La tentation d'Eugène
Avec l'invention imminente du clonage humain, l'avenir apparaît gros d'une interrogation touchant à l'essence même de l'humanité.
Le consensus européen actuel se résume ainsi : on rejetterait le clonage reproductif pour se consacrer au clonage thérapeutique.
Cette position est tortueuse : en l'absence d'une législation précise (pourquoi pas une directive européenne ?) on ira aux applications que la morale réprouve par des chemins détournés.
Pour la préparer, il faut prévoir les conséquences de TOUTES les applications possibles qu'il s'agisse du clonage organique, de l'eugénisme (recherche de la meilleure espèce) ou de la reproduction asexuée.
1 - LES RISQUES MAJEURS DU CLONAGE ORGANIQUE
En janvier 1999, le professeur Ion Wilmut, « père » de Dolly, affirmait encore à la presse occidentale qu'au grand jamais personne ne devrait s'emparer du clonage humain, et que lui, inventeur de la version ovidée de la chose se portait garant de toutes les dérives possibles.
Un mois plus tard, il se précipitait sur ses éprouvettes au bas prétexte que cette invention fabuleuse aurait pu tomber aux mains de la Corée du Sud, forcément mal intentionnée.
il devait rapidement faire des émules malgré un protocole européen interdisant trop tard cette pratique.
Si le professeur Ion Wilmut se lançait dans l'aventure, c'était pour préserver l'humanité des pires applications (l'eugénisme) en lui réservant les meilleures : le clonage d'organes humains à des fins chirurgicales ou médicales.
De telles rodomontades ne mènent à rien d'autre qu'à une morale perverse: le clonage humain non, sauf si l'on arrache les bras et la rate des bébés pour sauver les vieux !
Dans un premier temps on ne clonera que des tissus cellulaires pour soigner des organes malades.
jusqu'au jour où l'on préférera changer toute la pièce au lieu de la raccommoder.
Le clonage organique, prolongement naturel du clonage cellulaire, débouchera alors sur la duplication d'un organisme vivant complet. Et l'on glissera dans l'horreur : faire pousser des légumes humains qui seront « utilisés » dans un unique but médical.
Il n'en reste pas moins que tuer un humain est un crime. Est Homme ce qui en a l'enveloppe charnelle. Quant à savoir le degré de conscience de celle-ci ?... Qui sait si les huîtres n'ont pas conscience de leur supplice ?
Qu'on veuille donc bien oublier cette hypocrisie morale qui consiste à jeter un voile pudique sur un danger identifié (l'eugénisme) pour faire admettre sans débat des applications grosses de dérives au moins aussi dangereuses.
Tant qu'on refusera de légiférer, la commodité du clonage complet sera trop forte pour contenir la tentation d'Eugène.
II - LA TENTATION DE L’HOMME
Orgueil et impuissance sont le moteur de l'humanité : depuis que l'Homme est Homme, il s'est distingué par sa volonté de s'élever au-dessus de ses dieux.
L'Humanité n'a eu de cesse de renouveler les ressorts de cet orgueil, toujours plus menaçants pour la définition même de l'humain, car ils tendent à lui faire oublier sa mortalité. Comme si l'humanité devait à chaque fois sacrifier un peu plus d'elle-même pour poursuivre son existence.
Ainsi, la religion monothéiste a d'abord inventé le paradis, reportant l'angoisse du fatum antique à l'Au-delà. Puis on a revendiqué le libre-arbitre sans toutefois nier l'existence de Dieu. Un siècle plus tard, le libre-arbitre prenait définitivement le pas. Alors a commencé la maîtrise des naissances, théorisée dans le malthusianisme. Un siècle passe encore et l'on invente la pénicilline, puis la pilule, et voici l'Homme un peu plus responsable du destin de l'Humanité. Avec le clonage humain, l'Humanité n'a jamais été aussi proche du fruit défendu.
Plutôt que de le jeter sans comprendre, mieux vaut dépasser l'interrogation. Sinon ce sont ses conséquences qui nous dépasseront.
