Marchés émergents : repères
Il n'existe pas une définition unique aux contours bien arrêtés de la notion d'émergence. Celle-ci est apparue pour désigner un ensemble de pays aux performances économiques remarquables dont le niveau de développement les place entre les pays les plus pauvres et les pays développés : la question est de savoir si cette notion ne correspond qu'à une nécessité taxinomique ou si l'on peut au contraire dégager des caractéristiques communes à cet ensemble de pays.
En dépit des crises russes et asiatiques qui ont durement affecté le développement des économies locales, la croissance soutenue des pays émergents est une tendance de long terme qui les fait progressivement entrer dans l'univers des pays développés avec les contraintes économiques et sociales qui en découlent, mais aussi des caractéristiques propres aux économies avancées : l'émergence de marchés financiers organisés en est un.
Le qualificatif d'émergent recouvre deux notions.
Par « émergent » on peut entendre tout marché, développé ou non, pourvu qu'il soit localisé dans une économie émergente. Ce qui suppose au préalable de qualifier une telle économie. Ce sera l'objet de la première partie.
Selon une approche plus restrictive, un marché émergent est un marché accessible, qui a entamé un processus de croissance et de modernisation, susceptible d'intéresser les investisseurs étrangers. Cette définition sera abordée en deuxième partie.
PAYS EMERGENTS : APPROCHE ECONOMIQUE
La principale caractéristique d'un pays émergent est d'être une économie industrielle en transition : passée la phase de développement reposant sur l'exploitation agricole ou de matières premières, les pays émergents sont ceux qui ont développé un ou plusieurs avantages comparatifs industriels dont la mise en valeur assure désormais l'essentiel de leur croissance.
Comme suite à ce premier constat, la notion d'émergence est forcément transitoire : les pays actuellement qualifiés d'émergents seront développés demain. Hong Kong et Singapour peuvent aujourd'hui être considérées comme des économies développées eu égard à leur niveau de PIB par tête.
Ces pays présentent certaines similarités en terme de croissance, de PNB, de population, de réformes et de libéralisation économiques, mais aussi de risque ; ils peuvent être séparés en deux groupes distincts.
Le premier comprend des pays qui, avec un PNB de moins de 6000 $ par tête et une population jeune en forte croissance, ont terminé la phase du décollage économique pour entrer dans une économie industrielle,
Leur croissance est caractérisée par le développement des industries de base comme l'acier ou le textile. Les bénéfices tirés de ce développement leur permettent d'accroître la part des importations de produits manufacturés.
Dans la phase suivante du développement, leur croissance est tirée par des industries à plus forte valeur ajoutée comme la chimie, la métallurgie ou l'électronique. Elle s'accompagne alors d'investissements destinés à l'amélioration des infrastructures.
Les pays au PNB de plus de 6000 $ / tête sont caractérisés par des économies en phase de consolidation ; l'enrichissement des habitants leur permet d'envisager l'acquisition de biens de consommation durables : les ventes de logements ou d'automobiles assurent alors des relais de croissance significatifs.
Ce sont aussi des économies entièrement ouvertes aux investisseurs étrangers.
gers.
La plupart des pays émergents ont mis en place d'importantes politiques de réformes économiques, souvent sous l'impulsion des recommandations du FMI, destinées à moderniser leur appareil de production et à faciliter les échanges économiques. Ces réformes ont souvent été suivies d'une plus grande ouverture sur l'extérieur : tandis que l'ouverture au commerce mondial permettait de bénéficier du dynamisme des échanges internationaux, l'ouverture aux capitaux étrangers faciliterait le financement de projets portés par cette nouvelle dynamique industrielle.
Les crises asiatiques et russes ont montré la sensibilité des économies émergentes à leur environnement extérieur, sensibilité renforcée par l'absence de regroupement économique régionaux structurant.
Toutefois, les pays émergents sont fondamentalement des économies en fort développement : le tableau ci-dessous illustre que le rythme de croissance annuel moyen des pays émergents est bien supérieur à celui des pays développés.
Pays Touxde croissanceannuel moyen(PIBppa²1990)1997-1998
Amérique
du Nord 2,6%
Europe
de l'Ouest 2,4%
Japon 2,3%
Chine 9, 7%
Singapour 8,0%
Malaisie 7,2%
Thaïlande 7,0%
Chili 6,9%
Corée du Sud 6,3%
Inde 5,9%
Syrie 5,3%
Indonésie 5,3%
Nigeria 4,4%
Égypte 4,3%
Hong Kong 4,3%
Sri Lanka 4,2%
Colombie 3,8%
Philippines 3,5%
Maroc 3,4%
Équateur 3,4%
Mexique 3,2%
Argentine 3,1%
Brésil 1,6%
(Source: CEPII)
Les pays émergents continuent de représenter un potentiel de croissance important. Le PNB par tête demeure bien inférieur à celui des pays développés, de l'ordre du quart au tiers. La maturité de certaines industries n'est pas encore atteinte : dans le secteur des télécommunications par exemple, on compte environ 10 lignes pour cent habitants, à comparer aux 50 lignes pour cent habitants des pays développés. Les besoins d'infrastructures tels l'équipement en logements, la construction de routes ou l'aménagement du territoire demeurent importants. Enfin, l'aspiration des populations à un meilleur niveau de vie conduit la plupart de ces pays à poursuivre les transformations économiques engagées.
