Introduction historique
La quasi-totalité des techniques hydrauliques étaient en place dans le monde grec il y a deux mille ans, y compris les conduites forcées et les élévations. À Rome comme à Athènes, les problèmes de gestion étaient déjà ceux que l'on connaît dans de nombreuses villes contemporaines: vol d'eau le long des aqueducs, gaspillage lié par l'absence de tarification, consommation excessive au palais de l'empereur, fuites et dégradations des conduites, besoins colossaux de financement des ouvrages, etc. Il n'empêche que l'Aqua Virgo romain alimente toujours la fontaine de Trèves à Rome!
Le droit romain considérait l'eau des mers et celle des rivières permanentes comme res communis, chose ne pouvant être la propriété de personne, comme l'air. L'eau de surface, les petits cours d'eau intermittents et l'eau ruisselant après la pluie étaient la propriété du propriétaire du terrain. Les sources naturelles et les puits aussi, car on ne pensait pas aux forages artificiels. Or les forages peuvent épuiser la nappe phréatique au point d'assécher les puits et sources des voisins.
LES DÉBUTS DE LA LÉGISLATION
Si l'eau ne suscitait guère d'intérêt, les rivières ont été très tôt perçues comme
des moyens de transport. L'ordonnance de 1669 (Louis XIV) puis les lois de 1790 et 1791 (Louis XVI) consacrèrent l'usage féodal, à savoir que les rivières navigables ou flottables étaient du domaine du souverain tandis que les petits cours d'eau appartenaient de fait aux riverains. Les riverains étaient propriétaires du lit, mais pas de l'eau. Le législateur se souciait de ménager un droit d'accès à l'eau, pas de trouver un propriétaire à l'eau.
Vers la fin du dix-neuvième siècle, la voie d'eau s'étant développée pour le transport lourd, il fallait construire des ouvrages de régulation du débit. on vota donc une loi en 1898 pour formuler un droit de l'eau et permettre la réalisation de grands travaux d'aménagement. Cette loi conservait la vieille conception juridique: l'eau stagnante peut faire l'objet d'un droit de propriété, mais l'eau courante ne peut faire l'objet que d'un droit d'usage.
LES TROIS PRÉFETS DU 19e SIÈCLE
L'eau courante dans les immeubles d'habitation date, en gros, du Second Empire. Quelques heureux disposaient de puits artésiens sous l'immeuble, développés par Chabrol de Volvic puis Rambuteau (prédécesseurs d'Haussmann) qui avait aussi promu la chaussée bombée, pour supprimer le caniveau central, et les premiers égouts souterrains. Les Parisiens de la rive droite buvaient encore l'eau que La Samaritaine
Figure n°1 : Le pont du gard, dessin de R.Kline pour "2000 ans d'histoire du gard", bande dessinée, IDP éditeur
Les trois préfets successifs de Paris sont typiques de l'évolution de la pensée française en matière de service public. Chabrol était un homme de l'ancien régime (bien que préfet sous Louis-philippe), pénétré des idées des Lumières mais ne croyant pas que l'État devait s'en mêler. Vint ensuite Rambuteau, qui intervenait mais en respectant l'équilibre budgétaire. Haussmann fut le plus « moderne » puisqu'il fit appel à l'épargne publique et à l'initiative privée déclenchée par des subventions. Louis XVIII, Louis-philippe puis Napoléon 111 (Charles X ne compta pas); cela résume aussi l'ouverture de la France au modernisme.
Les grandes entreprises privées de distribution d'eau se sont créées à cette époque. La Compagnie Générale des Eaux, maintenant Vivendi, et la Société Lyonnaise des Eaux (et de l'Éclairage) sont centenaires. Elles intervenaient aussi en Europe Centrale et j~en Amérique du Sud.
EAU POTABLE ET ASSAINISSEMENT, MÊME COMBAT!