III – L’AUTOREPRODUCTION
EN QUESTIONS
En cas de reproduction asexuée les questions suivantes se poseraient à tous, célibataires compris :
Quand vais-je me reproduire ?
Quel sexe vais-je choisir pour mon enfant ?
Comment vais-je me reproduire
Chacune de ces questions bouleverse la reproduction naturelle, puisque dans chaque cas existe - ou existera - un savoir-faire humain.
Quand vais-je me reproduire ?
Ma génération est née avec la réponse. Ce qui paraissait il y a trente ans un scandale à certains est devenu une pratique courante.
Par cette pratique, l'acte amoureux devient clairement distinct de celui de reproduction.
Cela n'empêche évidemment pas que les deux actes participent d'une même relation d'amour. L'impossibilité de procréer des couples homosexuels souligne a contrario la cruauté d'un amour qui ne peut s'achever par l'enfantement.
Cette question place l'Homme en acteur de sa destinée.
Quel sexe vais-je choisir pour mon enfant ?
Le risque majeur serait de voir une nation se constituer des armées de mâles sanguinaires élevés dès le plus jeune age à porter les armes.
La Chine compte aujourd'hui près de 120 millions d'hommes de plus que de femmes : ce déséquilibre résulte plus d'un effet pervers de la politique anti-nataliste que d'un machiavélique dessein militaire (enfin, espérons-le... ). En outre, ce ne sont pas les techniques génétiques qui ont conduit à cette situation démographique.
A ce point là, l'Humanité accéderait à une maîtrise supérieure de sa destinée, en contrôlant non plus seulement le flot des naissances, mais la proportion des sexes de la pyramide des âges. Cela éloigne un peu plus l'Homme de sa bestialité en le forçant à s'interroger sur des conséquences qui dépassent le seul cadre du couple.
En démographie, il n'existe pas de main invisible régulatrice comme en économie libérale... La loi devra donc dire ce que la collectivité accepte.
Comment vais-je me reproduire ?
Le clonage met à portée de l' Homme la perpétuation de l'espèce à l'échelle individuelle.
On peut imaginer que l'humanité se divisera alors en deux camps : d'un côté les égotistes, adeptes de leur perpétuation à l'identique ; et de l'autre ceux qui, croyant aux vertus du collectif, chercheront dans la relation à autrui le moyen de dépasser leur condition humaine.
Il serait simplificateur d'imaginer que le second groupe serait l'unique détenteur des vertus de l'amour, conjugal ou parental. Il n'y a pas de raison de penser qu'un Homme se reproduisant par clonage soit incapable d'amour parental ni son clone d'amour filial. D'ailleurs, les enfants aiment leurs parents tout en ignorant comment ils sont nés.
Rien ne différencierait en cela ces deux formes d'humanité, si ce n'est le bouleversement du schéma parental « traditionnel ». Je ne briserai pas de tabou en disant que ce schéma appartient déjà à l'iconographie passée.
Mettre au monde un clone ne se traduira pas nécessairement par la dénégation de cet étrange individu : après tout, il faudra bien le changer, le nourrir, l'éduquer, bref l'aimer, ce clone ! li deviendra un individu, semblable et étranger à son parent, comme le sont les enfants. Restera au parent et à son clone à assumer le malaise de la gémellité avec quelques décennies d'écart...
L'auto reproduction éloigne définitivement l'Homme de la bestialité parce qu'elle le pose en créateur, non plus seulement en acteur. On peut néanmoins se demander si les deux formes d'humanité issues de l'un ou l'autre des modes de reproduction désignent bien les mêmes êtres.
Deux souches différentes d'humanité peuvent-elles coexister ? Il semble aujourd'hui établi que ce fut le cas entre Cro-Magnon et Neandertal, au moins pendant un temps. Le clonage humain ne détruirait donc pas l'espèce humaine.
