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20 septembre 2003

Le réveil de la pierre

Si l'on interrogeait les français en ce début d'année 1996 sur le placement qu'ils jugent le meilleur, bien peu mettraient l'immobilier en test de liste après avoir lu les chiffres. Eh bien, ils auraient tort! L’immobilier est peut-être devenu le placement le plus rentable. La surprise est de taille, eu égard à tout ce que la pierre a subi depuis un siècle: contrôle des loyers, fiscalité toujours plus lourde et placements concurrents de plus en plus performants.

UN RAPPEL HISTORIQUE PEU ENCOURAGEANT

Remontons au XIXe siècle, car un parallèle avec l'époque hausmannienne nous donne des raisons de croire en l'immobilier. En effet, on connaissait alors une période de faible inflation et de taux d'intérêts réels positifs. La demande était forte; elle l'est encore aujourd'hui en dépit d'hésitations conjoncturelles. La principale différence réside dans la multiplication des placements financiers. Rappelons-nous que l'engouement pour les emprunts russes au début du siècle a provoqué alors une sévère crise immobilière. C'était le début d'une longue série de malheurs.

Le second fut le moratoire sur les loyers en 1915 que justifiait l'état de guerre. Les loyers allaient rester plus ou moins bloqués jusqu'en 1 948 avec de temps à autre une tentative d'assouplissement lorsque la situation économique et politique le permettait.

En conséquence, la rentabilité du placement pierre allait être durablement négative: rendement négatif car les loyers ne couvraient pas les frais d'entretien des immeubles et moins value assurée car on ne trouvait pas d'acquéreurs.

La loi du 1er septembre 1948, on l'a un peu oublié, était révolutionnaire: elle libérait les loyers des logements neufs et permettait de les augmenter fortement dans le parc ancien.

Seulement, au bout de quelques années, elle fut utilisée au contraire pour limiter les hausses de loyer, reconstituant une situation comparable à celle de l'entredeux guerres.

La montée de l'inflation au cours des années 60 et surtout 70 (l’inflation à deux chiffres n'a existé en réalité qu'entre 1974 et 1982) rend un peu de couleurs au placement logement qui, au moins, conserve sa valeur, même si son rendement est faible.

Sa rentabilité réelle avant impôt sur le revenu dépasse alors sensiblement celle des actions et des obligations.

Les gouvernements successifs ne se privent donc pas de matraquer fiscalement l'immobilier tout en limitant les hausses de loyer. Pire, les coups (fiscaux) continuent à pleuvoir tout au long des années 80 alors que les placements financiers voient leurs performances s'envoler.



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Figure n°1 : Insertion harmonieuse dans le site.


Le vent de folie qui souffle sur l'immobilier parisien entre 1985 et 1990 (le taux de rentabilité réelle atteint 17% par an) occulte en temps la réalité: la désinflation, la hausse des taux d'intérêt réels et l'alourdissement de la fiscalité ont fait perdre tout attrait à l'investissement en logement. Même le logement neuf, malgré la réduction d'impôt dite Quilès-Méhaignerie (qui remonte à septembre 1984), souffre de la comparaison avec le placement obligataire.

DE LA NEUTRALITE FISCALE A « L’AMORTISSEMENT PERISSOL »

C'est seulement à partir de 1993 que le Ministre du Logement livre bataille sur le thème de la nécessaire neutralité fiscale entre les placements. Le taux de la déduction forfaitaire sur les revenus fonciers qui, de 30% en 1969 avait fondu jusqu'à 8% en 1991, est porté à 10%. C'est peu, mais, comme on dit, c'est un signal fort, car le courant est inversé. En 1995, le gouvernement d'Alain Juppé le relève à nouveau (à 13%) puis, contrainte budgétaire oblige, choisit pour rééquilibrer la fiscalité, d'alourdir celle de l'assurance vie et des placements obligataires.

Enfin, convaincu de la nécessité de donner un coup de fouet à l'investissement locatif dans une conjoncture morose, il annonce une mesure de choc: l'amortissement Périssol. De quoi s'agit-il ?

