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20 septembre 2003

Ne tirez pas sur le chef d'orchestre

Le promoteur est un chef d'orchestre qui prend l'initiative de trouver la partition (en l'occurrence, le terrain), de la négocier et de la faire jouer par des musiciens qui ne sont jamais les mêmes. Souvent, il n'a même pas la liberté de choisir architecte, bureau d'études, entreprises, notaire, financier, avocat, etc.

Les réglementations sont de plus en plus contraignantes: économies d'énergie, insonorisation, sécurité, stationnement automobile, accès des handicapés... Si vous avez la malchance de découvrir, à moins de cinq cent mètres de votre terrain, une soue à porcs du XVIIIème siècle, les Monuments Historiques s'en mêleront. Si vous construisez près de Taverny, vous devrez ménager le « câble souterrain secret » qui figure sur les cartes près du PC atomique. Ces contraintes renchérissent le prix de l'immobilier, comme la limitation de la surface constructible. La réglementation est le cauchemar du promoteur, mais aussi sa raison d'être.

Le métier s'acquiert par l'expérience. Cela demande des années, dont quelques unes pendant ces crises qui ont débuté en 1963,1970,1974,1980 ou 1991. La prudence, en effet, est une vertu cardinale du promoteur. Il étudie cent terrains pour en sélectionner dix. Parmiceux-là neuf produiront un résultat net décevant ou nul. Il faut alors être très malin, ou très Chanceux, car la dixième affaire doit apporter le « gros lot» plutôt qu'une catastrophe

Tout le monde, en effet, peut se brûler les doigts. Dans une opération située près d'Orléans nous avions fait effectuer dix sondages dans un terrain d’apparence banale. Ce n'est qu'au début du chantier que nous avons trouvé des souterrains qui ont exigé des fondations spéciales et des remblais, d'où des coûts et des délais imprévus. Nous nous sommes consolés en pensant aux coûts et aux délais qu'auraient entraînés des vestiges archéologiques!

Jusqu'aux années soixante-dix, et malgré les crises, il y a eu une majorité de bonnes affaires facilitées par la pénurie, une fiscalité avantageuse, des aides de l'État et l'inflation (les acheteurs profitaient de taux d'intérêt réels négatifs, et le savaient!) La profession est alors devenue la cible des satiristes: le promoteur était toujours riche et cynique, détruisant l'environnement et corrompant les élus du peuple. C'est au début du septennat de Georges Pompidou (en 1969) que fut votée une loi interdisant à un parlementaire l'activité de promoteur. Il existe aujourd'hui des centaines de promoteurs en France. Il n'y a aucune condition réglementaire pour s'intituler promoteur, sauf pour le volet commercial: un agent immobilier doit être titulaire d'une carte professionnelle délivrée par la préfecture. Aucun promoteur ne détient de part significative du marché national.

TROUVER LE TERRAIN

Quelques uns sont offerts par leur propriétaire ou un intermédiaire, d'autres par la municipalité, d'autres par de futurs intervenants comme les architectes et les entreprises. Dans ce dernier cas, ils exigent de participer au projet avec des rémunérations avantageuses. On a vu des architectes exiger des sept et des huit pour cent du montant des travaux, quand six pour cent est la norme.

Le prix d'achat tolérable pour le terrain se détermine en marche arrière, en partant du prix que l'on pense tirer des locaux finis, lequel dépend de la consistance du projet. Un huitième étage se vend plus cher qu'un premier. Un immeuble de vingt mètres d'épaisseur comporte des parties sombres difficiles à exploiter. Du total des recettes escomptées, on retranche les coûts de construction, les honoraires, les frais financiers, la marge du commercialisateur, etc. Ces frais, bien sûr, dépendent de paramètres techniques plus ou moins maîtrisés (voir ci-dessus, pour les fondations), de la durée du chantier et de celle de la commercialisation.