IV – CONDAMNATION DE L’EUGÉNISME
Tandis que j'écris ces lignes, des sites Internet existent déjà qui militent pour le droit à utiliser le clonage humain pour constituer une espèce « pure ». Ils alimenteront des groupes de pression politiques, surtout si à la perspective perfectionniste s'ajoute celle plus mercantile d'un marché à conquérir.
Ce qui est condamnable dans l'eugénisme c'est la volonté de supprimer les ratés de la reproduction aléatoire,
On a bien massacré les chrétiens et gazé les juifs au nom de leur prétendue dégénérescence : il est donc à peu près sûr qu'on exterminerait d'abord les ratés du clonage puis les tarés de l'ancienne humanité L'Histoire et l'actualité illustrent trop à quel point la recherche de « pureté» même en l'absence du clonage, libère des forces exterminatrices et dévastatrices.
De plus, en supprimant la diversité de l'espèce, l'eugénisme constitue une menace pour la personne humaine en niant le droit à l'originalité et aussi pour l'espèce dont il impose la conception.
Faut-il pour autant condamner l'auto reproduction ? Je ne pense pas que cette pratique soit forcément synonyme d'eugénisme : après tout, s'il n'y a pas recherche de perfection, l'auto reproduction se traduirait AUSSI par le droit des tarés à se perpétuer !
Il faut donc distinguer l'auto reproduction d'un être humain, par clonage complet, de l'eugénisme consistant à utiliser conjointement les techniques de clonage et de modification génotypique pour mettre au point une espèce humaine « parfaite ».
V - MORALITÉ
Ce n'est pas le clonage humain qui est condamnable mais toutes les dérives qu'il recèle : la culture clonique de légumes humains ou l'eugénisme. Elles sont également inacceptables.
Qu'est ce qui au fond constitue l'essence même de l'humanité si ce n'est la mort annoncée de chaque individu?
Vouloir lui échapper en utilisant une soupe clonique dont on arracherait au gré des besoins de la matrice d'origine, un bras, un poumon, ou une oreille est une lâche esquive. L’éternité n'appartient pas à l'Homme. La vie est inséparable de sa reproduction : en cela réside l'éternité, qui est une propriété de la vie et non des êtres qui la composent.
Si elle doit déboucher sur cette recherche d'éternité, l'auto reproduction est tout autant condamnable que la culture clonique ou l'eugénisme. Ce n'est que par la conscience de sa mortalité que l'Homme peut dépasser sa bestialité : « nous savons aujourd'hui que nous sommes mortels» disait Paul Valéry. Faisons en sorte de le demeurer.
Plus généralement, toutes les dérives morales (pédophilie, esclavage ... ) issues de l'instrumentalisation d'un clone seront condamnables.
Je préfère, pour ma part, accepter que certains recourent au clonage pour se reproduire mais, de grâce : laissez vivre dignement vos clones Et laissez nous mourir de notre vivant
Si clonage un jour il doit y avoir, qu il devienne un nouveau mode de reproduction ; mais qu'il ne soit que cela et qu'en aucun cas il ne devienne le moyen d'une course à l'éternité ou à la pureté au nom d'une conception dévoyée de la vie.
Seule la fin de notre vie peut nous donner le goût d'en profiter ici et maintenant. Et tant pis pour ceux qui s'emmerdent !
Arnaud Millien, ENSAE 94
QUELQUES SITES INTERNET
SUR LE SUJET
Une rapide recherche de « clonage humain » donne les résultats suivants (nombre de pages Web) 1,403 échos sur Voilà 1119 échos sur Netscape 33 1,46 échos sur Yahoo
En voici un aperçu succinct.
Quelques points d'entrée
http://www.lexpress.fr/editorial/zooms/clonage/ouverture.htm
http://www.liberation.fr/clonage/index.html
http://www.infoscience.fr/dossier/clonage/clonage-som.html
http://www.cam.org/mdumont/0598/0598d7.htm
http://www.cnn.com/WORLD/9801/12/cloning.ban/
http://www.phrma.org/9enomics/ cloning/index.html
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