CARACTÉRISTIQUES PAR GRANDS BLOCS
Les pays émergents présentent des particularités liées à leur appartenance régionale.
L’ EUROPE DE EST
Les pays d'Europe de l'Est ont connu des réformes d'envergure marquées par le passage à l'économie de marché et la transformation des structures d'État centralisées en entreprises privées.
L'ouverture des pays de l'Est à l'économie internationale les a conduit à exporter plus massivement leur production industrielle tout en modernisant leur appareil de production ; l’UE absorbe désormais 75 % des exportations de la région. La croissance est également fortement tirée par le développement du tourisme, générateur de revenus supplémentaires, de consommations nouvelles et requérant des dépenses d'investissement adaptées.
Ces transformations économiques ont généré des flux de capitaux extérieurs en très forte hausse, passant de 600 Mds de $ en 1990 à 5,3 Mds de $ en 1993.
Les privatisations et introductions en bourse ont conféré aux marchés financiers locaux une plus grande profondeur (nombre de titres en circulation) et une croissance substantielle des volumes de transactions.
AMÉRIQUE LATINE
La restauration des termes de l'échange et une meilleure gestion macroéconomique ont permis la restauration de la compétitivité internationale des pays d'Amérique Latine et la stabilisation de leurs économies internes.
Passée la crise de la dette des années 80, ces pays sont entrés dans une nouvelle phase de croissance, principalement tirée par les importations des pays développés et facilitée par différents facteurs tels la baisse des taux d'intérêt ou le recul de l'inflation résultant de la maîtrise budgétaire.
D'autres facteurs ont contribué à restaurer la confiance des investisseurs, notamment la création du Mercosur(3), destiné à renforcer l'intégration économique régionale et les échanges commerciaux locaux.
Il en est résulté une augmentation sensible des exportations et un afflux de capitaux privés facilitant la poursuite de la croissance.
ASIE
Jusqu'à la survenance de la crise asiatique, cette région a été caractérisée par un accroissement notable du volume des échanges interrégionaux, alimentant un développement autoentretenu(4).
Les économies des pays d'Asie, qui dépendent beaucoup de la compétitivité de leurs exportations, ont bénéficié de conditions favorables en raison de la dépréciation de leur monnaie par rapport au yen, conférant une substantielle compétitivité prix à leurs exportations à destination du Japon.
En outre, la délocalisation des entreprises japonaises en recherche de meilleurs coûts salariaux s'est traduite par des investissement directs qui ont accru les flux de capitaux.
Les pays émergents de la zone ont connu tout au long de la période un surcroît de croissance créant des tensions inflationnistes.
MARCHÉS FINANCIERS ÉMERGENTS
APPROCHE PAR CATÉGORIES
Les marchés émergents ne sont pas nécessairement récents : ils englobent certes des marchés récemment créés
comme ceux de Panama ou de Slovaquie, mais aussi des marchés financiers beaucoup plus anciens comme celui de Bombay, fondé en 1887, celui de Rio (1845) ou Sao Paulo (1890).
Selon le degré de développement de leur marché financier, on peut distinguer trois groupes de pays.
Le premier groupe formé par des pays comme la Malaisie, le Mexique, la Corée, Taiwan ou la Thaïlande rassemble des économies dans lesquelles le marché financier a atteint un niveau de développement avancé et dont le fonctionnement est similaire à celui des pays développés. Sur ces marchés, les volumes de transactions et le niveau de capitalisation boursière sont élevés, et les systèmes de trading et de compensation sûrs et sophistiqués. Ils sont pour la plupart considérés ouverts à 100 % aux capitaux étrangers par VIFC et prennent place dans un environnement économique favorable, où l'inflation est maîtrisée et le système bancaire et financier environnant développé.
Ils connaissent néanmoins, quelques faiblesses endémiques qui empêchent de les assimiler aux marchés développés. Il s'agit notamment de la vulnérabilité des taux de changes ou du fait que les entreprises n'y respectent pas les normes internationales d'émission.
La deuxième catégorie est constituée de pays comme l'Argentine, le Brésil, l'Inde, le Nigeria ou les Philippines, dont les marchés financiers sont caractérisés par un faible volume de transactions, une capitalisation boursière peu élevée et une ouverture aux capitaux étrangers soumise à des législations locales destinées à en réglementer ou limiter l'accès ; en outre, les compartiments monétaires et obligataires de ces marchés sont relativement étroits.
