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16 avril 2007

Les enjeux de la réforme Solvabilité II

Viviane Leflaive (2000), Senior Manager – KPMG,
Responsable de la veille réglementaire et technique du département assurance

Dans quelques mois, les grandes orientations de Solvabilité II seront fixées dans la proposition de directive que la Commission Européenne fera au Parlement et au Conseil. Or, si quelques grands principes semblent d’ores et déjà acquis, d’autres font encore l’objet de débats intenses mettant en évidence les enjeux de cette réforme essentielle pour le secteur de l’assurance.

L’évolution du cadre prudentiel est, avec la seconde phase du projet de norme comptable internationale sur les contrats d’assurance, la réforme qui aura le plus d’influence sur le paysage de l’assurance en Europe pour les années à venir. Or, si le projet comptable semble aujourd’hui connaître une progression difficile ou en tout cas plus lente que prévue, l’élaboration du projet de directive Solvabilité II est aujourd’hui dans une phase très active. 2006 a en effet été marquée par les deux premières études quantitatives d’impact (QIS 1 sur l’évaluation des provisions techniques et QIS 2 sur la formule standard pour le calcul de l’exigence de marge) et par la publication en fin d’année par le CEIOPS des derniers documents de consultation avant la proposition de directive par la Commission.
Certes, la publication de cette proposition en juillet 2007 ne marquera pas la fin du processus Solvabilité II puisque, conformément à l’approche Lamfalussy, la directive sera complétée par des mesures d’exécution techniques et des recommandations interprétatives pour en harmoniser la mise en œuvre à l’horizon 2010 / 2011. Elle en fixera cependant les grandes orientations par un accord sur les principes cadres et la définition des compétences d’exécution. Si l’on tient compte du temps nécessaire à la rédaction et à la traduction de la proposition de directive, il ne reste donc plus que trois ou quatre mois à tous les acteurs du projet (organismes d’assurance et de réassurance, autorités de contrôle, assurés, actuaires, auditeurs…) pour faire entendre leurs voix sur les enjeux politiques, techniques et organisationnels de cette réforme majeure.

Les objectifs d’un régime prudentiel

Solvabilité II vise à harmoniser et à moderniser les règles de solvabilité applicables à l’ensemble des organismes d’assurance afin :
Ø d’améliorer la protection des assurés,
Ø d’inciter les entreprises à améliorer la gestion de leurs risques par la prise en compte, dans l’appréciation de la solvabilité des assureurs, d’éléments qualitatifs tels que la gouvernance, la gestion des risques et le contrôle interne,
Ø de permettre aux autorités en charge du contrôle prudentiel de disposer d’outils mieux adaptés pour évaluer la solvabilité des institutions en se basant sur des approches prospectives et orientées vers les risques,
Ø d’assurer une application harmonisée entre les pays de l’Espace Économique Européen et de favoriser la convergence avec les systèmes de contrôle de la solvabilité d’autres pays et d’autres secteurs financiers.

L’objectif d’harmonisation suppose au minimum une vision commune des objectifs du régime prudentiel. Un haut niveau de consensus n’était pas nécessaire pour Solvabilité I puisque chaque État membre restait libre de compléter le dispositif minimal prévu par la directive par des exigences complémentaires. Pourtant, les objectifs du régime prudentiel semblent encore faire débat. En témoignent les amendements apportés en avril 2006 au cadre de consultation élaboré par la Commission Européenne pour Solvabilité II : des objectifs complémentaires tels qu’améliorer la compétitivité des assureurs européens, ne pas entraver l’innovation dans le secteur de l’assurance ou encore favoriser une juste concurrence ont en effet été ajoutés à l’objectif initial de protection des assurés. L’importance accordée à ces différents objectifs ne sera évidemment pas neutre lors des discussions sur la calibration de l’exigence de capital ou encore sur la prise en compte ou non de nouvelles méthodes de transfert de risques telles que la titrisation des risques d’assurance.

Exigence de capital ou de transparence ?

Des divergences sont également apparues sur les moyens les plus adéquats pour atteindre ces objectifs. L’exemple le plus parlant est sans doute l’amélioration de la protection des assurés. Cet objectif est l’élément fondateur du contrôle de l’assurance : sans intervention publique, l’asymétrie d’information entre l’assuré et l’assureur sur la solvabilité de ce dernier entraverait en effet le développement d’une activité basée sur une promesse, parfois à très long terme, de l’assureur envers l’assuré. Tous s’accordent sur l’objectif. La réponse traditionnelle de l’exigence de capital et du contrôle par l’État n’est cependant pas uniformément partagée. Certains estiment en effet que des exigences accrues de transparence pourraient se substituer au moins partiellement à l’exigence de capital. C’est d’ailleurs la solution retenue par la Nouvelle-Zélande dont le régime prudentiel se résume presque exclusivement à l’obligation faite aux assureurs d’indiquer aux souscripteurs potentiels la notation obtenue auprès des agences de rating à la conclusion ou lors du renouvellement d’un contrat. Si aucun État européen ne préconise cette solution extrême, certains estiment toutefois qu’une exigence de capital calibrée pour éviter les faillites avec un seuil de confiance élevé (complétée qui plus est dans certains pays par des fonds de garantie) fait peser une contrainte trop forte sur la compétitivité des assureurs. Ils soutiennent que l’exigence pourrait être allégée en favorisant une responsabilisation accrue des assurés par une augmentation sensible des informations données au public. Ces considérations influenceront sans nul doute les discussions sur l’articulation entre les différentes exigences du projet Solvabilité II.

