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13 novembre 2003

Les théories de la croissance

Publié par Fabien Toutiemonde | N° 16 - Les marchés financiers émergents

par Fabien Toutlemonde (99), économiste


LE MODÈLE NÉOCLASSIQUE. SOLOW [ 1956]

Au cours des années quarante, Harrod et Domar semblaient avoir tué dans l’œuf toute réflexion sur la croissance économique : reprenant des éléments de la théorie keynésienne, ils montrèrent en effet qu'on ne pouvait pas, à long terme, obtenir de croissance durable garantissant le plein emploi. Les études quantitatives menées aux Etats-unis durant la première moitié du XXe siècle mettent pourtant en évidence une croissance durable et équilibrée, la hausse des niveaux de production et de stock de capital s'accompagnant d'une relative stabilité des toux d'intérêts.

La théorie néo﷓classique standard s'enrichit alors du modèle de Solow (1956), qui tente d'expliquer les phénomènes observés par l'existence de « sentiers de croissance équilibrée », envisagés comme une succession d'équilibres stables, le niveau d'activité devenant de plus en plus élevé.

Le modèle de Solow s'inscrit dans le cadre de l'équilibre général walrassien, pour une économie fermée où s'échange un unique bien composite servant à la fois à la consommation et à la production. Il. postule une concurrence parfaite, l'existence de marchés financiers parfaits et le plein emploi sur le marché du travail. L’unique solution stable du système voit l'économie converger vers un sentier de croissance où le taux de croissance du capital per capita est nul, tandis que le taux de croissance de l'économie est fixé de manière exogène par la croissance démographique (voir encadré).

Dans ce modèle, la croissance est due à l'accumulation de capital, laquelle fait baisser le rendement de celui﷓ci, ce qui diminue l'incitation à investir. Ainsi, le mécanisme qui rend possible l'existence d'un équilibre concurrentiel (les rendements marginaux décroissants du capital) est aussi celui qui inhibe la croissance.

Ce modèle pose donc un certain nombre de problèmes. Ramsey a résolu la question de l'exogénéité du comportement d'épargne en considérant la maximisation d'une utilité intertemporelle. Il aboutit toutefois aux mêmes conclusions, et notamment au fait que le comportement d'épargne n'a aucun effet sur le taux de croissance de long terme. Celui﷓ci, comme chez Solow, n'est déterminé que par la croissance démographique, fixée de manière totalement exogène.

C'est en somme le principal point d'achoppement du modèle de Solow: le taux de croissance per capita est nul. Même lorsque le progrès technique est envisagé comme facteur de croissance, il est toujours défini de manière parfaitement exogène au modèle, représenté par une tendance.

La croissance n'est pas engendrée par le système économique lui-même, et reste comme exclue du champ de la modélisation, bien que les études empiriques montrent qu'elle ne saurait être déterminée par des critères purement exogènes.

Enfin, en ce qui concerne le cas des pays émergents, le modèle de Solow suppose que tous les pays, à taux d'épargne et de croissance démographique égaux, connaîtront le même taux de croissance de long terme, et ce indépendamment des conditions initiales de l'économie. Il suppose donc l'existence d'un rattrapage des pays les moins développés, et la convergence vers un même niveau de richesse per capita de toutes les économies. Les études empiriques invalident ce résultat, mettant même en évidence une tendance à l'accroissement des inégalités, et l'existence de trappes à pauvreté.

Manque tableau modèle Solow (p. 43)

LES



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Figure n°1 : Rue de Séoul, 1970


MODÈLES DE CROISSANCE ENDOGÈNE

L'intérêt des économistes pour la théorie de la croissance s'est renouvelé à partir du milieu des années 1980, avec l'essoufflement de la croissance dans les pays industrialisés, et l'absence de rattrapage des pays en voie de développement. Les modèles de croissance endogène qui apparaissent alors s'intéressent d'une part à l'existence d'une croissance auto﷓entretenue, et d'autre part à l'explication des différentiels de croissance et de développement entre pays. Ces modèles mettent tous l'accent sur un facteur de production particulier qui est à l'origine de la croissance, et dont l'accumulation ne s'essouffle pas.
Contrairement à la théorie néo﷓classique qui pose un cadre de concurrence parfaite avec rendements d'échelle non﷓croissants, les modèles de croissance considèrent donc des rendements d'échelle non﷓décroissants. Précisément, la présence de rendements d'échelle croissants contredit la théorie de l'équilibre général concurrentiel, puisque le fonctionnement du marché conduit alors spontanément au monopole, rendant irrecevable l'hypothèse de comportement price﷓taker des entreprises.
Pour concilier rendements d'échelle croissants et concurrence parfaite, les modèles de croissance endogène introduisent des externalités positives non prises en compte par les agents individuels, pour qui les rendements continuent d'être non﷓croissants. Le cadre concurrentiel est ainsi rétablit, bien que les rendements puissent être considérés croissants à un niveau d'agrégation supérieur.

