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20 septembre 2003

Partage public-privé dans l'organisation de l'assurance maladie

Publié par Stéphane Jacobzone | N° 9 - La Santé en "questions..."

Sans nécessairement trancher de façon définitive, la théorie économique et les observations empiriques permettent de repérer différents arguments permettant de formaliser l'ampleur et les formes de l'intervention publique dans l'organisation des marchés d'assurance maladie. Ces arguments sont liés pour partie aux dysfonctionnements des mécanismes d'assurance en présence d'information imparfaite. Des principes redistributifs interviennent également. Les spécificités de la production de soins peuvent conduire à rechercher des formes de production plus intégrées verticalement pour améliorer l'efficience microéconomique, tout en laissant une marge de liberté appréciable aux agents privés. En effet, c'est a la croisée des chemins, entre les facteurs technologiques et financiers suscitant une offre de soins toujours plus technique et coûteuse, et les systèmes de prise en charge aptes à sélectionner le traitement le mieux adapté que peut se réussir le double pari d'une certaine maîtrise des coûts tout en préservant la qualité pour le patient.


PUISSANCE PUBLIQUE ET RISQUE MALADIE

La gestion du risque maladie fait l'objet d'une intervention publique poussée, avec une couverture largement socialisée. Les arguments économiques justifiant cette dernière sont de plusieurs ordres. Parmi les arguments traditionnels se trouvent ceux considérant la santé comme un bien tutélaire pour lequel la puissance publique substituerait en partie ses choix à ceux des individus, facilitant l'accès aux soins ou limitant les comportements à risques. En termes économiques, ceci correspond à l'existence d'externalités, dues à la non équivalence des rendements sociaux et privés. Comme le consommateur pourrait être tenté de se sous assurer, d'avoir recours aux soins trop tardivement, ou de mal se prémunir des risques épidémiques, la collectivité peut être fondée à lui offrir, ou lui imposer, un certain niveau de couverture d'assurance maladie, de demander le passage de check-up ou de subir des vaccinations. À cet égard, les diverses traditions socio-politiques des pays industrialisés peuvent conduire à des marges d'appréciation importantes, les politiques de santé publique se traduisant par une pression très forte à la vaccination dans les pays européens, voire à une quasi obligation, alors qu'aux États Unis, ceci reste de l'ordre de l'information ou du conseil. Un dernier moyen classique d'internaliser les externalités en économie publique correspond à l'imposition de taxes ou de transferts sur des substances potentiellement 'pathogènes comme le tabac et l'alcool. Une étude récente de Donald Kenkel, de l'université de Cornell, tendrait à montrer sur données OCDE, que les pays ayant une assurance sociale ou un système public de santé auraient tendance à avoir des prix du tabac et de l'alcool supérieurs, et une consommation relative moindre de ces substances, que les pays ayant recours de façon marginale à la couverture publique.

D'autres types d'imperfections des marchés d'assurance maladie sont à l’œuvre, qui concernent des phénomènes dits de « sélection adverse » des risques. En effet, en présence d'asymétries d'information, un marché privé d'assurance maladie peut ne pas trouver d'équilibre spontané, ou trouver un équilibre sous optimal, avec un niveau de couverture offert et de mutualisation du risque insuffisant. En présence d'antisélection, les risques les plus élevés vont rechercher la couverture la plus complète, et les assureurs vont en retour segmenter la clientèle. Le marché va se trouver potentiellement déstabilisé, ceci générant des phénomènes d'écrémage et une couverture insuffisante. Tout ceci a été mis en évidence de façon générale par Rothshild et Stiglitz.

En théorie, on peut offrir des contrats diversifiés avec des franchises pour des primes plus faibles, en organisant un équilibre de marché dit « séparateur ». Les individus à risque plus faible et en meilleure santé opteront plutôt pour ces contrats à primes faibles assorties de fortes franchises, tandis que



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Figure n°1 :


les mauvais risques chercheront une assurance plus complète. L'équilibre est atteint si les divers individus retiennent bien spontanément le type de contrat qui leur est adapté. Cependant, la concurrence peut stimuler les phénomènes d'écrémage. Enfin, les assureurs peuvent être incités à effectuer du screening, à introduire diverses conditions préalables, et à refuser d'assurer certains risques. Finalement, soit des primes très élevées seront demandées aux moins bons risques, soit ils ne pourront pas s'assurer. Ces comportements peuvent déboucher sur l'exclusion de la couverture des individus les plus fragiles, ou en plus mauvaise santé. De tels phénomènes ont été observés aux États Unis, avec la déstabilisation progressive de polices offertes initialement par des organismes non lucratifs, qui pratiquaient une tarification ajustée localement mais qui n'était pas fonction directement du risque individuel.

Ces phénomènes de sélection adverse se combinent à l'existence de principes redistributifs pour justifier l'intervention de la puissance publique. Celle-ci vise à garantir un certain niveau de mutualisation du risque. En effet, comme le notait Tobin dès 1970, en matière de santé, comme pour d'autres biens spécifiques, on constate l'existence d'une demande d'égalité en matière d'accès. Des critères éthiques conduisent à refuser des procédures allocatives où un niveau minimum ne serait pas assuré.

