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04 novembre 2003

Jean-Michel Charpin, Ensae 73 Commissaire au Plan

Publié par Pierre Morichau | N° 15 - Economie de l'eau

La finance était inexistante à l'Ensae quand j'y suis entré en 1971, mais l'ordinateur était déjà une banalité. Je l'ai toujours connu. Aujourd'hui, l'écran sur mon bureau me sert surtout à communiquer, plus qu'à faire des calculs, mais il me sert beaucoup.

Je n'ai pas envisagé sérieusement d'autre profession que celle d'économiste. Après l'X, j'ai étudié l'économie sous trois aspects différents: les instruments scientifiques à l'Ensae, la réalité quotidienne et l'histoire à Sciences﷓Po et la théorie en faculté. Comme professeurs, je n'a i eu ni le prix Nobel Maurice Allais ni le futur Premier ministre Raymond Barre, qui venaient de quitter l'école, mais j'ai été profondément marqué par Edmond Malinvaud et son enseignement. À l'Ensae, je voulais apprendre à formaliser l'économie, science que j'ai pourtant toujours considérée comme sociale et humaine, et je n'ai pas été déçu.

TOUT COMMENCE AVEC LA RECHERCHE

Une fois diplômé, j'ai passé six ans à l'Insee, au Service des programmes. J'ai participé à la construction du modèle DMS (Dynamique Multi-Sectoriel) qui a servi à simuler le fonctionnement de l'économie française pendant une dizaine d'années. Après, l'ai dirigé l'équipe qui mettait DMS en oeuvre. Les demandes de simulations provenaient du Commissariat général du Plan. Avec le recul, je trouve que nous avons été meilleurs dans la protection des tendances ﷓ par exemple avec les 2,5 millions de chômeurs en 1985 annoncés en 1978 ﷓ que dans l'analyse des préconisations de politique économique.

Ensuite, je suis allé deux ans à Bruxelles, appelé par Jean Claude Morel (Ensae 1956), auprès de la Commission européenne. J'étais responsable des projections économiques à moyen terme, ce qui était comparable à mes responsabilités précédentes. Je mettais en oeuvre le modèle COMET bâti par l'université de Louvain. C'est un souvenir agréable: le large champ géographique, les collègues de nationalités variées, la diversité des langues et des cultures. La Grande-bretagne faisait déjà partie de la Communauté, mais la langue anglaise n'était pas encore totalement dominante. J'avais conservé le poste de professeur d'économie à l'Ecole Centrale de Paris, ce qui me faisait revenir une foi~ par semaine.

De retour à Paris, en 1981, j'ai remplacé Jérôme Vignon (Ensae 1969) à la tête du Service des programmes de l'Insee; il avait été appelé au cabinet de Jacques Delors alors Ministre de l'économie et des finances. Cela me faisait travailler très souvent avec le Commissariat général du Plan.

LA POLITIQUE, OU PRESQUE

En 1983, je fus appelé comme Directeur de cabinet par Jean Le Garrec, Secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du Plan. Je n'étais évidemment pas dépaysé par le domaine de travail, mais cette fonction politique était entièrement



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Figure n°1 :


nouvelle pour moi. Nous avons préparé le Neuvième Plan et conclu la première génération des contrats de plan État-région. Au bout de quinze mois, Jean Le Garrec devint chargé de la Fonction publique et me demanda de demeurer son Directeur de cabinet. Je me suis initié à la gestion des statuts. Début 1985, nous avons négocié un accord salarial qui renouait avec une approche contractuelle interrompue depuis 1982.

On s'intéressait déjà à la réforme de l'État et aux simplifications administratives. Nous avons connu des succès divers. Une de nos actions fut de « personnaliser les contacts ». Concrètement cela a consisté, entre autres, à introduire la mention « Affaire suivie par.. » suivie du nom d'une personne sur tous les documents administratifs. Ce ne fut pas une réussite totale (je crois bien qu'il reste encore à faire à ce jour) mais ce fut un bon début. J'en garde le souvenir d'une expérience enrichissante, même si elle m'avait éloigné de mes compétences.

RETOUR VERS LE FUTUR

Après cet épisode politique, j'ai succédé à Yves Berthelot (Ensae 1963) à la tête du CEPII (Centre d'Études Prospectives et d'Informations Internationales). Je retrouvais la recherche, la prévision à moyen-terme et l'environnement international. Ce fut une période animée: les accords du Louvre et du Plaza, l'arrivée de Gorbatchev à la tête de l'URSS, le marché unique européen (à mettre en place pour 1992) et la perspective de la monnaie européenne unique (rapport Delors en 1989), la chute du mur de Berlin et l'unification allemande... Je participais au « comité Cecchini » à Bruxelles; son objet était d'estimer les bénéfices potentiels de la réalisation du Marché unique.

