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14 mai 2003

Quel est le risque que les bourses ne remontent pas ?

Publié par Patrick ARTUS (ENSAE 1975), Directeur des Etudes et Recherches de CDC-Ixis | N° 22 - La bourse : un nouveau Père Noël ?

Des mécanismes défavorables se succèdent dans le temps, qui font courir le risque que les marchés d'actions ne se redressent pas. La prise en compte de la gravité de la détermination de la structure de bilan des entreprises d'abord ; puis la remontée des taux d'intérêt à long terme due à l'accroissement généralisé des déficits publics ; ensuite encore la faiblesse de la croissance de long terme, déjà présente en Europe et au Japon et venant aux Etats-Unis d'un policy-mix défavorable ; enfin, le vieillissement démographique qui conduit à des ventes nettes d'actions.

Des facteurs négatifs qui se succéderaient

Remarquons d'abord qu'il est déjà arrivé dans le passé que les cours boursiers restent faibles pendant une longue période de temps : durant chacune des deux guerres mondiales, lors de la crise de 1929 ou bien encore à l’occasion des chocs pétroliers dans les années 1970. Ces phases de stagnation coïncident à chaque fois avec de faibles taux de croissance, mais correspondent aussi, de 1942 à 1949 ou de 1967 à 1978, à des épisodes de poussée d'inflation et, dans le second cas, de remontée des taux longs. Nous allons évoquer ici une série de causes, certaines semblables à celles qui viennent d'être mentionnées, qui pourraient également provoquer à partir d’aujourd’hui une longue période de stagnation des cours boursiers.

L'argumentation que nous proposons ici et qui concerne les prochaines années consiste à dire qu'il y aurait bien dans le futur une succession de chocs qui pourraient empêcher la remontée des cours boursiers :
· D'abord, la prise de conscience par les marchés financiers que les bilans des entreprises sont durablement dégradés ;
· Puis la hausse des taux longs due à la dégradation généralisée des finances publiques ;
· Le passage à une situation de croissance de long terme faible, avec un policy-mix défavorable aux Etats-Unis, le vieillissement et l'absence de gains de productivité en Europe et au Japon ;
· Enfin, le vieillissement démographique, conduisant à des ventes nettes d'actions dans les pays où les fonds de pension sont de forte taille.

Des structures de bilan et une profitabilité durablement dégradées

Au-delà des manipulations comptables (Enron, Ahold…) qui créent un climat de défiance défavorable, les marchés financiers comprennent progressivement à quel point les structures de bilan des entreprises sont dégradées, avec l'excès d'endettement, la baisse de la valeur des actifs et la perte de profitabilité. Le recul de l'actif net des entreprises américaines, rapporté au PIB, est sensible depuis le milieu de l'année 2000 (cf. graphique 1) et l'emporte sur le désendettement de sorte que le ratio « dette / actif net » est toujours très élevé à la fin de 2002.

Les pertes à l'actif des entreprises américaines viennent surtout de celles faites sur les acquisitions réalisées entre 1997 et 2000 avec le recul des indices boursiers, notamment dans le secteur des nouvelles technologies. On sait qu'il est d'ailleurs probable que ces pertes sont encore sous évaluées, puisqu'elles sont inférieures à celles qu'implique la baisse des cours boursiers.

Où en est le taux d’endettement des entreprises en dehors des Etats-Unis ? Il n'augmente plus au Japon, mais reste à un niveau extrêmement élevé. Il a en revanche beaucoup augmenté dans la zone euro entre 1999 et 2002. Parallèlement, si la profitabilité est maintenant stabilisée à un niveau faible au Japon, on voit qu'aux Etats-Unis et dans la zone euro le recul de profitabilité, qui débute dès 1998 aux Etats-Unis et en 1999-2000 en France, n'a pas encore été corrigé.

De nombreux mécanismes continuent à dégrader les bilans et les « cash flows » des entreprises : poursuite de l'amortissement des « goodwills », recapitalisation nécessaire des fonds de pension, hausse des coûts de la santé. On se trouve donc aujourd'hui dans une situation où les ratios de bilan (dette / fonds propres, taux d'endettement) sont encore très dégradés et où, simultanément, la profitabilité est loin d'être restaurée. Ceci est évidemment très défavorable à un redressement des cours boursiers. Il n'est pas sûr que les marchés financiers, qui enregistrent encore en 2003 dans la zone euro une hausse de 14% des résultats opérationnels et de 32% des résultats nets, intègrent correctement cette situation.

