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16 janvier 2004

L'enlèvement d'Europe

Publié par Pierre-Marie DEBREUILLE (ENSAE 1999) membre de Génération République, www.republicain.net. | N° 23 - London Calling

Qu’il est dur d’être pro-européen de nos jours ! Je ne pense pas être le seul à ne plus comprendre où l’Europe va, et pourquoi elle y va. L’appétit de paix au sortir de la guerre de 40 était le moteur de la construction européenne. Celle-ci a été lancée dans un contexte de lutte idéologique avec le communisme soviétique. Est-ce qu’en l’absence d’ennemis potentiels, les pays européens ne savent plus comment penser leur avenir commun ? Et, quand l’urgence devient de combattre les excès de la mondialisation néo-libérale ou bien de participer à la mise en place d’un ordre international multi-polaire, l’Europe est muette. Ou impuissante. Ou divisée.

En attendant, les décisions prises depuis 40 ans dans un certain flou démocratique produisent des effets gigantesques dans la vie des Européens. Et leur sentiment d’impuissance, en grandissant, se transforme en scepticisme.

J’ai lu le projet de constitution préparé par la Convention Européenne. Malgré ses 300 pages, il ne changera rien.

Il ne changera rien au primat du libéralisme sur toute autre forme de projet de société. « L’Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, et un marché unique ou la concurrence est libre et non faussée » (Partie I Titre 1 Article 3-2). L’Europe est confirmée comme étant, avant tout, un « super » marché.

Il ne changera rien à l’immobilisme économique. Les dogmes des traités précédents sont reconduits in extenso dans le nouveau texte : indépendance de la Banque Centrale avec pour seul objectif la maîtrise de l’inflation, primat de la concurrence sur toute autre forme d’allocation des ressources, limitation du recours aux politiques publiques et sociales. Cet ensemble de règles n’est compatible qu’avec un modèle de société ultra-libéral. Or, régulièrement, les peuples européens lors des consultations nationales, expriment, au contraire, leur attachement à leur pacte social. Combien de temps la politique préconisée à Bruxelles s’affranchira des réalités économiques que sont les aspirations des électeurs ?

Il ne changera rien au nanisme diplomatique. Toute initiative commune à plusieurs pays mais non décidée à l’unanimité est prohibée. Adieu l’axe Paris-Berlin ! A l’inverse, L’OTAN, bien que n’étant pas uniquement composée de pays européens, est consacrée comme partie constitutive de l’identité de l’UE. Par ce biais, les Etats-Unis ont un droit de veto sur la politique étrangère et de défense européenne.

Il ne changera rien à la misère du projet politique. La coopérations sur les enjeux de long terme sont traités pour la bonne forme en fin de texte : 3 pages sur l’environnement, 2 sur la santé, 2 sur l’éducation.

Résorbera-t-il le déficit démocratique ? D’ores et déjà le choix d’un traité constitutionnel comme support de proposition et de débat laisse planer le doute sur les nouvelles pratiques européennes en la matière. Il s’agit plutôt de feindre la démocratie pour légitimer un système qui en a, jusqu’ici, cruellement manqué.

La forme et le volume du document ne permettent pas de tirer une vision claire de l’Europe qu’il implique. Le texte est un mélange de déclarations humanistes avec qui tout le monde est d’accord et d’articles techniques très précis que les seuls spécialistes peuvent interpréter. Les premières permettent d’éviter que le projet ne soit réfuté en bloc et les seconds peuvent être amendés sans que l’existence ou l’allure générale du traité ne soient remis en cause. Le débat démocratique lors d’un éventuel référendum aura, par conséquent, du mal à se mettre en place. Est il souhaité ? L’expérience de la Suède où les électeurs étaient interrogés sur une problématique limpide « pour ou contre la monnaie unique » doit effrayer plus d’un conventionnel. Par conséquent, après quelques modifications apportées au texte initial, le débat risque de se réduire à la question simpliste : « Stop ou encore ? ».

Espérons que le chantage à la catastrophe ne fonctionnera plus cette fois-ci. Rappelons nous le traité de Maastricht. L’argument de la nécessité d’avancer a été, pour beaucoup d’électeurs français, déterminant pour un « oui » qui n’a triomphé que de justesse. Mais c’est justement les efforts consentis jusqu’ici par les européens qui devraient nous épargner, cette fois-ci, ce type de pressions. L’EURO, par exemple, est désormais une réalité, qui pérennise la construction européenne. Nous avons maintenant le temps de décider ensemble de notre destin.

Insérer sur 2 colonnes l'image de la fin d'article

Aujourd’hui, entre ceux qui pensent que la France n’existe plus que par ses régions et qu’il faut abandonner toute souveraineté à l’Europe et les nostalgiques qui pensent que notre pays peut tout faire tout seul, il faut proposer une alternative à la construction européenne. Ses bases ? Pour principe fondateur : la coopération et non la concurrence. Pour mode de décision : le débat démocratique et non la propagande. Pour objectif social : la promotion des acquis sociaux des nations et non la logique du moins-disant.

Mais, en attendant, il faudra s’opposer au kidnapping de l’ambition européenne que constitue le projet constitutionnel de la Convention.

Autrice

Pierre-Marie DEBREUILLE (ENSAE 1999) membre de Génération République, www.republicain.net.

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