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16 avril 2003

L’ouverture du marché électrique en France

Publié par Pauline CAYATTE (ENSAE 1999) ATEL Energie SAS | N° 21 - Economies de Réseaux

Le marché électrique français consiste en trois activités principales : la production, les activités de réseau (transport et distribution) et la commercialisation. Avant l’ouverture du marché français de l’électricité en 1999, EDF était en monopole sur le transport, en quasi-monopole sur les activités de distribution et de commercialisation1, et assurait l’essentiel de la production.


Comprendre le système électrique français

En France, l’activité de production est principalement assurée par Electricité de France (EDF). Cependant, il existe de nombreux producteurs indépendants. La plupart d’entre eux disposent de cogénérations, servant principalement leurs propres besoins industriels. Le surplus de production est vendu à EDF à un prix fixé par l’Etat. Outre ces nombreux petits producteurs, il existe deux producteurs de taille non négligeable : la SNET, filiale de la société Charbonnage de France, et la Compagnie Nationale du Rhône (CNR). Avant l’ouverture du marché, EDF rachetait toute l’énergie produite par la SNET et la CNR, pour assurer elle-même l’activité de commercialisation. Depuis l’ouverture du marché en 1999, les producteurs peuvent vendre eux-mêmes leur production à leurs propres clients. Le marché de la production d’électricité en France ne doit pas se limiter à l’analyse des producteurs exerçant sur le sol français. Grâce aux interconnexions avec les pays voisins, tout producteur situé sur le sol d’un pays relié par le réseau électrique à la France peut vendre sa production à des consommateurs en France. Le réseau électrique est constitué de câbles transportant l’électricité à différents niveaux de tension. C’est précisément le niveau de tension qui détermine la différence entre le transport et la distribution : au-delà de 63 kV, on parle du réseau de transport, en-deçà il s’agit du réseau de distribution. Pour donner une image, on peut faire la comparaison entre le réseau électrique et le réseau routier. Le réseau de transport correspond au réseau des autoroutes et des routes nationales ; le réseau de distribution au réseau des routes départementales et des voies communales. Le réseau électrique français est relié aux réseaux électriques des pays voisins (Grande- Bretagne, Espagne, Italie, Belgique, Allemagne, Suisse) grâce à des lignes de transport de très haute tension. Celles-ci sont gérées conjointement par les gestionnaires de réseau de part et d’autre de la frontière. Leur capacité (en MW) définit la quantité d’électricité qu’elles sont capables de transporter à un instant t. Les interconnexions jouent un rôle essentiel pour le développement de la concurrence en Europe. Plus leur capacité est levée, plus les échanges d’électricité entre pays sont facilités, et plus le marché est liquide. Le gestionnaire du réseau a la responsabilité d’assurer l’équilibre du réseau, c’est-à-dire l’équilibre entre l’offre et la demande, à chaque instant. Pour ce faire, il exerce plusieurs activités : • d’une part, la maintenance et le développement des lignes électriques. Les décisions d’investissement dans le développement du réseau relèvent de prévisions de la demande, par zone géographique, à moyen et long terme. • d’autre part, la surveillance de l’équilibre entre offre et demande en temps réel. En cas de déséquilibre, le gestionnaire de réseau doit faire appel aux producteurs pour les faire augmenter ou diminuer la puissance produite. Il existe ainsi de fortes interactions entre le gestionnaire de réseau et les producteurs, pour accorder les prévisions de production et de consommation à tout horizon de temps. Enfin, l’activité de commercialisation consiste à nouer et à gérer les contrats avec les clients. En situation de monopole, cette activité relève principalement de la gestion des contrats : accueil physique et téléphonique des clients, relevé des compteurs, facturation et recouvrement. Avec la concurrence, cette activité est enrichie par le développement de la négociation avec les clients et le travail marketing des offres proposées.

Que signifie l’ouverture du marché de l’électricité en France ?