Le promoteur réserve au tour de table, qui assume le risque, une marge de l'ordre de dix pour cent, ce qui est équivalent



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Figure n°1 : La forme du terrain détermine celle de l'immeuble.


ou inférieur aux incertitudes sur les coûts. Il offre ce qui reste au propriétaire du terrain, lequel est souvent fort déçu et bat la campagne pour trouver de meilleures offres. Il trouve parfois mieux, soit que l'acheteur se soit trompé dans ses comptes, soit qu'il intègre dans ses prix de vente projetés une hausse sensible. Elle ne vient pas toujours, comme on l'a bien vu en 1990. Si l'optimiste réalise que le vent de la hausse va tourner, il retarde l'achat du terrain, fait jouer les clauses suspensives ou se résigne à abandonner le dédit prévu dans le compromis de vente.11 est bien rare que l'on trouve en ville un terrain exploitable d'un seul tenant. Souvent, il faut rassembler plusieurs parcelles contiguës. Chaque propriétaire se croit la clé de l'ensemble de l'opération et cherche à se tailler la part du lion dans la marge brute totale, en faisant traîner son consentement. Il n'est pas rare qu'on doive alors renoncer. Car, ensuite, il y aura des occupants à évincer, qui auront une tactique analogue...

Le propriétaire de terrain qui a reçu une offre exagérément optimiste ne renonce pas volontiers à son aubaine. L'affaire se conclut quand le prix du marché a rejoint cette offre, donc après une période de forte hausse. Et voilà pourquoi on se retrouve à ouvrir des chantiers à la veille d'une baisse! Comment, dans ces conditions, reprocher au promoteur de rechercher un maximum de surface vendable?

CONSTRUIRE

Le coût de construction d'un mètre carré habitable varie finalement peu avec le standing de l'immeuble: disons, dans le rapport de un à deux, entre le « social » et le luxe. Le prix de vente, lui, varie facilement dans le rapport de un à sept. Le reste est principalement dans le prix du terrain, qui représente de dix à quarante pour cent du prix «client». Disons que dans le Quinzième arrondissement de Paris le terrain représente le quart du prix de vente.

Le promoteur, qui est le « maître de l'ouvrage», fait appel à un «maître d’œuvre», ordinairement un architecte, pour dessiner les plans, rédiger les cahiers des charges, consulter les entreprises, négocier les prix et enfin surveiller la construction. Là encore, on peut avoir des surprises: une entreprise qui a soumissionné pour un prix très bas soustraite à une autre, en difficulté, en lui imposant des conditions draconiennes. Cette dernière utilise du personnel occasionnel et achète ses fournitures à des fabricants, eux-mêmes aux abois. Qu'un de ces intervenants en cascade disparaisse et voici le chantier en panne. Le banquier du failli s’était bien gardé de signaler la faiblesse de son client. Les autres entreprises désertent le chantier, les matériaux pourrissent ou sont volés, les acheteurs sur plans trépignent... Le promoteur se fait houspiller par tout le monde.

On a vu une entreprise de premier plan abandonner la démolition d'un abri bétonné en pleine ville, sachant qu'elle perdrait en justice, plutôt que de persévérer dans un chantier déficitaire. Dans ce métier, il faut de bons avocats.

FINANCER

Pendant les Trente Glorieuses, le promoteur était souvent un prestataire de services pour le compte d'un groupe de capitalistes (le «tour de table») qu'il réunissait pour assumer le risque de l'opération. Chaque projet donnait lieu à la création d'une société civile immobilière (SCI) dont les fonds propres ne représentaient parfois que cinq pour cent du chiffre d'affaire du projet. Les acheteurs sur plan payaient à l'avancement des travaux, donc le recours au crédit était minimum... si la commercialisation était rapide. Avec si peu de capitaux propres, l'effet de levier pouvait être considérable. Un programme vite vendu était ce « gros lot» qui attire toujours des joueurs, même quand l'espérance mathématique est largement négative. En cas d'insuccès, les dégâts étaient évidemment dans le même rapport. Les capitalistes découvraient alors qu'une SCI n'est pas une SA: on ne peut ni s'en retirer,



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Figure n°2 : Une petit promoteur "bouche les dents creuse"


ni limiter sa perte au capital souscrit.

