Pour bien louer, convertissez -vous à l'hédonisme
Que ce soit au niveau de la location, qu’il s’agisse du propriétaire ou du locataire, chacun cherche à connaître le juste prix du logement qui, à un moment donné, se trouve disponible sur le marché. Traditionnellement, cette valeur est déterminée par comparaison avec les transactions plus ou ;i moins récentes dont on a connaissance. 1 Mais comme les biens immobiliers sont par essence hétérogènes, c'est-à-dire différent tant au point de vue de localisation que de leurs caractéristiques propres (taille, construction, ... ), cet exercice se révèle souvent assez ardu et les fourchettes d'évaluation peuvent atteindre aisément les 15 à 20%.
Une méthode permet cependant de donner une estimation beaucoup plus précise de la valeur d'un bien immobilier. Elle consiste à étudier statistiquement les caractéristiques essentielles des logements qui, dans une localité donnée, influencent significativement leur prix, puis de donner une valeur à chacune d'entre elles. En additionnant la valeur des différentes caractéristiques composant le bien immobilier, on obtient avec une marge d'erreur très faible le prix de marché du bien considéré. Cette méthode dite « hédoniste » connaît depuis quelques années un développement important aux États-Unis et dans les pays anglo-saxons.
Pour expliquer les principes de cette méthode, supposons que trois logements A, B, C ' situés dans le même immeuble, n'offrant pas de particularités au niveau -de l'étage ou de l'exposition et ne différant que par leur surface soient loués à Bordeaux aux prix suivants:
Appartement A : 4050 F pour 75 m², soit 54 F le m²
Appartement B : 4800 F pour 100 m², soit 48 F le m²
Appartement C : 6300 F pour 150 m², soit 42 F le m²
Supposons en outre que, toujours dans ce même immeuble, un appartement de 125 M2 peu différent des autres soit mis en location. Quel doit en être le prix?
À partir des méthodes traditionnelles les experts interrogés répondront probablement sur la base des loyers des appartements B et C, très comparables par la taille à celui à estimer, que le prix moyen au M2 doit être de (,48 + 42)/2 = 45 F/M2, ce qui appliqué à 125 M2~ donne un loyer mensuel de 5 625 F. Tout aussi logiquement, en prenant la moyenne des trois premiers logements proposés, soit 48 F/M2~ on aurait obtenu un loyer de 6000 F par mois. Cet exemple simplifié met en évidence les limites de la méthode par comparaison qui est pourtant d'utilisation très courante la méthode hédoniste considère, quant à elle, que la valeur d'un bien résulte de la somme des prix que l'on peut attribuer à ses différentes caractéristiques. Pour un bien immobilier ce sera essentiellement la surface, la localisation, l'état du bâtiment et les éléments de son confort.
Dans le cas présenté, le facteur qui différencie fondamentalement ces trois logements est la surface. Mais, le prix de l'unité de surface doit être identique pour les quatre appartements puisqu'il s'agit d'une unité de mesure appliquée au même ensemble. C'est, en fait, le prix qu'il faut payer pour avoir un M2 Supplémentaire indépendamment de toute autre considération.
Pour les appartements A et B, l'écart de 25 M2 correspond à une augmentation de prix de 750 F. Le prix du M2 SUpplémentaire vaut donc 30 F. Il se justifie également dans la comparaison des appartements B et C et, par conséquent, détermine le prix recherché. Le prix d'un appartement de 125 m² pourra ainsi être évalué en partant de celui de 100 m² soit 4 800 F et en rajoutant 25 m² x 30F = 750 F. On obtient ainsi 5 550 F au lieu de 5 625 F trouvé initialement. On notera par la même occasion que l'appartement hypothétique ayant une surface nulle vaudrait: 4 800 - 100 m² x 30 F = 1800 F (voir encadré « exemple théorique »).
Ce montant de 1800 F résulte de caractéristiques indépendantes de la surface, telles l'emplacement ou la qualité de l'immeuble. Si par exemple dans l'immeuble voisin, qui est plus ancien et mal entretenu, on observe que les loyers pour une surface équivalente sont inférieurs de 400 F à ceux de notre immeuble de référence, on pourra logiquement en déduire que la bonne qualité de l'immeuble vaut par appartement ,400 F de plus que la mauvaise. Enfin, si ces immeubles ne présentent pas d'autres caractères particuliers on en déduira que les 1400 F restant proviennent à la fois de la qualité du quartier, de la localisation des
Figure n°1 : Le plus célèbre trompe-l'oeil de Paris : cheminées de ventilation du parking beaubourg.
