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13 novembre 2003

L’émergence dans la globalisation : le prix à payer

par Nguyen The Van (67), sous﷓directeur, Groupe BNP-Paribas


L’ÉMERGENCE DANS LA GLOBALISATION: LE PRIX À PAYER

Personne ne peut nier que la mondialisation a joué un rôle crucial dans l'émergence de certains pays en développement, ou point de leur permettre parfois d'être qualifiés de nouveaux pays industriels. Si les pays émergents ont connu depuis quinze ans une expansion économique aussi forte, ils le doivent en grande partie à l'investissement direct étranger et à leur accès aux marchés de capitaux internationaux. Sans les mouvements de capitaux, les pays émergents trouveraient difficilement à financer leurs investissements. Ils dépendraient des financements publics et des concours des organisations internationales, ce qui contraindrait fortement leur croissance. La globalisation a limité le protectionnisme et ouvert des débouchés pour de nombreux pays. Elle a permis aux pays riches de placer l'épargne dans des emplois vraiment rémunérateurs, autorisant à son tour l'expansion des pays émergents. Mais cette émergence a un prix.

En effet, cette prospérité est allée de pair avec une montée de l'instabilité qui, longtemps sous﷓jacente et ignorée, a brusquement été révélée par la crise asiatique de juillet 1997. Cette crise a fait perdre leur emploi à des dizaines de millions de personnes et a affecté dramatiquement le niveau de vie de centaines de millions d'autres dans la région, alors que le ralentissement induit de la croissance dans les pays occidentaux a été de courte durée et de faible ampleur.

On doit aussi noter la montée des inégalités. Au niveau international, tous les pays ne sont pas à égalité devant la mondialisation. Le continent africain n'a pas profité de la forte croissance des flux de capitaux privés et reste tributaire de l'aide publique au développement. En revanche, l'Asie a été l'une des régions à tirer le plus de profit de la mondialisation, en dépit de la crise financière. Les inégalités augmentent également à l'échelon national, La progression du revenu moyen par habitant n'a souvent résulté que de celle de très hauts revenus, et le progrès ne profite pas également à tout le monde.

D'une manière plus générale, on ne peut passer sous silence les aspects éthiques de la mondialisation, qui affecte plus particulièrement les pays en développement. La mondialisation, en incitant parfois à une exploitation non écologique des ressources, peut contribuer à la dégradation continue de l'environnement, surtout dans les pays pauvres, qui doivent donner la priorité à la rentabilité économique. C'est aussi dans ces pays que la sécurité sanitaire est la plus menacée, car la multiplication des échanges s'accompagne d'une mondialisation des risques en termes de santé (propagation du SIDA ... ). La criminalité, elle aussi, se développe en se mondialisant. En particulier, l'intégration des marchés financiers émergents en même temps que les progrès techniques facilitent les processus de blanchiment de l'argent criminel.

L'expansion des pays émergents entraîne souvent l'intensification de la corruption, dont la complexité croissante induite par la mondialisation et les mutations technologiques rend inefficaces les procédures de contrôle et de poursuite. Les pays du tiers monde, traditionnellement tolérants vis-à-vis de la corruption, sont particulièrement exposés à son développement. Les privatisations de certains secteurs de l'économie, les fonds et crédits fournis par l'Occident créent des opportunités pour la corruption tant active que passive. Les nouveaux corrupteurs, dont certains viennent des pays riches, disposent de moyens plus puissants et d'outils plus sophistiqués que ceux d'autrefois. L’expansion a changé la dimension de la corruption. On ne doit donc pas s'étonner de la création des conditions d'une corruption généralisée dans beaucoup de pays à développement économique rapide. L’instauration de la démocratie n'est pas une garantie dans la mesure où les systèmes démocratiques peuvent aussi être corrompus.

Enfin, l'ouverture financière des pays émergents les a rendus plus vulnérables aux décisions venues d'ailleurs. Les luttes pour gagner l'indépendance, qui ont coûté la vie à des millions de patriotes, ne sont pas encore très lointaines que plusieurs volets de la souveraineté sont déjà perdus, quelquefois de manière non voulue ou totalement inaperçue, au nom de l'internationalisation. De nombreuses décisions monétaires, économiques, voire sociales et politiques.... qui concernent la vie de centaines de millions de citoyens, échappent au pouvoir des gouvernements nationaux. De plus, la mondialisation, porteur d'un projet de civilisation dont la référence provient des pays riches, est une menace potentielle d'homogénéisation culturelle avec, pour beaucoup, un risque d'américanisation.

Tout cela n'est probablement pas nouveau. Tout le monde exprime sa préoccupation. Les optimistes peuvent prétendre que la prise de conscience croissante des effets pervers d'un phénomène laisse déjà entrevoir une attitude plus déterminée dans la recherche des solutions. Et les idées ne manquent pas. Elles reposent par exemple sur les réformes des institutions internationales, sur une meilleure coopération internationale (dans l'aide aux pays en développement pour la mise en place d'un contrôle prudentiel efficace des banques et des marchés financiers, notamment), et aussi sur la prise en compte de l'expression de la « société civile » dans les décisions internationales. De nombreuses solutions techniques ont été esquissées. Il me semble cependant que le problème de fond est un cercle vicieux. Ou bien on met en place une autorité mondiale de supervision qui dispose de véritables moyens d'action. Dans ce cas, pourrait﷓on s'assurer que cette autorité fonctionne vraiment de manière démocratique vis-à-vis de toute la planète, tout en sachant éviter la standardisation de tout, y compris des cultures ? Ou bien cette autorité n'est pas de mise. Dans ce cas, on continuerait comme avant, avec le risque que les difficultés s'aggravent de jour en jour de manière désordonnée.

Nguyen The Von (ENSAE 67)

Autrice

Nguyen The Van

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