Solvabilité II : 3 axes d’harmonisation

L’architecture du projet Solvabilité II, organisée en trois piliers, est inspirée de celle de Bâle II (ce qui ne signifie pas que le contenu ou l’importance relative des piliers soient nécessairement identiques). Elle vise à harmoniser la mise en œuvre des exigences au niveau européen tout en appréhendant mieux le profil de risques spécifique à chaque entreprise :
ü à travers les exigences quantitatives du pilier I, en harmonisant le niveau de prudence des provisions techniques mais en offrant la possibilité de calculer le besoin de marge à partir d’un modèle interne,
ü à travers les exigences qualitatives du pilier II, par l’harmonisation des pratiques de contrôle des autorités européennes mais en intégrant à l’appréciation de la solvabilité le dispositif de contrôle interne et de gestion des risques mis en œuvre par l’entreprise,
ü à travers le pilier III, par l’harmonisation des exigences en matière d’information à donner au public et à l’autorité de contrôle.

Les conditions d’une harmonisation réelle du niveau des provisions

L’harmonisation du mode de calcul des provisions est l’un des enjeux majeurs de Solvabilité II. Il subsistait en effet dans le cadre de Solvabilité I des méthodes d’estimation, et donc un niveau de prudence des provisions, assez hétérogènes entre les pays de l’UE, voire entre les différents assureurs au sein d’un même pays. Or, si l’on considère un assureur dont les engagements techniques représentent 80 % du total de bilan et les capitaux propres 10 % (chiffres cohérents avec les données de marché), une incertitude de 1 % sur le montant des provisions techniques se traduit par une incertitude de 8 % sur les capitaux propres et le capital est en réalité nul si les provisions sont sous-évaluées de 12,5 %. Une évaluation harmonisée des provisions techniques est donc un prérequis essentiel pour l’harmonisation des exigences prudentielles.
Après un débat intense, il semble aujourd’hui à peu près acquis que les provisions seront établies sur la base de la valeur actuelle des flux futurs (best estimates), actualisée au taux de marché et augmentée d’une marge pour risque calculée selon l’approche « coût du capital » . Les études quantitatives d’impact ont toutefois mis en évidence que même lorsque les entreprises appliquent la même méthode, le paramétrage des hypothèses peut parfois conduire à des évaluations significativement différentes. L’objectif d’harmonisation risque donc de ne pas être atteint si les lignes directrices d’application ne s’avèrent pas suffisamment précises. Des travaux sur ce thème sont actuellement en cours, notamment au sein du Groupe Consultatif actuariel européen.

Quel rôle pour le MCR ?

Concernant l’exigence de capital, l’une des grandes nouveautés de Solvabilité II est que le dispositif envisagé repose sur deux niveaux différents de marge de solvabilité :
§ le « Minimum Capital Requirement » (MCR) : niveau minimal de fonds propres en deçà duquel l’entreprise d’assurance présente un risque inacceptable de ne pas pouvoir honorer ses engagements,
§ le « Solvency Capital Requirement » (SCR) : niveau cible de fonds propres permettant à une entreprise d’assurance de faire face à des pertes imprévues et procurant aux assurés une garantie raisonnable que l’assureur honorera ses engagements. Comme dans le dispositif Bâle II, ce niveau peut être déterminé à partir d’une formule standard ou d’un modèle interne sous réserve dans ce dernier cas de l’approbation préalable des autorités de contrôle.
Différentes conceptions s’opposent encore sur le rôle du MCR et ses modalités de calcul. Pour la majorité des membres du CEIOPS, le MCR doit constituer le seuil d’alerte au-delà duquel l’autorité de contrôle prend les mesures les plus graves comme le retrait d’agrément. Puisque la survie de l’entreprise concernée est en jeu et puisque ces mesures sont, plus que toutes autres, susceptibles de recours devant les tribunaux, le MCR doit reposer sur un calcul très simple, facile à auditer et tenir compte des dépenses supplémentaires liées au passage d’une logique de continuité d’exploitation à une logique de liquidation. Pour le Comité Européen des Assurances (CEA), le MCR constitue seulement l’une des extrémités de l’échelle d’intervention graduée des superviseurs. Pour assurer la cohérence de cette intervention, il est alors essentiel que le calcul du MCR suive la même logique que celui du SCR. Le CEA préconise donc de calculer le MCR comme un pourcentage du SCR, que ce dernier soit calculé selon la formule standard ou en application d’un modèle interne.

Quel degré d’harmonisation des pratiques de contrôle ?