LES PRINCIPES DE REDISTRIBUTION

Sans revenir de façon détaillée sur ces cadres éthiques, qui échappent pour partie à la réflexion économique proprement dite, on peut distinguer trois optiques principales. La première est de type égalitariste pur, avec un bien collectif distribué également entre tous. Elle peut même justifier une distribution inégale de soins, pour corriger l'inégalité des dotations de départ, et se rapprocher plus d'une égalité « en santé ». La seconde est plus libérale et favorise l'application de mécanismes de marché, la puissance publique se limitant à organiser des formes de couverture subsidiaire pour les plus démunis. La dernière s'inspire des principes de la théorie de la justice de J. Rawls et vise à une amélioration maximale de la situation des défavorisés, compte tenu des contraintes économiques. Ceci tend à rationaliser l'inégalité, dont on sait qu'elle ne pourra être complètement éliminée, mais en la situant dans un cadre compatible avec l'exigence d'équité. Pour schématiser, en matière de santé, les systèmes nationaux de santé de type anglais se situent plutôt dans la première optique, le système de type américain dans la seconde, et les systèmes d'assurance sociale allemand ou français dans la troisième.

Enfin, un dernier argument d'économie publique, repris récemment par Rochet, (1989) mentionne la relative efficacité en termes de bien être des mécanismes publics d'assurance maladie pour organiser la redistribution. En effet, avec un financement proportionnel aux revenus, cette dernière



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Figure n°2 :


opère une double redistribution tant entre classes de revenus qu'entre bien portants et malades. L'efficacité supérieure de ce type de dispositif par rapport à la redistribution fiscale pure, est qu'un système de taxation du revenu ne peut tenir compte de l'inégalité des dotations initiales d'état de santé, alors que la couverture maladie socialisée permet des transferts doubles dépendant du revenu et de l'état de santé. Ce résultat ne serait pas vrai si la taxation du revenu pouvait être conditionnée par la probabilité de maladie.

L'ensemble de ces arguments plaident pour un certain degré d'intervention publique. Cependant, l'éventail des possibilités d'intervention demeure assez large. Dans certains cas l'intervention publique pourrait se limiter à réguler un marché, en fournissant quelques dispositifs redistributifs complémentaires et dans d'autres cas elle va jusqu'à une prise en charge quasi complète du système de santé, comme au Royaume-Uni, ou surtout dans les pays scandinaves.

Il existe une deuxième imperfection très importante du fonctionnement de l'assurance en matière de santé, mais qui est elle aussi générale et affecte également les systèmes publics et privés d'assurance maladie. Ceci concerne le « hasard moral » et se traduit par des dépenses de soins supérieures en présence d'assurance. Ce problème se pose à partir du moment où l'assureur ne peut connaître la portée exacte et la cause du dommage et les conditions de réparation de celui ci. On distingue entre « hasard moral » ex ante, qui correspondrait à des mesures préventives insuffisantes, une fois risque couvert, et « hasard moral » ex post, qui se traduirait par des dépenses excessives une fois le risque réalisé. Le premier cas a surtout suscité la curiosité des théoriciens, comme G. Becker, les diverses études empiriques montrant que la présence d'assurance qu'elle soit publique ou privée favoriserait plutôt la prévention toutes choses égales par ailleurs1. Le cas du « hasard moral » ex post traduit un double phénomène: l'incitation du patient à consommer plus d'un bien pour lequel l'élasticité prix de sa demande n'est pas nulle, et dont le prix apparent est abaissé par l'assurance, l'incitation des offreurs à offrir les traitements les plus coûteux sachant que son patient n'en supportera pas le coût. En ce qui con cerne le patient, ceci ne résulte aucunement d'une « perversité morale», mais d'un comportement de consommateur rationnel Pour chiffrer l'ampleur des pertes potentielles, l'économiste doit alors estimer la valeur de l'élasticité prix de la demande. Ces estimations économétriques ont fortement nourri les controverses académiques en économie de la santé aux États Unis durant toute la décennie 1970 et jusqu'au milieu des années 1980. Il a fallu la mise en place d'une véritable expérience sous forme contrôlée pour aboutir des résultats empiriques, qui, s'ils ne sont pas totalement acceptés par tous car ne modélisant pas les effets d'offre, permettent cependant d'établir



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Figure n°3 :


un consensus raisonnable. L'élasticité prix de la demande n'est pas nulle. Elle est modérée pour les soins ambulatoires, de l'ordre de -. 1 /-. 2 et très faible pour les soins hospitaliers. Hélas! Pourrait-on dire, car la seule réponse des économistes pour limiter les pertes de bien être dans ce cas est de limiter la couverture offerte avec l'introduction de franchises et de ticket modérateur dans les assurances traditionnelles. Ainsi, il serait rationnel de laisser au moins pour les soins ambulatoires une fraction des coûts nets à charge du patient. Les critiques tiennent aux effets fortement anti-redistributifs de ces tickets modérateurs, dont l'impact devrait être plafonné en fonction du revenu.