D'abord, il faut investir dans un logement locatif neuf avant le 31 décembre 1998 et opter pour la nouvelle formule d'amortissement qui permet de déduire des revenus fonciers 10% du prix d'achat au cours des quatre premières années puis 2% au-delà et pendant 20 ans. Pour un acquéreur fortement imposé et suffisamment endetté pour profiter à plein de l'imputation des 100 000 francs du déficit foncier sur le revenu global, le taux de rentabilité nette après impôt approche les 10 %. À côté de cela, les obligations, qui offrent en février 1996 un taux de rendement actuariel de 6,16%, perdent beaucoup de leur attrait et voient leur fiscalité alourdie.

Bien sûr, le calcul de la rentabilité repose sur des hypothèses réalistes en moyenne: revente sans plus-value (même nominale) mais rentrées de loyers régulières. Car l'investisseur individuel, s'il est rationnel (ce qui est une autre histoire), est sensible, outre la rentabilité, à deux autres dimensions du placements: le risque et la liquidité.

Le propriétaire qui possède un seul logement (c'est la majorité) est bien sûr plus sensible au risque de non﷓paiement que l'institutionnel qui en détient 10000. Pour se prémunir, il dispose désormais d'assurances qui prennent en charge le loyer et les frais de justice éventuels. De création récente (1987), elles sont encore peu répandues car coûteuses,



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Figure n°2 : Rue Danton à Paris : le premier immeuble en béton coulé.


malgré l'avantage fiscal qui leur a été consenti. Leur prime atteint de 3 à 5% du loyer pour une protection limitée (par exemple à un an). Il existe aussi une garantie globale de ressources, couvrant en outre le risque d'inoccupation, d'un prix évidemment supérieur (environ 10 %du loyer).

La liquidité, c'est﷓à﷓dire la faculté de revendre dans de bonnes conditions de délai et de prix, dépend fortement de l'état du marché, lui-même lié à la location du bien et à la conjoncture. Or, le marché immobilier est sujet à des crises cycliques qui, en France du moins, se traduisent plus par un allongement des délais de vente, que par une baisse des prix (la crise actuelle est exceptionnelle). Si, en outre, le propriétaire bailleur juge plus rentable de vendre son logement quand le locataire est en fin de bail ou prend congé, il doit concilier deux types de contraintes pour réaliser son bien au moment opportun.

La « pierre﷓papier » a le mérite d'assurer la division des risques et de permettre des investissements immobiliers de faible montant. La liquidité de ce type de placement est inégale: a priori le fractionnement accroît la demande potentielle, mais le capital des sociétés foncières reste concentré, alors que les parts de SCPI sont largement diffusées dans le public. Elles connaissent, cependant, à l'heure actuelle, des difficultés de revente peut-être plus redoutables encore que l'immobilier détenu en direct.

La nouvelle donne fiscale modifie radicalement (même si ce n'est qu'une mesure conjoncturelle, mais rappelons que la réduction Quilès﷓Méhaignerie l'était aussi a priori et aura vécu au moins 13 ans) non seulement l'échelle relative des placements au profit de la pierre, mais encore la nature même de l'investissement en logement. Celui-ci passe en effet d'une logique de plus value c’est﷓à﷓dire une valeur spéculative au sens propre du terme), qui dominait avant la crise, à une logique de rendement.

On n'anticipe guère de plus-values désormais, même pour les meilleures localisations. Cela ne signifie pas que l'investisseur doive abandonner tout espoir de valorisation mais que les plus-values ne seront plus automatiques sur les marchés actifs: elles seront réservées à celui qui saura acheter en bas de cycle pour revendre au point haut, tout en optimisant le traitement fiscal. L'immobilier devient﷓il donc une affaire de spécialiste ? Tout de même pas, mais on sait qu'en dehors de périodes exceptionnelles, c'est en gérant son patrimoine que l'on s'enrichit, pas en dormant.

Claude Toffin (Ensce 74)
Directeur Général de SDRÉ

Autrice

Claude Toffin

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