Depuis 1999, date de l’application de la Directive européenne sur l’ouverture du marché électrique européen, la concurrence porte sur l’activité de commercialisation pour les clients reliés au réseau en haute tension. La production n’a jamais été en situation de monopole. Le transport et la distribution, qui constituent le réseau électrique, bénéficient d’un monopole naturel qui n’est pas remis en cause, même si certaines zones sont couvertes par des régies indépendantes. L’Union Européenne a décidé d’ouvrir les marchés énergétiques progressivement, en définissant un échéancier de seuils d’ouverture obligatoires. Ainsi, en 1999, seulement 30% de l’ensemble de la demande devait être soumis à la concurrence. En France, ces 30% correspondent à l’ensemble des clients consommant en moyenne plus de 100 GWh par an. Ces clients, qui ont depuis 1999 le choix de leur fournisseur, sont dits «clients éligibles »2. Parmi les pays soumis à cette obligation, certains ont choisi de devancer l’échéancier décidé par la Commission européenne. C’est le cas de l’Allemagne, par exemple, qui a ouvert son marché de l’électricité à 100% dès 1999. La France a, pour sa part, choisi de ne pas déréguler le marché de l’électricité plus rapidement que le rythme imposé par Bruxelles. Les pays européens affichent donc chacun leur propre degré d’ouverture du marché, supérieur ou égal au minimum imposé par la Commission européenne. La première conséquence de l’application de la Directive européenne sur l’ouverture du marché électrique français fut l’isolement de l’activité de transport des autres activités. Depuis
1999, le transport de l’électricité est assuré par RTE : c’est le gestionnaire du Réseau de Transport de l’Electricité.RTE est une entreprise qui fait partie du groupe EDF, mais qui en est complètement séparée sur le plan comptable. De plus, et c’est important, elle bénéficie d’une indépendance managériale. En effet, son patron n’est pas nommé par le Président d’EDF. L’égalité devant l’accès au réseau, assurée par RTE, constitue une condition essentielle à la mise en place d’un marché concurrentiel (voir encadré)

3. RTE permet à tous l’accès au réseau de transport à un tarif public, fonctionnant selon le principe du timbre-poste, c’est-à-dire indépendant de la distance entre le point d’injection et le point de soutirage. EDF et ses concurrents sont ainsi soumis au même coût de transport. En particulier, les producteurs étrangers n’ont pas d’autre surcoût que celui d’amener leur électricité jusqu’à la frontière française.

La CRE est la Commission de Régulation de l’Electricité. Elle joue le même rôle que l’ART dans le secteur des télécoms. Elle a été créée pour veiller au bon fonctionnement de la concurrence en France. En particulier, c’est elle qui a proposé le nouveau tarif d’accès au réseau de transport. Elle a un droit de regard sur les activités de l’opérateur historique et veille à ce que celui-ci ne commette pas de subventions croisées entre les clients éligibles et les clients non éligibles, « captifs ». Lors de la création de RTE, la CRE a largement contribué à la séparation comptable entre EDF et RTE. Afin que RTE puisse assurer sa mission principale, à savoir l’équilibre du réseau à chaque instant, de façon indépendante d’EDF, il est question de créer un marché de l’ajustement. Ce marché permettrait à RTE de confronter les offres de tous les acteurs pour ajuster l’équilibre du réseau, au lieu de se tourner uniquement vers les centrales de production d’EDF comme c’était le cas auparavant. Par exemple, si RTE se rend compte à 8h qu’il va manquer 50 MW à 8h30 pour répondre à la demande, RTE choisit l’offre d’ajustement « à la hausse » la moins chère parmi l’ensemble des offres d’ajustement à la hausse proposées. L’offre retenue pourra avoir été proposée par un producteur autre que EDF, ou par un client éligible qui accepte de diminuer sa consommation moyennant une indemnité. Inversement, en cas de « surproduction » momentanée, RTE confronte les offres d’ajustement « à la baisse ». Ce mécanisme d’ajustement devrait permettre à RTE d’assurer l’équilibre du réseau avec un coût minimum, grâce à la confrontation des offres de l’ensemble des acteurs et au choix de la plus économique. Cependant, la complexité de la mise en place d’un tel mécanisme explique qu’il soit encore à l’état de projet.

Si la mission de RTE est d’assurer l’équilibre du réseau à chaque instant, celle des fournisseurs est de veiller à injecter sur le réseau ni trop, ni trop peu, pour répondre à la demande de leurs clients. RTE a ainsi défini le concept de Périmètre d’équilibre, qui représente l’ensemble des points d’injection et de soutirage dont un fournisseur a la responsabilité. Les points d’injection correspondent soit à de la production en France, soit à de l’énergie importée. Les points de soutirage correspondent à l’ensemble des sites de consommation en France et aux exports. Un Responsable d’équilibre paye des pénalités à RTE dès lors que l’équilibre entre l’énergie injectée et l’énergie soutirée sur son Périmètre d’équilibre n’est pas respecté chaque demi-heure. L’ouverture du marché de l’électricité en France a ainsi bouleversé le système monopolistique mis en place progressivement par EDF depuis 1946 pour assurer la fourniture continue d’électricité à tous sur le sol français. La dérégulation du marché sera-t-elle bénéfique au consommateur final ?