Mais la mise en œuvre de la méthode hédoniste, comme le suggère cet exemple, suppose la possibilité d'observer un nombre d'autant plus élevé de logements (ou de bureaux) que l'on souhaite valoriser un nombre important de caractéristiques et connaître parmi celles-ci, celles qui ont une incidence systématique soit sur le prix du logement quand on étudie le prix des transactions, soit sur sa valeur locative quand on étudie le prix des loyers.
Une première application a été réalisée en France en 199~4 par une équipe de professeurs de l'ESC Bordeaux sur la valeur locative des appartements de cette agglomération. En reprenant un échantillon de 199 appartements à l'automne 1995, ils ont construit un nouveau modèle dont les principaux résultats sont présentés dans l'encadré «valeur des caractéristiques d'un appartement en location à Bordeaux ».
À partir de ce tableau, pour connaître la valeur théorique d'un appartement, il suffit d'appliquer les chiffres donnés. Ainsi un appartement de 100 M2, de standing moyen, sans ascenseur ni parking, avec une situation et une localisation commune doit se louer:
Prix de 100 m² x 28,50 F = 2 850 F
Valeur de la constante d'ajustement = 750 F
Total = 3600,F
S'il possède un ascenseur, il faut rajouter 2,40 F. Si en plus il est situé dans un très bon quartier (+ 190 F) et très bien localisé dans ce quartier (+ 220 F), son loyer passera à 4 250 francs.
Ces résultats confirment en partie l'opinion des professionnels et donnent des indications précieuses sur la valeur qu'il faut attribuer à leurs estimations. Ainsi, le quartier et la localisation dans le quartier, apparaissent comme des éléments déterminants dans l'élaboration du prix. Il en va de même de l'état du bâtiment, du nombre de salle de bains, de la présence d'un ascenseur ou d'un parking.
Mais, dans l'échelonnement des prix, l'importance de ces caractéristiques est très secondaire comparativement à celle de la superficie de l'appartement. Au vu des résultats obtenus on pourrait
écrire, en plagiant la formule consacrée par les professionnels, que les trois critères essentiels pour déterminer le loyer d'un appartement sont: (1 ) la surface, (2) la surface et (3) la surface. La valeur explicative de l'ensemble des variables retenues - c'est à dire les caractéristiques des appartements - résulte en effet, pour plus des trois-quarts de la composante surface. Ce qui signifie que pour le même prix entre un appartement de 80 M2 dans un très bon quartier avec une très bonne localisation et un appartement de 100 M2 dans un mauvais quartier mal desservi et peu commerçant, c est ce dernier qui emportera malgré tout la préférence.
En conclusion, le gros avantage de la méthode hédoniste, qui repose sur le principe fondamental que « ce n'est pas un bien en lui-même qui procure de la satisfaction aux individus mais plutôt les caractéristiques de ce bien », est de permettre de déterminer le prix d'un bien immobilier en partant des quelques caractéristiques qui, statistiquement, influencent le plus sa valeur, avec une forte probabilité pour que ce prix corresponde à celui du marché. L'hédonisme en économie, c'est suivant le Petit Robert, une « conception de l'économie selon laquelle toute activité économique repose sur la poursuite du maximum de satisfactions avec le moindre effort». Appliquée à l'immobilier, la méthode hédoniste permet, notamment, de valoriser ces satisfactions afin de sélectionner celles qui demande un effort minimum pour leur obtention.
Par contre, il est inutile de vouloir appliquer cette méthode d'évaluation à des appartements dont l'emplacement et la qualité architecturale font que la rareté les apparentent plus à une œuvre d'art qu'à un simple immeuble d'habitation et que, ce faisant, ils échappent à toute étude statistique.
Bernard Thion
Groupe ESC Bordeaux, Institut du Management du Patrimoine et de l'immobilier (IMPI),
Domaine de Raba 33405 Talence Cedex.
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