Le pilier II regroupe les exigences qualitatives du régime prudentiel. Le premier volet s’adresse aux organismes d’assurance et vise à assurer l’existence d’un environnement de gestion des risques et de contrôle interne adapté, le tout dans un cadre de gouvernance renforcé. Contrairement au secteur bancaire où les exigences de contrôle interne étaient déjà intégrées dans la réglementation prudentielle avant la réforme Bâle II, ce volet constitue pour l’assurance l’une des nouveautés de Solvabilité II.
Le second volet du pilier II concerne le processus de supervision externe et vise en particulier à harmoniser les pratiques de contrôle des autorités des différents États. Cela suppose non seulement que les autorités disposent des mêmes pouvoirs mais aussi qu’elles en fassent un usage comparable. C’est dans ce contexte qu’est né le débat autour de la possibilité pour une autorité de contrôle d’imposer une exigence de capital supplémentaire (capital add-on) au-delà de celle qui résulterait du pilier I, par exemple en cas de déficience du contrôle interne. Tous les États membres s’accordent sur la nécessité de prévoir cette possibilité. Pour certains, son usage doit toutefois être exceptionnel, temporaire et encadré par des principes stricts permettant de garantir une application équitable de cette exigence sur tout le territoire de l’Union. Pour d’autres au contraire, alors qu’une harmonisation maximale doit être recherchée pour les piliers I et III, le pilier II doit donner aux différentes autorités un cadre harmonisé mais au sein duquel elles doivent pouvoir agir selon la « culture de contrôle nationale ».

Comment prendre en compte les effets de diversification ?

L’assurance reposant sur la mutualisation des risques, la prise en compte des bénéfices de diversification, ou à l’inverse des effets de contagion, est l’un des enjeux importants pour l’évaluation des provisions et le calcul de l’exigence de capital. La diversification peut s’envisager à plusieurs niveaux : mutualisation de risques de même nature au sein d’un portefeuille de contrats, corrélation entre risques de nature différente au sein d’une même entité sociale et enfin diversification entre différentes entités sociales au sein d’un même groupe.
Mutualiser les risques au sein d’un portefeuille fait l’objet d’un consensus de longue date dans le secteur de l’assurance et trouve naturellement son expression dans l’évaluation des provisions techniques d’une marge pour risque définie au niveau du portefeuille. La mutualisation des risques est également reflétée dans la formule standard de calcul du SCR, par exemple par un ratio fonction de l’écart type pour le calcul du risque technique non-vie.
Intégrer la corrélation des risques au sein d’une même entité sociale est également largement admise. Elle est reflétée dans la formule standard par les modalités d’agrégation des facteurs de risque : matrice de corrélations ou formule en racine carrée pour les risques jugés indépendants. Les études quantitatives d’impact ont toutefois mis en évidence des difficultés d’estimation des corrélations entre certains risques (notamment entre le risque opérationnel et les autres risques) ainsi que des problèmes de calibration des corrélations. Ces points feront l’objet d’études complémentaires lors du QIS 3.
La question des effets de diversification entre les entités sociales d’un même groupe fait en revanche encore débat. Le contrôle de l’assurance en Europe est en effet basé sur l’approche dite « solo + » selon laquelle le contrôle s’exerce avant tout sur base sociale puis est complété par une surveillance au niveau du groupe. Cette surveillance complémentaire est exercée par l’autorité de contrôle du pays siège en coopération avec les autres autorités de contrôle concernées. Cette approche n’est pas remise en cause par Solvabilité II, même si la nouvelle directive devrait renforcer la coopération existante. Or, si tous s’accordent pour évaluer les effets de diversification entre entités sociales dans l’appréciation de la solvabilité du groupe, les modalités de mesure de ces effets et surtout leur éventuelle allocation au niveau social pour l’appréciation de la solvabilité solo ont pu susciter l’inquiétude des autorités de contrôle. L’une des principales craintes au cas où une filiale bénéficierait d’une exigence de capital plus faible du fait de la diversification au sein d’un groupe est que cette filiale ne soit pas en mesure d’honorer ses engagements si le groupe décidait de s’en séparer alors qu’elle se trouve en difficulté financière. Différentes solutions ont été avancées, parmi lesquelles limiter la prise en compte des effets de diversification à hauteur du montant garanti par le groupe (par une lettre de crédit ou tout autre engagement en capital) à condition que cette garantie puisse à être appelée tout moment par les autorités de contrôle des filiales concernées. Certains jugent cette exigence excessive et estiment suffisant de donner aux autorités de contrôle le pouvoir d’exiger un transfert d’actifs en faveur des filiales en difficulté financière. D’autres, en particulier les nouveaux États membres, soulignent que la juste concurrence au sein d’un marché national ne serait pas respectée si les filiales de groupes paneuropéens pouvaient, par les effets de diversification, opérer sur un marché avec un capital significativement inférieur à celui exigé des entités n’opérant que sur ce marché.

Un consensus à construire entre tous les acteurs

Les prochains mois devraient être décisifs pour Solvabilité II. L’implication de tous les acteurs durant cette période est cruciale pour que ces débats soient tranchés avec toute la réflexion qu’ils méritent. Une fois les grandes orientations définies, l’effort devra toutefois être poursuivi pour que les mesures d’exécution et les interprétations garantissent une réelle harmonisation.

Autrice

Viviane Leflaive (2000)

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