Les aspects positifs de l’ouverture du marché : une meilleure transparence et une pression sur les coûts

Au moment de la création de RTE, en 1999, il a fallu effectuer une séparation comptable entre EDF et RTE. Cette opération a nécessité une clarification des comptes d’EDF et une intervention de la CRE qui a veillé à ce que cette séparation comptable ne favorise pas l’une des deux entreprises. En particulier, l’une des difficultés fut l’estimation du montant de la dette à imputer à l’activité de transport. Aujourd’hui, le gouvernement de JP Raffarin envisage d’ouvrir le capital d’EDF. La valorisation de l’entreprise sur le marché boursier nécessite la transparence totale des comptes de l’entreprise. La comptabilité « atypique » d’EDF a été dénoncée comme faisant obstacle à l’estimation de la juste valeur de l’entreprise. D’une manière générale, la CRE a tout pouvoir pour pouvoir faire auditer les comptes d’EDF dès lors qu’elle le juge opportun. Elle n’a pas hésité à le faire pour vérifier que EDF ne procédait pas à des subventions croisées entre clients éligibles et non éligibles. L’ouverture du marché de l’électricité a ainsi rendu les coûts et les recettes de l’opérateur historique plus transparents. Cette transparence permet de mieux connaître les points forts et les points faibles de EDF par rapport à des entreprises similaires dans les pays voisins. En particulier, le problème du financement des retraites des agents EDF apparaît au grand jour. Autre conséquence de l’ouverture du marché, l’évolution des relations entre EDF et l’Etat. Tant que EDF était en monopole et avait l’Etat comme unique actionnaire, celles-ci étaient extrêmement particulières. En effet, c’est le gouvernement, avec l’appui du Ministère de l’Industrie, qui décidait du niveau des tarifs après proposition par EDF. Schématiquement, on peut résumer la situation ainsi : en cas de déficit de l’entreprise (tarif trop bas), c’est l’Etat qui finance les besoins de l’entreprise avec l’argent des contribuables. Au contraire, en cas de bénéfices (tarifs plus élevés), ce sont les caisses de l’Etat qui se remplissent et qui peuvent financer des mesures politiques. Dans la prise de décision du niveau des tarifs de l’électricité, on peut imaginer que, outre la rentabilité de l’entreprise, des critères de politique économique générale intervenaient également : niveau de l’inflation, besoin d’argent pour financer telle ou telle mesure, considérations électorales, etc. Dans les faits, le niveau des tarifs n’est pas décorrélé des coûts d’EDF. Mais le gouvernement a pu imposer certains surcoûts à EDF pour aider à la mise en place de mesures politiques (aménagement du territoire, tarif préférentiel à de gros industriels menaçant de délocaliser leur production, passage massif aux 35 heures, …). L’ouverture du marché de l’électricité met aujourd’hui EDF en position concurrentielle, au moins sur le segment des clients éligibles. Sur ce segment, il est impératif que les prix d’EDF soient en phase avec les niveaux de prix pratiqués par les concurrents. Les prix d’EDF ne dépendent plus seulement de ses coûts, mais surtout du niveau de l’offre et de la demande. La dérégulation du marché de l’électricité incite donc EDF à pratiquer des prix en phase avec ses coûts, et à réduire ceux-ci pour être compétitif.

