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13 novembre 2003

financières et Contagion

Publié par Enisse Kharroubi | N° 16 - Les marchés financiers émergents

par Enisse Kharroubi (99), chercheur au DELTA


« When the U.S. sneezes, Mexico catches a cold». C'est ainsi que Joseph Stiglitz(1) introduisait un discours prononcé en 1999 sur le thème : Crises financières, Implications pour la réglementation bancaire, soulignant par là le degré d'interdépendance de l'économie mondiale. Cette phrase est également révélatrice de la manière dont sont analysées les crises financières des pays émergents. Alors qu'on cherchait auparavant l'explication des crises dans les politiques économiques mises en place, le discours des économistes tend à reconnaître aujourd'hui le rôle des pays développés, en particulier dans la promotion de certaines politiques économiques qui ont joué un rôle de catalyseur de crises, notamment par phénomène de contagion. L'ouverture des marchés de capitaux, par exemple, en théorie avantageuse pour les pays émergents en terme de baisse du coût du capital ou de meilleure allocation des ressources facilite aussi le retrait massif et rapide des investisseurs privés en cas de retournement du marché.

Les crises financières des pays émergents ont été l'occasion d'une abondante littérature économique sur les phénomènes de contagion. Nous présenterons l'évolution des explications qu'on peut y rencontrer ; après quoi, nous nous attarderons sur les causes et les symptômes des phénomènes de contagion.

LES MODÈLES DE CRISES FINANCIÈRES

De nombreux modèles ont été échafaudés pour expliquer les crises financières et leurs mécanismes. On peut les classer en trois catégories.
Les premiers modèles formalisent les crises de balance des paiements (Krugman, 1979) ; ils reposent sur l'idée qu'une crise financière peut se prévoir à partir de la dégradation régulière ou prévisible des variables fondamentales de l'économie. Ces modèles soulignent que le déclenchement d'une crise n'est pas un phénomène purement aléatoire. Dans leur optique, il s'agit au contraire d'un phénomène engendré par les déséquilibres économiques, en particulier les déficits publics. Ce type de modélisation met également l'accent sur les contradictions que fait surgir la définition d'objectifs économiques antinomiques : les politiques monétaires et fiscales sont en général incompatibles avec un taux de change stable.
Les limites de ce genre de modélisation sont apparues assez rapidement. Les crises du SME en 1992 et du Mexique en 1994 ont montré qu'une crise financière pouvait survenir en l'absence d'objectifs économiques contradictoires. Le renversement des flux de capitaux au cours de ces crises a surtout manifesté le retournement de sentiment des marchés. Toutefois, les modèles de seconde génération issus de ce constat (Obstfeld, 1986, 1994) se sont bornés à expliquer les crises financières par l'adjonction des anticipations des agents privés aux variables utilisés dans les modèles de première génération. Ces anticipations pouvaient alors modifier par avance les variables fondamentales de l'économie.

L'apparition des modèles de troisième génération est, elle, directement liée à d'aléa moral leur permettent de ne pas supporter les coûts de la crise.

LES EXPLICATIONS APPORTÉES AUX PHENOMENES DE CONTAGION

On peut identifier quatre sources de contagion de crises financières.

Le changement de sentiment des investisseurs ou wake﷓up colt, survient lorsqu'une crise dans un pays donné entraîne une modification des anticipations des investisseurs envers les autres pays. Les pays dont les systèmes financiers sont les plus vulnérables sont alors ceux sur lesquels les effets de contagion ont la plus grande ampleur. La chute d'une monnaie entraînant des craintes de même nature pour d'autres économies, les anticipations des investisseurs les incitent à tirer profit d'éventuelles dévaluations ultérieures : leurs cibles sont alors les monnaies dont on sait qu'elles seront défendues sans succès. Certains indicateurs permettent d'identifier cette vulnérabilité comme la proportion des prêts à court terme dans la dette, la différence moyenne de maturités entre actifs et dettes ou le rapport des réserves aux emprunts à court terme libellés en devises. La fragilité du système bancaire peut faciliter l'effet de contagion dans la mesure où elle limite les capacités d'intervention des autorités monétaires : une hausse des taux risque de provoquer des faillites bancaires, entraînant à leur tour des faillites en chaîne dans le reste de l'économie.