Enfin, ils connaissent régulièrement des carences techniques de fonctionnement.
Ces marchés évoluent dans un environnement économique plus incertain, marqué par une inflation importante, une concentration du PIB sur quelques secteurs clef de l'activité ou des dévaluations fréquentes pour tenter de corriger les déséquilibres extérieurs.
La troisième catégorie est constituée de pays comme la Côte d'Ivoire, l’Équateur, le Ghana, le Guatemala ou la Russie, où les marchés financiers demeurent embryonnaires. Ces marchés sont caractérisés par un environnement économique et politique très incertain, et un fort cloisonnement qui limite l'accès des capitaux internationaux.
CRITÈRES QUANTITATIFS
Il n'existe pas de définition générique et universellement reconnue des « marchés émergents ». On notera toutefois que la définition de l’IFC fait référence et offre une première approche intéressante(5).
Il est courant également de raisonner par exclusion : serait émergent tout pays hors G 10 ou G 15, hors OCDE, ou hors indice de marché comme par exemple ceux de Morgan Stanley ou de JP Morgan, Un niveau élevé de croissance économique doit aussi justifier le qualificatif d'émergent, inséparable de l'espérance de gain des investisseurs, en recherche de relais de croissance extérieure.
CRITÈRES FINANCIERS
Les marchés émergents sont avant tout des marchés inachevés de par leur organisation, leur fonctionnement, leur surface financière ou la disponibilité des instruments, mais porteurs de fortes opportunités : si l'émergence d'une économie ne suffit pas à observer le développement d'un marché financier, elle est en revanche une condition nécessaire à l'existence d'un tel marché.
Celui-ci est souvent de taille modeste en terme de volume de transactions ou de capitalisation. L'ouverture aux capitaux étrangers n'y est pas toujours complète et il présente fréquemment des lacunes de fonctionnement ou de réglementation.
La capitalisation boursière n'y est généralement pas uniformément distribuée sur l'ensemble des valeurs cotées, mais au contraire très nettement concentrée sur quelques valeurs phares.
Il résulte de l'ensemble de ces facteurs une volatilité importante des cours ; celle-ci est souvent associée à des PER (6) élevés de sorte que l'on pourrait presque exclusivement caractériser les marchés financiers émergents par l'existence d'un couple risque/rendement élevé.
Les PER observés sur les marchés financiers émergents au cours de la décennie 90 ont traduit les anticipations des investisseurs en terme de retour sur investissement et la baisse progressive de la prime de risque. Les évolutions de l'indice IFC témoignent que la croissance des marchés financiers est bien allé de pair avec celle des économies.
Toutefois, les marchés financiers émergents demeurent des marchés où le risque est naturellement plus élevé que celui des pays développés. Ce risque est à la fois le fait de facteurs financiers, propres au fonctionnement ou à l'organisation des marchés comme le risque de change ou l'étroitesse du marché (illiquidité, faiblesse du nombre d'intervenants, distorsion de la capitalisation sur quelques valeurs phares), mais également de risques liés à l'organisation de l'économie locale, tels le risque politique, la pérennité incertaine des réformes ou des faiblesses économiques endémiques (ex. : manque de transparence du système bancaire local).
Ces risques se traduisent par des performances volatiles ou par la survenance de crises majeures comme celle de 1997.
CONCLUSION
Les marchés émergents ont connu une croissance soutenue au cours des deux décennies précédentes : leur capitalisation boursière a décuplé de 146 Mds de $ à 1 600 Mds de $ entre 1984 et 1994, passant de 4 % à 13 % de la capitalisation boursière mondiale. En octobre 1999, la capitalisation boursière de ces marchés s'élevait à 2500 Mds de $.
Cette croissance des marchés s'est accompagnée de bonnes performances: l'indice IFC a progressé de 2,4 % entre 1990 et 1994, à comparer à la progression de 11 5 % de l'indice S&P 500 pour les Etats-unis sur la même période.
La croissance des marchés Financiers émergents a motivé l'attrait des investisseurs tout au long de la décennie, les flux de capitaux facilitant en retour la croissance économique des pays d'accueil. Un cercle vertueux s'était ainsi mis en place jusqu'à ce que la crise de la fin de la décennie vienne brutalement rappeler certaines faiblesses endémiques de ces économies et leur besoin de réformes supplémentaires.
Amaud Millien, ENSAE 94
(1)CF. Infra : classification de la Banque Mondiale.
(2) PIB mesuré au prix et en parité de pouvoir d'achat (PPA) de 1990.
(3)Argentine, Paraguay, Brésil, Uruguay.
(4)C'estàdire, ne reposant pas sur l'ouverture à l'ensemble du commerce international.
5. Voir définitions particulières, page 36.
6. PER (price earning ratio) ou Multiple de capitalisation : c'est le rapport cours/bénéfice de l'action.
Aucun commentaire
Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.