L'assainissement par réseau est encore plus récent, puisque ce fut le préfet Poubelle qui fit voter en 189,4 la loi obligeant les immeubles riverains à se raccorder à l'égout souterrain, quand celui-ci existait. Les immeubles parisiens appartenaient principalement à des investisseurs-bailleurs, qui protestèrent véhémentement: ils ne voyaient pas pourquoi ils ne pourraient pas continuer de déverser les eaux ménagères dans le caniveau. Les eaux « vannes » (des WC) allaient dans des fosses supposées étanches, qui n'étaient souvent que des puits perdus polluant la nappe phréatique. Or, l'eau potable était puisée dans cette même nappe.
Le souci de la qualité de la ressource a paradoxalement été engendré par les réseaux collectifs des villes, les quels étaient censés assurer la sécurité sanitaire. Autrefois, dans les fermes isolées et dans les très petites Villes ' chacun avait un puits dans le jardin; au fond du même jardin, il déversait aussi sa pollution. La nature absorbait la pollution et l'eau du puits était potable (dans les critères peu exigeants de l'époque). C'est le réseau de distribution urbain qui exige une prise d'eau importante, laquelle n'est pas sans effet sur les voisins, C'est aussi le réseau d'égout qui concentre les pollutions domestiques très au delà de ce que la nature peut absorber, d'où la nécessité d'ouvrages coûteux de traitement; il existe des villes en France où l'assainissement par réseau s'est révélé plus coûteux qu'un ensemble d'installations individuelles (contrôlées régulièrement par un service municipal).
L’EAU
Le souci des ressources en eau est apparu dans la législation avec la loi de 196,4 créant les organismes de bassins et instituant le principe « pollueur-payeur».
Depuis 1959 existait une commission de l'eau au Commissariat au Plan, qui se souciait de protéger et de répartir la ressource. La loi de 1964 ne tranchait pas plus que celle de 1898 le problème de la propriété de l'eau.
La rareté de l'eau a fait l'objet d'une prise de conscience brutale pendant la sécheresse de 1976. Il est apparu que la ressource pouvait être insuffisante en volume pour satisfaire tous les utilisateurs; le principal conflit était entre les citadins et les agriculteurs. Les citadins ne pouvaient se passer de prises d'eau collectives à gros débit. Les agriculteurs, gros consommateurs, gros pollueurs et petits payeurs, invoquaient un droit acquis de longue tradition.
La loi actuelle date du 3 janvier 1992. Elle rompt avec le passé puisqu'elle dit que « l'eau fait partie du patrimoine commun de la nation ». Elle maintient (comme la loi de 1898) que « l'usage de l'eau appartient à tous ». Cette unicité de la ressource nationale justifie l'intervention de l'État. La loi de 1992 garantit:
* la protection de la ressource contre la pollution;
* le développement de la ressource;
* la valorisation de l'eau comme ressource économique et sa répartition.
Le concept (tout nouveau) de l'eau comme une ressource économique, le problème de sa conservation et de sa répartition, sont les bases « philosophiques » de la tarification de l'eau et de la pollution, après des siècles de liberté et de gratuité.
Une directive européenne (de 1991 ), reprise dans la loi du 3 janvier 1992, fait obligation aux villes de ne plus rejeter aucun effluent nontraité en l'an 2005. Il faudra éliminer 65 % de la pollution, contre environ 40 % aujourd'hui. Cela impliquera des travaux, donc une augmentation des postes liés à l'assainissement dans les factures d'eau.
Dans un proche avenir, les exploitants français vont se heurter à un problème ardu de tarification. La consommation d'eau diminue depuis 1991, mais les principaux facteurs de coûts sont fixes (investissements, service de la dette) ou croissants (assainissement). Si le nombre deM3 facturés diminue, il va falloir augmenter le prix par m3, donc engendrer une nouvelle baisse de la consommation, etc. Il y a du travail pour les micro-économistes!
Tous auteurs, extraits par Pierre Morichau ENSAE67
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