Un minimum de vingt pour cent de fonds propres a rapidement été imposé. Les banques demandent maintenant que le tiers, voire la moitié des lots du programme fassent l'objet de réservations écrites avant d'ouvrir le crédit et de donner la garantie légale d'achèvement, donc avant de lancer le chantier. Quand les français se font un sport d'acheter au plus bas prix, et seulement après avoir examiné le contenu du paquet, promouvoir un immeuble sous ces contraintes est bien difficile.

Maintenant, le tour de table est le plus souvent un établissement financier (derrière l'écran d'une filiale), une grande entreprise, un organisme social ou une municipalité. Le promoteur n'est plus que le gérant de l'opération, rémunéré par des honoraires allant de trois à sept pour cent du chiffre d'affaire. Il assure l'après-vente et le suivi juridique, qui durent le plus souvent jusqu'à la fin de la garantie décennale.

COMMERCIALISER

Le promoteur établit une «grille de prix» tenant compte des caractéristiques de chaque lot. il la révise en cours de commercialisation, selon la vitesse de vente des divers types de lots et la tendance du marché. Talonné par les frais financiers, quand le chantier est commencé, il cherche à « boucler » sa commercialisation le plus vite possible. Il sait aussi qu'un appartement invendu, dans un immeuble déjà habité, lui coûtera des charges de copropriété en plus. L'acheteur d'une « queue de programme » a tôt fait de comprendre la situation et de fixer son prix en conséquence.

Le métier de vendeur «en état futur d'achèvement » demande de la patience, de la psychologie et des connaissances techniques solides. Une gaffe et l'acheteur se sauve en claquant la porte. L’expérience des vendeurs sert aux promoteurs, dès la conception des programmes: nature des revêtements des sols et des murs, surface des différents types de lots, proportion dans l'ensemble de l'immeuble, etc. Paradoxalement, ce sont les logements les moins chers qu'on équipe le plus complètement. Les acheteurs de logements de luxe préfèrent confier les finitions à leur propre décorateur.

Le commercialisateur, s'il est extérieur au promoteur, touche de trois à cinq pour cent du prix de vente. Le promoteur prend à sa charge la publicité, le bureau de vente et la décoration de l'appartement témoin.

Un bon vendeur ne fait pas signer un compromis de vente à n'importe qui. On a vu des candidats acheteurs accompagner un engagement d'achat d'un chèque sans provision, ou de billets de banque contenus dans une boîte à chaussures! Ce dépôt est légalement limité à cinq pour cent du prix, ce qui est confortable pour couvrir des frais de dossier, mais bien peu au regard des frais entraînés par un invendu de dernière minute. Il y a aussi les acheteurs qui soumettent leur engagement à l'obtention d'un crédit totalement hors de leurs moyens, ou qui obtiennent de leur banquier un refus de créditde complaisance, pour se dédire sans frais. Le dépôt de garantie, d'ailleurs, n'est pas automatiquement acquis au promoteur. L’acheteur peut en demander la restitution, en toutou partie, au tribunal. Rares sont les juges qui aiment les promoteurs.

APRES MOI …

Comme tous les professionnels, je connais trop les risques du métier pour ne pas conseiller la prudence aux jeunes. Néanmoins, s'ils ont du bon sens etle goûtdu concret, je leurgarantis qu'ils ne s'ennuieront pas. Les responsabilités afflueront! Quel métier ne s'est pas compliqué au cours de ces trente dernières années? Après tout, comme je l'ai dit au début, la complexité est la raison d'être du promoteur professionnel.

Puis-je demander une grâce? Que l'on reconnaisse que le promoteur ne vole pas sa rémunération. Il la gagne, et assurément pas en dormant !

Hubert Vouthier (Ensae 44) Président honoraire de la SINVIM

Autrice

Hubert Vouthier

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