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13 novembre 2003

Reflexions émergentes

Publié par Jean-Paul Betbèze | N° 16 - Les marchés financiers émergents

par Jean-Paul Betbèze, Directeur des Études Économiques et Financières du Crédit
Lyonnais


On connaît la boutade : an emerging country is a country from which you cannot emerge in case o emergency. Mais elle ne dit pas pourquoi des capitaux sont entrés dans tel ou tel pays émergent. Elle passe ensuite sous silence le fait que les financements de marché sont souvent sortis sains et saufs, c'est﷓à﷓dire avant les crises, ce qui n'a pas été le cas, le plus souvent, des crédits bancaires. Il faut donc se demander, à la lueur des dernières expériences, pourquoi et comment investir dans de tels pays.

Pourquoi ? Parce que le taux de rentabilité y est plus élevé, les coûts salariaux plus faibles, les législations plus accommodantes. La réponse est claire. Pourquoi aussi ? Parce que les systèmes de communication permettent de délocaliser de plus en plus d'activités. Parce que les coûts de transport, en chute, compensent l'éloignement. Parce qu'il s'agit là de nouveaux marchés au pouvoir d'achat faible, qu'il est impossible d'oublier dans le contexte concurrentiel actuel, mais impossible aussi de pénétrer à partir d'une base de coût européenne ou américaine. Les réponses sont faciles et recevables.

Comment ? Les choses se compliquent. En effet, ces pays ont souvent des lois et des règlements lacunaires, des systèmes de vérification des qualités des produits, des banques... partiels. Bref, ils abritent des risques significatifs. Leur régulation macro﷓économique est souvent problématique, et ce sont les crises qui les font avancer. Ce sont en effet les boums et les surinvestissements qui font venir les populations des campagnes vers les villes et libèrent des gains de productivité. Ce sont les ROE (Return on Equity) promis qui font venir des capitaux qui acceptent de fait un risque supérieur (sans toujours bien le mesurer). Ce sont les procédures de libéralisation, de privatisation, d'ouverture aux capitaux étrangers qui permettent le financement des balances des paiements. Par construction, le processus est toujours déséquilibré : la venue des crédits bancaires dans les années 70 s'est faite à l'abri de cautions d'État, avec l'idée qu'un État ne pouvait faire faillite. On a vu depuis ce qu'il en était vraiment.
Ensuite, les financements se sont faits avec des garanties de sortie, des engagements solennels. On a vu des nationalisations ; on vient de voir ce qui se passe avec les restructurations Brady en Amérique Latine. Plus libéraux, ou plus contraints, certains pays ont donné des garanties sur leur change, à l'ombre de programmes d'assainissement bénis par le FMI, de paniers de devises de référence, de pegs plus ou moins stricts (HongKong, Argentine). Ils offrent ainsi une option gratuite aux investisseurs. Ils poussent aussi leurs agents internes à s'endetter dans la devise externe, et à profiter des taux en dollar, par exemple, évidemment inférieurs au taux en peso ou en Hong﷓Kong dollar, puisque le risque de change n'existe pas ! Et le jour où des inquiétudes naîtront, les capitaux boursiers partiront les premiers. Puis les Financements courts sur les marchés ne seront pas renouvelés. Et les banques demeureront collées. Un tel processus n'est pas lié à la bêtise intrinsèque des banquiers, comparée à l'agilité insigne des marchés, mais à l'incompatibilité entre crédits bancaires et financements de marché, à l'incertitude radicale que font naître des garanties de change quand on accorde, par ailleurs, toute liberté aux mouvements de capitaux.

Le financement des pays émergents est structurellement vicié et les économistes ont beau jeu de signaler le fameux triangle d'incompatibilité. En fait, les pays gagnent du temps et savent qu'un jour l'ajustement viendra, mais le plus tard possible, ce qui leur permettra d'avancer, de régler un peu plus leurs problèmes de secteur public, de lois, d'ouverture, de retraites. C'est bien quand la croissance est là qu'on peut le mieux changer : sans croissance, c'est politiquement et financièrement impossible ; après la crise, c'est financièrement et politiquement impossible.

L'avenir sera donc celui des crises, sauf si les régulateurs colmatent les trous les plus béants, et si les actionnaires deviennent plus alertés. Avec les nouvelles régulations Cooke, tous les pays ne se vaudront pas : le crédit bancaire sera plus circonspect, donc plus cher, l'efficacité financière supérieure. Avec des changes qui deviendront plus liés à des paniers de monnaies avec règles d'ajustement, avec des zones monétaires en expansion sur le mode euro, on s'éloignera des Charybde de la flexibilité totale et des Scylla du peg arc﷓bouté. il faudra donc du temps, des règles et des lois, pas des taxes Tobin. Les banques sont devenues plus précautionneuses, sous l'effet de fonds de pension plus circonspects. Reste à ce que ces mêmes fonds et actionnaires demandent aussi des règles pour permettre aux marchés de mieux fonctionner, car ce sont les investisseurs les moins avertis, et les peuples de ces économies qui payent la facture Finale.

Jean-Paul Detbèze

Autrice

Jean-Paul Betbèze

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