposée (Coût/GRP pour les initiés).
Aussi simple que cela paraisse, ce fonctionnement pose deux gros problèmes.
Une certaine dose d"inertie
Le premier problème est posé par les horizons de décision des différents acteurs. Traditionnellement, les chaînes publient leurs tarifs quatre fois par an : en novembre de l'année n-1 pour la période janvier-avril de l'année n, en février de l'année n pour la période mai-juin de Ici même année, en mai Pour juilletaout, et en juin pour septembre-décembre.
Les conséquences sont importantes.
Les chaînes sont obligées de publier leurs tarifs sans connaître de manière précise, concurrence oblige, les programmes qui seront à l'antenne sur la période concernée, pas plus que ceux d'ailleurs de leurs concurrents.
Les annonceurs quant à eux sont obligés d'effectuer leurs réservations e ace publicitaire sur les différentes chaînes, 4 fois par an, environ 3 semaines après la publication des tarifs ; lorsqu'ils se positionnent sur tel ou tel écran publicitaire ils ne savent donc pas, puisque les chaînes n'ont encore rien publié, le programme qui sera associé à cet écran !
Pire lorsqu 'ils investissent sur la période janver-avril, ils ne connaissent pas la politique tarifaire qui sera pratiquée par les chaînes en mai-juin; comment dans ces conditions répartir un budget annuel de manière optimale ? Angoissant, non ?
La puissance toute puissante
Le second problème provient du mode de tarification de la marchandise elle-même.
Les annonceurs semblent en effet se comporter bizarrement.
Plus ils en achètent et plus ils sont prêts à payer cher l'unité achetée : un peu comme si en achetant 10 kilos de pommes de terre, vous payiez le prix du kilo plus cher que si vous en achetiez deux kilos !
Ainsi il est communément admis le prix d'un écran qui réalise 10 points d'audience soit plus élevé que le prix total à payer pour 10 écrans réalisant chacun 1 point d'audience.
Comment en est-on arrivé là ?
Tout simplement parce qu'historiquement la télévision a toujours été considérée comme un média de masse et utilisée comme telle par les annonceurs des secteurs de la grande consommation. Ceux-ci cherchent à toucher le plus grand nombre d'individus à la fois pour maximiser l'impact de leurs campagnes publicitaires.
Dans le monde de l'achat
En effet, on a longtemps accordé aux écrans puissants toutes les vertus possibles dans le domaine du médiaplanning et même dans celui de l'efficacité au niveau global.
Aujourd'hui, toutefois, on voit bien que la puissance est loin d'être le seul gage d'efficacité d'une campagne. Si bien que la seule certitude qu'on puisse raisonnablement avoir à son sujet, c est son coût toujours fort élevé, pour les écrans réputés les plus puissants. En terme de recherche de rentabilité et d'optimisation du franc investi, vous avouerez qu'il y a peut-être désormais mieux à faire que de s'en remettre aveuglément aux écrans les plus puissants.
La loi bafouée
En bref et vous l'avez compris, c'est à partir du paramètre crucial constitué par l'audience que s'élabore le jeu des anticipations et c'est bien ce paramètre la que se doivent d'estimer les acteurs du marché de la publicité TV où la marchandise est le téléspectateur : fixation du niveau des prix par les chaînes «vendeuses» pu s prise de position par les annonceurs «acheteurs» sur les gisements d'audience anticipée maximale à prix fixé.
Autant dire que dans ces conditions la loi de l'offre et de la demandé souffre sur ce marché d'une crise existentielle grave : la seule manifestation de cette règle est la baisse des prix pratiquée lors des périodes historiquement creuses (janvier-février et juillet-août).
Ainsi, jamais en période de forte demande, voire de saturation des espaces publicitaires, on n'a pu assister a une hausse des prix. En effet, on l'a vu, ceux-ci sont d abord et avant tout contraints par les niveaux d'audience. Pourtant, ce sont les rythmes liés à la saisonnalité des marché auxquels appartiennent les annonceurs ainsi que le degré de concurrence sur ces marchés qui définissent les besoins en publicité et construisent le niveau de la demande d'espace publicitaire.
Le niveau de la demande reste donc sans effet sur les prix.
Par exemple, le secteur des boissons rafraîchissantes, pourtant obligé de communiquer durant l'été, profite en toute impunité de prix bas parceque cette période est délaissée par la majeure partie des annonceurs !
2 voies pour en sortir
La première serait la mise en place d’un marché à terme grâce auquel les réservations d'espace des annonceurs pourraient se faire sur l'année entière et les prix connaîtraient enfin des fluctuations en fonction de l'offre et de la demande non seulement sur le long terme (Vannée) mais également sur court terme où les prix concernant l'espace laissé libre après les réservations de long terme varieraient suivant le niveau de la demande de court terme.
La seconde consisterait à faire évoluer les méthodes trop quantitativistes du média-planning traditionnel qui conduit a acheter des audiences au kilo exprimées simplement en termes socio-démographiques et donc à spéculer sur les audiences et non sur les prix. En exprimant les audiences non plus en fermes socio-démographiques mais en les qualifiant race à des critères mettant en évidence les différences de comportement d'achat ou de comportement social.
Par exemple, le lancement d'un produit aussi novateur que les huiles alimentaires mixtes ne peut se satisfaire de critères sociodémographiqyes trop réducteurs. C'est là qu'interviennent les données comme les styles de vie du CCA (Centre de Communication Avancée) qui peuvent être maintenant extraites depuis début 1997 du fameux panel de téléspectateurs Médiamétrie, ou encore des données issues des panels de consommateurs Nielsen maintenant mariées avec les données Médiamétrie.
Pour schématiser, on peut ainsi maintenant viser les segments de population «novateurs» ou «traditionnels», aussi bien que les gros consommateurs de café arabica.
Ce média-planning enrichi permet une meilleure adéquation entre ciblage marketing et cible utilisée dans la construction des plans TV des annonceurs. D'où une meilleure pression publicitaire sur un cœur de Ciblé, une efficacité accrue et donc une meilleure rentabilité des investissements des annonceurs.
Par voie de conséquence, les tarifs seraient établis sur les audiences utiles répondant mieux aux besoins des annonceurs et pourraient donc là aussi mieux refléter la loi de l'offre et de la demande. On pourrait alors entrer dans une voie de multitarification où un écran publicitaire n'aurait plus un seul prix mais plusieurs.
Par analogie, on admettrait aussi peut-être mieux au passage que les individus téléspectateurs effectuent librement des choix en matière de programmes TV, tout comme on admet depuis longtemps que certains individus consommateurs préfèrent utiliser de la lessive en poudre plutôt que de la lessive liquide.
Le seul tort reconnu de la TV étant alors d'offrir (au juste prix !) des consommateurs potentiels aux annonceurs pour leur permettre de développer leurs ventes et de générer le cas échéant des profits, ce qui, pourrait, parait-il aider à la croissance économique...
Patrick Ballorin (88)
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