Les autres explications des phénomènes de contagion peuvent être réunies autour de trois thèmes : les conditions d'environnement international, les liens commerciaux et enfin les liens financiers.

Les évolutions conjoncturelles des pays développés ont une influence accrue sur les économies des pays tiers. Certaines variables clefs de l'économie mondiale produisent des effets induits : ainsi en est﷓il des taux d'intérêt américains, du cours de certaines matières premières, du niveau d'activité des pays industriels ou encore des variations des taux de change entre pays développés, particulièrement lorsque les taux de change des pays en développement sont fixés par rapport à un panier de ces monnaies. Dans ce cas, les crises naissent de l'interaction entre un choc commun à l'ensemble de l'économie mondiale et la situation des fondamentaux de l'économie en question. La hausse des taux américains durant les années quatre﷓vingt a ainsi été un facteur important dans le déclenchement de la crise de la dette en Amérique Latine. La hausse du dollar durant la période 1995﷓1997 ainsi que la faiblesse de la demande au Japon ont également contribué à affaiblir les économies de plusieurs pays asiatiques.

Les phénomènes de contagion se transmettent également par l'intermédiaire des échanges commerciaux. Lorsqu'une économie subit une crise marquée par une importante dépréciation de sa monnaie, d'autres économies peuvent supporter en partie le coût de la crise puisqu'elles doivent affronter une économie, certes en crise, mais dont la production est désormais plus compétitive. Lorsque la dépréciation de la monnaie est accompagnée comme c'est le cas en général d'une baisse des importations, il s'ajoute alors un effet revenu qui diminue encore les exportations des économies partenaires. De plus, ces effets prix et revenu jouent non seulement dans les liens bilatéraux mais aussi sur les marchés tiers ce qui en aggrave l'ampleur.

En dernier lieu, le canal de transmission des crises ayant fait l'objet du plus grand nombre d'études est certainement le canal financier. On peut schématiser ses effets de la manière suivante. Lorsque survient une crise dans un pays donné, les investisseurs éprouvent le besoin de reconstruire leur portefeuille en fonction des nouveaux événements pour se mettre en conformité avec leur standard de gestion de risque, de liquidité ou autre. Le déclenchement d'une telle crise amène les investisseurs à vendre une partie de leur portefeuille, notamment les actifs dont les rendements sont les plus incertains et/ou positivement corrélés aux actifs du pays en crise. La vente d'actifs liquides répond de la même manière au souci de se prémunir contre le risque. Ainsi, des pays dont les rendements sont positivement corrélés et dont la liquidité est suffisante sont susceptibles de subir de forts effets de contagion, indépendamment de leurs fondamentaux macro﷓économiques. Enfin, une forte pondération d'un pays dans les portefeuilles des investisseurs subissant la crise peut provoquer de profonds mouvements de capitaux, là encore, indépendamment des données de l'économie réelle.

En conclusion, on peut dire quelques mots des études empiriques. Une des méthodes utilisées pour détecter les effets de contagion par les crises financières a été de supposer des modèles dans lesquels les mouvements des fondamentaux expliqueraient, au moins en partie, les mouvements de prix des actifs. Les échecs relatifs de ces modèles ont souvent été interprétés comme la preuve de l'existence d'effets de contagion, les fondamentaux d'une économie donnée n'expliquant qu'une faible partie de la variation du prix des actifs.

Cependant, ces résultats demeurent assez pauvres pour plusieurs raisons. En particulier, il se peut que les variables utilisées pour décrire les fondamentaux de l'économie ne contiennent pas l'ensemble des variables pertinentes. Le champ des études empiriques et de ses enseignements demeure donc encore un domaine à explorer.

Enisse Kharoubi, ENSAE 99

1 . NDLR : Joseph Stiglitz est le Chief Economist de la Banque Mondiale.

Autrice

Enisse Kharroubi

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