Les déficits publics feront monter les taux d'intérêt à long terme

Jusqu'à présent, l'augmentation généralisée des déficits publics n'a pas provoqué de hausse visible des taux longs. Mais ceci est dû à des circonstances exceptionnelles, au premier chef parce que les banques ont substitué des titres publics au crédit dans leurs actifs. Ceci est très clair aux Etats-Unis où, depuis le début de 2001, les crédits autres que les crédits hypothécaires reculent fortement et où les portefeuilles de titres publics des banques s'accroissent après avoir baissé nettement en 1999-2000. C’est également le cas depuis 1998 au Japon. De même, le basculement des fonds d'investissement vers les obligations et les politiques monétaires expansionnistes menées par les banques centrales constituent des facteurs à caractère exceptionnel dont il faut aussi tenir compte.

De fait, à terme, la forte dégradation des dépenses publiques fera monter les taux d'intérêt à long terme, ce qui sera défavorable à la valorisation des actions. Une remontée de 2 ou 3 points des taux d'intérêt à long terme par rapport aux niveaux très bas observés actuellement ferait disparaître la quasi-totalité de la supposée « sous évaluation boursière », telle qu'elle est mesurée par l'écart entre l'inverse du PER (« Price Earning Ratio ») et le taux long (cf. graphique 2). L'observation du passé (cf. graphique 3) montre un lien très étroit entre les émissions obligataires du Trésor américain, reflet des déficits publics, et la pente de la courbe des taux. Dans le futur, une hausse des taux longs semblable à celle que nous venons de mentionner est donc parfaitement raisonnable, et envisageable.

La croissance de long terme (potentielle) sera plus faible que dans les années 90

Une croissance potentielle plus faible réduit naturellement la valorisation nominale des actions puisque la croissance de long terme anticipée pour les résultats des entreprises est aussi plus faible. Cette diminution de la croissance potentielle n’est pas uniquement le résultat mécanique du ralentissement de la croissance de la population active avec le vieillissement démographique.

Aux Etats-Unis, on note aussi le passage à un policy-mix défavorable, qui privilégie, comme dans les années 80, le soutien de la croissance par les déficits publics et les dépenses des ménages, et non par les investissements productifs comme dans les années 90. Dans le premier cas, il y a eu dans le passé éviction de l'investissement des entreprises et progressivement moindre croissance de la productivité, d’où une moindre croissance de long terme (cf. graphique 4). A contrario, dans les années 90, l'apparition d'excédents publics a favorisé la progression des investissements et de la productivité

Enfin, dans la zone euro, et à un moindre degré au Japon, les gains de productivité sont très faibles. Ici aussi les raisons sont multiples : insuffisance des investissements en nouvelles technologies, maintien ou expansion de secteurs traditionnels utilisant une main d'œuvre peu qualifiée (construction, distribution, etc). La substitution d'emplois dans la construction ou dans la distribution aux emplois industriels, particulièrement claire dans la zone euro, a l'avantage à court terme de réduire le chômage, mais déprime le niveau moyen de productivité, donc la croissance de long terme.

Au total, l'addition du vieillissement démographique, du ralentissement des gains de productivité dû à un policy-mix défavorable (Etats-Unis) et de la faiblesse structurelle des gains de productivité implique une croissance de long terme réduite, donc des PER plus bas.

Vieillissement démographique et équilibre du marché des actions

Dans les pays où les fonds de pension sont de forte taille, le vieillissement démographique entraîne l'apparition de ventes nettes d'actions qui financent les pensions des retraités, de plus en plus nombreux avec l'allongement de l'espérance de vie. De 1960 à 2002, un lien assez clair est ainsi apparu entre la structure démographique des Etats-Unis et la valorisation boursière mesurée par le PER (cf. graphique 5). Avec quelques incertitudes - concernant l’ampleur de la hausse de la détention d'actions dans les pays où elle est faible, ou encore l’âge du passage à la désépargne après la retraite - le vieillissement démographique pourrait entraîner une baisse durable à moyen terme de la valorisation des actions.

Synthèse : un appétit pour les actions sans cesse contraire ?

Avec les niveaux très faibles de taux d'intérêt à long terme, les investisseurs voudraient pouvoir acquérir des actifs de rendement plus élevé. Ceci explique sans doute l'appétit qui se manifeste périodiquement pour le crédit, avec des « spreads » attrayants, ou pour les actions (au début de 2002 puis brièvement après l'été 2002). Mais ces velléités d'achat d'actifs risqués à rendement anticipé plus élevé disparaissent rapidement. Le graphique 6 montre que, depuis 2001, les reprises boursières sont rapidement suivies de rechutes. Il en serait de même dans le futur avec :
· des mauvaises nouvelles durables sur la situation financière des entreprises (ou sur la sincérité de leurs comptes) ;
· la remontée des taux longs avec les déficits publics ;
· la révision à la baisse des hypothèses de croissance de long terme ;
· le vieillissement démographique.

Autrice

Patrick ARTUS (ENSAE 1975), Directeur des Etudes et Recherches de CDC-Ixis

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