LA MAITRISE DES COUTS

Au-delà de ces éléments premiers, la théorie économique offre d'autres arguments permettant de comprendre l'imbrication d'acteurs publics et privés dans la gestion de la couverture. Si la couverture publique permet la réalisation effective d'économie d'échelles, dans le cadre de contrats groupes organisés au niveau collectifs, des éléments issus de la théorie des choix publics conduisent à équilibrer la demande de bien public par un certain respect des préférences individuelles. Des modèles dus à Usheret Weitzman, montrent que la socialisation partielle des biens médicaux essentiels correspondrait alors à une certaine uniformité des préférences collectives pour ces biens tolérant difficilement que les inégalités de revenus puissent se traduire par un accès trop diversifié. En revanche, pour des biens médicaux moins coûteux, et dans une société relativement équitable, le recours à des mécanismes concurrentiels peut être préféré pour fournir le bien selon des critères respectant les choix de chacun, puisque ici il s'agit plus d'un choix personnel.

Enfin, il existe un dernier point central, mais qui tient autant à la gestion de l'offre qu'à l'organisation de l'assurance maladie, qu'elle soit publique ou privée. Il concerne les mécanismes à introduire pour résister au hasard moral du côté des offreurs, et aux pressions multiples qu'ils exercent en faveur des soins les plus coûteux. Les divers travaux disponibles montrent qu'il existe de fortes présomptions chez les économistes d'un biais technologique en matière de santé. Celui ci serait causé par les mécanismes d'assurance qui ont conduit à un rythme parfois excessivement rapide d'introduction de technologies nouvelles en raison de systèmes de remboursement organisés principalement en fonction des coûts constatés.

il n'existe pas de façon simple de maîtriser ce phénomène. Il s'agit alors d'offrir des incitations adaptées aux offreurs de soins, tout en maîtrisant pour partie l'offre de technologies au niveau public. Les modèles théoriques montrent qu'il faut aménager dans l'organisation des mécanismes de prise en charge les modes de rémunération des offreurs par les assureurs. Ceux ci doivent comprendre un mix de remboursement des coûts a posteriori



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Figure n°4 :


et de forfait déterminé a priori. Ceci peut faire l'objet de contrats globaux de prise en charge d'une population de patients entre un financeur donné et un ensemble d'offreurs. Au-delà, une intégration verticale plus poussée dans la gestion des soins, avec des relations de long terme entre financeurs et offreurs, voire des prises de participations des financeurs auprès des offreurs, permettent de compléter ces schémas incitatifs.
En effet, l'intégration verticale permet de mieux coordonner l'action des agents au sein de l'organisation, et de limiter les problèmes dus à la transmission d'information. Ceci est particulièrement important en présence d'investissements spécifiques et d'incertitude, car on peut limiter cette dernière et réduire les possibilités d'opportunisme.

L’intégration est privilégiée en l'absence de règles transactionnelles précises au niveau juridique. La difficulté à s'engager, l'impossibilité à faire respecter les termes d'un contrat la favorisent. Les contrats apparaissent comme des formes intermédiaires d'intégration verticale. Les conditions en faveur de contrats à long terme sont proches de celles de l'intégration verticale directe. Quand les coûts de transaction seront élevés, quand les agents n'auront qu'une possibilité limitée d'inscrire leurs actions dans un cadre rationnel, quand une transaction nécessite un fort investissement spécifique, les parties contractantes ont besoin d'un contrat de long terme. Quand les contrats restent incomplets, qu'il soit impossible ou trop coûteux d'écrire toutes les conditions prévues au départ, on revient en revanche à la solution de l'intégration verticale directe.

En matière de santé, ceci tend à introduire des modes de rémunération au forfait pour certains offreurs, à faire jouer un rôle plus important aux structures sanitaires simples de premier niveau, comme le généraliste où les dispensaires, et à aménager les liens médecine de ville-hôpital. La forme d'adaptation de ce type de solutions organisationnelles aux États-Unis s'est traduite par l'apparition de réseaux de soins, ou Heaith Maintenance Organization, dénominées en France sous l'appellation de «Managed Care ». Sans offrir de solution définitive et complète, ce type d'organisation peut constituer un apport intéressant. Ainsi, une intégration verticale plus poussée peut être recherchée dans le système de soins selon des rythmes et des modalités propres et adaptées à chacun des pays.

Ainsi, et de façon subsidiaire, l'expérimentation de réseaux et de filières de soins apparaît en filigrane dans la réforme Juppé de l'hiver 1995.

Stéphane Jacobzone, Administrateur de l'insee (Ensce 89)

1: Cf notre document de travail, S. Jacobzone, P. Genier, Comportements de prévention, consommation d'alcool et tabagie: peut on parler d'une gestion globale du capital santé, G 9605, Département des Études Économiques d'Ensemble, insee 1996.

Autrice

Stéphane Jacobzone

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