Les perspectives macro-économiques du financement du système de retraite par répartition
Les projections financières réalisées en 2001 par les principaux régimes de retraite pour le Conseil d’orientation des retraites montrent que, sous l’hypothèse d’un retour au plein-emploi d’ici 2010, le poids des pensions dans le PIB devrait s’accroître d’environ 2 points d’ici 2020, et d’environ 4 points d’ici 2040, pour atteindre alors 16 % du PIB. Ces projections sont fondées sur un maintien pendant 40 ans des règles de liquidation et d’indexation actuelles, qui comprennent notamment une baisse sensible du taux de remplacement des salariés du privé et une indexation des pensions liquidées proche des prix dans l’ensemble des régimes. Une indexation des pensions sur les prix plus 0,8 % (à comparer à l’hypothèse retenue de 1,6 % pour l’augmentation annuelle des salaires bruts) représenterait 2,5 points de PIB supplémentaires en 2040.
Ces projections montrent que des mesures devront être prises pour assurer l’avenir du financement du système de retraite par répartition. Ces mesures peuvent comprendre à la fois la mise en œuvre de politiques du travail, de l’emploi et de la formation et de politiques de financement de la protection sociale. Elles peuvent également porter sur les paramètres du système de retraite : taux de cotisation, durée de cotisation et âge de liquidation notamment.
Définitions
Age de liquidation : âge auquel l'assuré demande le versement de sa première pension. Cet âge est supérieur ou égal à l'âge légal (60 ans en général).
Taux de remplacement : rapport entre le montant de la première pension et le dernier revenu d'activité.
Indexation des pensions : mode de revalorisation des pensions liquidées, déterminant l'évolution annuelle du montant perçu par chaque retraité.
Taux de cotisation : taux de cotisation total (employeur + salarié) au régime de retraite. Dans la fonction publique d'Etat, il n'y a pas de cotisation employeur, le Budget de l'Etat verse une subvention d'équilibre.
Le taux de remplacement et le niveau de l’indexation des pensions sont des paramètres qui peuvent, ou ne doivent pas, selon les avis, servir de variables d’ajustement.
Pour certains, le taux de remplacement serait un paramètre devant être ajusté en priorité pour faire face aux besoins de financement des retraites. Schématiquement, cette argumentation consiste à dire que les retraites par répartition devront être réduites (au moins en niveau relatif par rapport aux salaires) et qu’elles devront être complétées par des retraites supplémentaires par capitalisation.
Ce n’est pas l’objet de cet article que de s’interroger de façon détaillée sur les mérites comparés de la répartition et de la capitalisation. On rappellera néanmoins que :
- le système par répartition permet de promouvoir le travail comme moteur essentiel de la société, du progrès et du développement individuel ;
- le système par répartition est un système qui assure à chaque génération un niveau de retraite garanti ; il serait de surcroît possible que son rendement soit à l’avenir supérieur au rendement de la capitalisation en raison du vieillissement de la population des pays développés ;
- instituer un système par capitalisation qui viendrait s’ajouter au système actuel par répartition reviendrait à faire payer deux fois les générations actives d’aujourd’hui, qui devraient cotiser pour la retraite de leurs aînés et épargner pour leur propre retraite ;
- le système par répartition permet d’assurer la solidarité en accordant des avantages aux femmes ayant élevé des enfants, aux parents de famille nombreuse, aux salariés ayant traversé des périodes de chômage, aux salariés ayant perçu de faibles salaires, etc. Afin que la tradition solidaire du système de protection sociale soit confortée, des améliorations techniques doivent néanmoins être apportées au système pour l’adapter aux évolutions de la société.
Chercher à diminuer les besoins de financement du système par répartition en diminuant le niveau des pensions servies et en développant parallèlement des offres de retraite individuelles par capitalisation ne constitue assurément pas, aux yeux de ceux qui croient en la nécessité de préserver des mécanismes collectifs de solidarité, la meilleure solution au problème des retraites. A partir du moment où l’on se met d’accord pour garantir le niveau des retraites par répartition et où l’on se donne les moyens de les financer, il est envisageable d’offrir des produits de retraite par capitalisation accessibles à tous. Il faut veiller cependant à ce que ces produits ne réduisent pas l’assiette de cotisations de la protection sociale. Pour cela, il faut éviter de faire bénéficier ces produits d’exonérations de charges sociales. Une proposition émise par certains pourrait consister par exemple à étendre à l’ensemble de la population la possibilité de cotiser à la PREFON (régime de retraite supplémentaire par capitalisation des fonctionnaires), pour laquelle les versements des adhérents sont déductibles du revenu imposable, sans qu'il y ait de déductibilité des versements de l'assiette de cotisations sociales.
Notons qu’en dehors de la PREFON, ouverte aux fonctionnaires, il existe déjà des mécanismes de capitalisation, notamment les contrats « Madelin » pour les indépendants, ou encore, pour les salariés du privé, les contrats de l’article 83 du code général des impôts, à cotisations définies, inclus dans un cadre collectif au niveau de l’entreprise, qui bénéficient dans certaines limites d’exonérations sociales et fiscales.
Le Fonds de réserve pour les retraites
Le Fonds de réserve a été créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999. Son objectif est d’accumuler 1000 milliards de francs d’ici 2020 afin de servir de fonds de lissage des cotisations entre 2020 et 2040. Il sera doté de 47 milliards de francs à la fin 2001. Il se situe dans la logique de la « répartition provisionnée » : il permet de « capitaliser » des provisions tout en préservant le fonctionnement collectif et solidaire de la répartition.