C'est en 1990 que je me suis plongé pour la première fois dans le monde de l'entreprise. Daniel Lebègue, alors Directeur général de la BNP (maintenant DG de la Caisse des Dépôts et Consignations), m'appela à la Direction des études économiques de la banque. Je l'avais connu pendant que j'étais au CEPII et qu'il était Directeur du Trésor. Il avait été très actif dans les négociations monétaires dont j'ai déjà parlé.

J'ai ainsi découvert la réalité des marchés financiers, que je ne connaissais que de façon académique. Désormais, pendant quatre ans, j'allais devoir penser quelque chose tous les jours du PIBOR (Paris Inter Bank Offered Rate, en français: TIOP, Taux Inter﷓bancaire Offert à Paris) et du cours du dollar.. En 1992, j'ai prés 1 dé le groupe « Perspectives économiques» du Onzième Plan. Avec Bernard Brunhes (Ensae 1963) et Patrick Artus (Ensae 1975) nous avons plaidé en faveur de l'allègement des charges sur les bas salaires. Quelques mois après, la suggestion fut mise en oeuvre par le gouvernement Balladur. Ça vaut parfois vraiment la peine de faire avancer une idée originale.

L’ARGENT ET LES RISQUES

En



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Figure n°2 :


199,4, le nouveau P﷓DG Michel Pébereau me proposa d'entrer au comité de direction générale de la BNP et de créer la direction de la gestion actif-passif. C'était un métier nouveau en France, et en forte croissance; le monde de la banque allait découvrir (avec nous) que l'Ensae y préparait remarquablement bien. J'ai accepté, sans bien réaliser que j'allais manier des sommes colossales à longueur de journée. Si le l'avais su, j'aurais probablement hésité. J'aurais eu tort car j'en garde le souvenir d'une activité passionnante, alliant la théorie, la mesure et l'action pour optimiser la gestion des risques financiers. Je suis d'ailleurs devenu président de l'AFGAP (Association Française des Gestionnaires Actif-Passif).
Pendent cette période, j'ai aussi consacré du temps à la préparation de l’euro, tant au sein de la BNP que pour la place bancaire de Paris. Je reste convaincu que la compétition entre Paris, Londres et Francfort va être rude, et que son enjeu mérite qu'on s'y consacre.

DE NOUVEAU, LE SERVICE PUBLIC

En juillet 1997, j'ai été appelé par le Premier ministre au Conseil d'analyse économique. Puis, en janvier 1998, j'ai été nommé à la tête du Commissariat général du Plan, auquel je n'avais jamais appartenu mais que je connaissais bien. J'ai le goût du service public et je pense que le Commissariat remplit une fonction particulière, très utile, dans le dispositif français de préparation des décisions publiques. Avec sa méthode, fondée sur l'expertise et la concertation, il a su souvent favoriser de façon décisive la modernisation de l'économie et de la société françaises.

ET LE RESTE ...

Pour ne pas obscurcir le propos, j'ai passé sous silence mes activités annexes au cours de ma carrière. J’ai dit que j’avais enseigné l'économie à Centrale, de 1977 à 1982. J'ai aussi enseigné l'économie internationale à l'Ena de 1988 à 1991. J'ai participé à divers titres au débat d'idées. J'ai été conseiller municipal de la ville de Malakoff de 1983 à 1995, activité qui m'a beaucoup intéressé, même si, ou peut-être parce que l'on ne s'y occupe que des détails de la vie quotidienne. Je suis administrateur d'EDF

EST﷓CE QUE JE ME SUIS DISPERSE ?

Non, je n'ai pas ce sentiment. Après la recherche, j'ai été fonctionnaire français, fonctionnaire européen, membre de cabinet ministériel et responsable dans le secteur privé. J'ai navigué sans jamais prendre modèle sur une personne précise. Pourtant, je crois n'avoir jamais perdu de vue mon vrai métier, celui d'économiste. Je l'ai exercé avec rigueur et enthousiasme. Il m'a bien préparé à mes responsabilités actuelles. Je ne me demande jamais ce que je ferai ensuite: il y a tant de choses à faire au Commissariat général du Plan!

Propos recueillis par Pierre Morichau ENSAE 67

Autrice

Pierre Morichau

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