INVESTISSEMENT ET INNOVATION TECHNOLOGIQUE

La première source de croissance endogène examinée a été l'investissement, dans les modèles élémentaires de Romer (1986) et Rebelo (1990), aussi appelé modèle «Ak». Dans ces modèles, l'accroissement de la taille du marché permet de faire bénéficier chaque firme d'externalités technologiques positives. Celles﷓ci sont le produit de l'accumulation d'un facteur qui n'est pas nécessairement le capital physique.
Romer s'intéresse ainsi au stock de connaissance, et à l'expérience acquise. Il montre que si les rendements d'échelle sont constants par rapport à ces deux stocks, l'économie peut se développer de manière homothétique, à un taux de croissance constant. Contrairement au modèle de Solow, ce taux de croissance est endogène, et dépend avant tout des paramètres qui gouvernent la propension à épargner des agents.

LA THÉORIE DU CAPITAL HUMAIN

C'est en approfondissant cette idée que Romer va construire un second modèle [1990] qui place au cœur de la croissance l'innovation technologique, comme résultat de l'activité spécifique et rémunérée qu'est la Recherche﷓ Développement (R&D). Cette forme de progrès technique est endogène dans la mesure où il résulte de décisions d'agents motivés par le profit. Dans ce modèle apparaît la notion de capital humain, désignant l'effet cumulé d'activités telles que l'instruction et la formation professionnelle.

Lucas (1988) propose un modèle qui développe plus largement cette notion de capital humain comme externalité originale ayant un impact sur la production. Il parvient à la conclusion que la croissance sera d'autant plus rapide que l'efficacité de l'investissement en capital humain sera élevée. En outre, compte tenu de l'externalité sur le capital humain, un travailleur sera d'autant plus productif, et donc mieux rémunéré, à qualification donnée, que le pays est fortement doté en capital humain.



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Figure n°2 : Construction du métro de Prague


Ceci tend à expliquer les différentiels de croissance et de développement observés empiriquement.
Cette théorie du capital humain se développe aujourd'hui pour intégrer dans la réflexion non seulement l'impact de l'éducation et de la formation professionnelle, mais aussi celui de la santé ou des infrastructures. L’idée sous﷓jacente est qu'un certain niveau de capital humain est nécessaire au départ pour permettre le développement, et que l'existence de tels seuils induit l'apparition de trappes à pauvreté qui expliquent l'absence de rattrapage de certains pays sous﷓développés.

CROISSANCE ET POLITIQUE ÉCONOMIQUE
LE RETOUR DE L’ETAT ?

Pour résoudre la contradiction entre rendements d'échelle non﷓décroissants et équilibre walrassien, les modèles de croissance endogène introduisent des externalités positives qui impliquent
que des ressources sont mal utilisées, les agents ne tenant pas compte de tels effets externes. En théorie, l'équilibre décentralisé est donc sous optimal et il y a place pour une intervention publique consistant à subventionner les facteurs d'une croissance auto﷓entretenue. Le même raisonnement peut être appliqué aux politiques fiscales : le financement de l'État sera moins pénalisant pour la croissance s'il se fait par un prélèvement sur les facteurs de production qui ne sont pas porteurs d'externalités.
Un certains nombre de biens et services contribuant directement ou indirectement à la productivité du secteur privé ne peuvent en effet être fournis que par les pouvoirs publics : infrastructures, contribution à la formation ou à l'entretien du capital humain (éducation, santé) ou encore la garantie des droits de propriété (sécurité intérieure et extérieure). Barro [19901 propose ainsi un modèle prenant en compte les dépenses de l'État, financée par l'impôt, comme facteur de croissance. Ce faisant il va à l'encontre du discours néo﷓libéral dominant, mais cette approche est déterminante pour appréhender la question du rattrapage pour les pays émergents : le rôle clef des externalités et des biens publics rend sous﷓optimaux les mécanismes de marché.

INDÉTERMINISME ET DÉFAUT DE COORDINATION DES MODÈLES

Les nouveaux modèles de croissance endogène vont largement au﷓delà du modèle néo﷓classique de Solow en ce sens qu'ils proposent non plus seulement un constat, mais bel et bien une explication détaillée du phénomène de la croissance, et ce en lien avec les résultats des études empiriques. Ils laissent pourtant planer un certain indéterminisme, et sont sujets à critiques.
Chaque modèle tend en effet à ne rendre compte que d'une forme de progrès technique, et aucun d'eux n'aborde véritablement le problème dans sa globalité. indépendamment des limites imposées par la complexité de tels modèles, les effets des institutions sur le progrès techniques et la croissance sont, par exemple ignorés, le cadre d'analyse se réduisant au marché parfait et à la libre circulation de l'information technologique.
La théorie de la croissance appelle de nouveaux développements intégrant, au sein d'un cadre élargi, les différentes sources de croissance endogène par le biais d'une définition plus large de la notion d'externalité. Ceci pourrait permettre une réflexion sur l'autocorrélation entre les innovations temporelles, pour mieux rendre compte des grandes évolutions socio﷓économiques.

Fabien Toutiemonde, ENSAE 99

Autrice

Fabien Toutiemonde

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