Les aspects négatifs de l’ouverture du marché : une complexification du système et l’apparition de doublons

Création du RTE, entité séparée et indépendante d’EDF, création de la CRE, création (à venir) du mécanisme d’ajustement, création du statut du Responsable d’équilibre : la mise en place de ces nouvelles organisations a nécessité du temps et de l’énergie qui auraient pu être épargnés si le marché de l’électricité était resté en situation de monopole. Cette énergie a été dépensée pour remplacer un système qui fonctionnait par un autre qui a du mal à se mettre en place (la date de mise en place du mécanisme d’ajustement est constamment reportée). De plus, la nouvelle organisation du marché électrique nécessite que les clients passent du temps à la comprendre et à trouver l’information pertinente. Les clients éligibles subissent la complexification des règles du marché. Désormais, ils doivent par exemple signer deux contrats au lieu d’un : l’un avec leur fournisseur d’énergie, l’autre avec RTE pour le transport de cette énergie. Face à cette complexification, on assiste à l’émergence de nouveaux acteurs sur le marché : les intermédiaires, qui aident les clients éligibles à choisir leur fournisseur. Quelle incidence ont ces intermédiaires sur le coût de l’électricité ? D’une part, ils existent pour aider le client éligible à obtenir le meilleur prix. D’autre part, le client doit les rémunérer pour le service rendu. Il est difficile de dire quel est l’effet qui l’emporte sur l’autre.

L’apparition de nouvelles questions : les coûts de transfert

Enfin, de nouvelles questions apparaissant, liées aux coûts de transfert. Auparavant, EDF producteur et EDF transporteur travaillaient main dans la main. Désormais, toute demande du transporteur au producteur se voit affecter un prix. Prenons un exemple : si une congestion sur le réseau nécessite la mise en route d’une centrale située à un endroit favorable compte tenu de l’état du réseau, RTE en fait la demande officielle à EDF – Producteur. Mais les coûts de production de cette centrale sont élevés et c’est la raison pour laquelle EDF – Producteur n’avait pas prévu de la faire fonctionner. Aujourd’hui, EDF – Producteur devrait donc faire payer le service rendu à RTE, à un prix longuement calculé par des experts qui se seront penchés sur la question de la valorisation du service rendu en envisageant tous les cas de figure, alors qu’auparavant, ce genre d’arrangement faisait l’objet d’un simple coup de téléphone entre les entités concernées sur le terrain.

Conclusion

L’ouverture du marché de l’électricité en Europe participe à la construction du marché commun européen qui a commencé depuis longtemps. Cette ouverture se veut progressive. Elle l’est en effet, en France comme dans les autres pays. La France garantit la libre concurrence effective sur son sol, à hauteur du seuil d’éligibilité actuel, grâce à un gestionnaire de réseau indépendant affichant des tarifs d’accès au réseau transparents, et grâce à une Commission de Régulation de l’Electricité vigilante. On peut légitimement attendre de ces nouvelles dispositions une baisse du prix de l’électricité pour le consommateur final. Cependant, l’expérience que l’on peut observer dans les pays en avance dans la dérégulation de leurs marchés énergétiques (Royaume- Uni, Californie ou Espagne) montre que cette baisse de prix est loin d’être acquise. En effet, la complexification du marché permet à certains acteurs de manipuler les prix du marché (les producteurs en GB ou en Californie) et rend les décisions d’investissement plus délicates en univers incertain (manque d’investissement en Californie dans la construction de centrales). Enfin, l’ouverture du marché questionne la notion de service public. Dans ce domaine, la comparaison avec les chemins de fer britanniques n’est pas très rassurante.

L’importance du libre accès au réseau pour assurer de bonnes conditions concurrentielles

Si certains pays européens affichent des taux d’ouverture élevés, voire 100%, il ne faut pas en conclure que leur marché de l’électricité est pour autant devenu parfaitement concurrentiel. En effet, certains pays, par l’organisation de leur système électrique, ont construit des barrières à l’entrée. Par exemple, en Allemagne, le réseau de transport n’est pas unifié dans tout le pays. Un producteur français désireux de fournir un client situé dans l’Est de l’Allemagne peut devoir demander l’accès au réseau jusqu’à trois ou quatre interlocuteurs différents, chacun propriétaire de son propre réseau, et chacun exigeant son propre prix d’accès (souvent non public). Si ce même fournisseur a des clients dispersés géographiquement, il peut avoir jusqu’à plusieurs centaines d’interlocuteurs différents. Ceci constitue une véritable barrière à l’entrée. En France, le taux d’ouverture est limité au minimum requis par la Commission Européenne. Cependant, tout nouvel entrant a accès au réseau à un tarif unique, public, transparent, que EDF doit payer aussi, et qui met tous les fournisseurs à égalité devant les clients éligibles. La concurrence peut ainsi avoir lieu sainement sur le prix de la fourniture elle-même.

Autrice

Pauline CAYATTE (ENSAE 1999) ATEL Energie SAS

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