L’avenir du financement du système de retraite
L’avenir du système par répartition passe donc par un renforcement de la confiance collective et par l’établissement d’un contrat entre les générations qui garantisse que les pensionnés profitent d’une partie des gains de productivité réalisés dans l’économie. Cette confiance et ce contrat ne seront rendus possibles que par des assurances sur l’avenir financier du système de retraite. En ce domaine, les axes de réflexion possibles sont les suivants.
Le premier axe consiste à relever les taux d’activité des salariés les plus âgés (la France possède aujourd’hui un des taux d’activité des 55-60 ans les plus bas parmi les pays développés). Pour cela, il est nécessaire de mettre en œuvre une nouvelle politique du travail, de l’emploi et de la formation, permettant aux salariés âgés de rester dans les entreprises et les administrations plutôt que de quitter leur activité de façon anticipée, par le biais des préretraites ou du chômage dispensé de recherche d’emploi. Ce n’est que dans un tel contexte qu’une évolution des comportements de départ à la retraite à 60 ans est envisageable.
Le second axe de réflexion consiste à augmenter les ressources dont disposent les régimes de retraite. Pour cela, on peut envisager d’augmenter les taux de cotisation, qui sont actuellement de 25 % (part patronale + part salariale) sur le salaire brut dans le secteur privé. Une augmentation annuelle de la productivité de 1,6 %, supérieure aux évolutions constatées dans les années 90 mais inférieure aux évolutions sur plus longue période, conduit à un quasi doublement du salaire réel en 40 ans. Une augmentation de quelques points du taux de cotisation d’ici 2040 ne serait alors probablement pas insupportable. Des redéploiements de cotisations, par exemple en provenance de l’assurance chômage ou des allocations familiales, peuvent également être recherchés.
Une autre ressource supplémentaire pourra être trouvée si la part des salaires dans la valeur ajoutée regagne un peu du terrain perdu au cours des années 80. Rappelons que la part des salaires dans la valeur ajoutée était stable, autour de 62-63 %, dans les années 60. Elle a connu un pic dans les années 70 et jusqu’au début des années 80, puis a baissé fortement jusque vers 1995 ; elle s’établit maintenant autour de 58 %. Les 5 points de baisse par rapport au niveau des années 60 représentent des dizaines de milliards de francs de manque à gagner pour les régimes sociaux. Les économistes sont très prudents lorsqu’ils abordent la question du partage de la valeur ajoutée et soulignent qu’il peut être dangereux à long-terme pour l’emploi et la croissance de prendre des mesures visant à augmenter la part des salaires. Néanmoins, on peut penser que cette déformation sera constatée ex post et relèvera d’un processus endogène, c'est-à-dire résultant de processus socio-économiques et non de décisions de politique économique. Cela pourrait résulter par exemple d’une baisse des taux d’intérêt réels (au niveau mondial ou au moins européen) que pourrait provoquer le vieillissement de la population et d’une hausse des salaires qui pourrait résulter de la baisse du chômage dans la décennie à venir et de la baisse de la population active après 2010.
Enfin, s’agissant de la recherche de ressources nouvelles contribuant au financement des retraites, il n’est pas interdit de penser que des financements reposant sur une assiette plus large que la seule masse salariale peuvent être recherchés. D’autres pays européens ont déjà commencé à réfléchir aux nouveaux modes de financement de leurs systèmes de retraite. C’est ainsi qu’à l’occasion de la réforme des retraites qu’il vient d’élaborer, le gouvernement allemand a prévu que le nouveau pilier de retraites par capitalisation profiterait d’aides publiques, financées par l’impôt, que l’on peut chiffrer à quelque 100 milliards de francs par an à partir de 2008.
Ce processus est également déjà entamé en France par le biais du Fonds de réserve pour les retraites, abondé par des excédents du Fonds de solidarité vieillesse, donc par de la CSG, par une partie du prélèvement de 2 % sur les revenus du patrimoine, par une fraction de la contribution sociale de solidarité des sociétés, etc. Il faudrait néanmoins, pour que le Fonds de réserve puisse constituer, parmi d’autres mesures, le socle de la confiance dans le système par répartition, que les ressources qui lui sont affectées ne le soient pas annuellement par arrêté ministériel, comme c’est le cas aujourd’hui, mais le soient de manière lisible et pérenne, par exemple par l’attribution d’un demi-point de CSG.
En matière de ressources nouvelles pouvant financer les régimes de retraite, les propositions des organisations représentant les salariés et de certains économistes sont diverses. Certains prônent la création d’une TVA sociale, d’autres des prélèvements sur les revenus financiers des entreprises, d’autres encore l’affectation d’une taxe écologique. L’augmentation de la CSG représente également une voie d’action possible. Bien évidemment, le cadre européen dans lequel est intégrée l’économie française oblige à se poser la question de sa compétitivité, tant pour les entreprises que pour les salariés, notamment les cadres. Il ne serait pas honnête cependant de ne comparer que les taux de cotisation aux systèmes par répartition pour en déduire que les prélèvements ne peuvent pas augmenter en France. Il faut prendre en compte l’ensemble des cotisations, impôts et taxes ayant pour objectif de financer les retraites. Il est alors évident que ce financement global est appelé à augmenter dans tous les pays développés d’ici 2030 à 2050.
Décrire l’avenir du système de retraite de façon apocalyptique est donc trompeur ou mensonger. Oui, il faudra travailler plus, mais c’est acceptable dans un contexte d’augmentation régulière de l’espérance de vie en bonne santé. Oui, il faudra cotiser plus, mais c’est également concevable si l’augmentation de la productivité permet de faire progresser les salaires à un rythme suffisant. Oui, il faudra faire confiance à un contrat collectif renouvelé entre les générations, la faiblesse du contrat actuel étant probablement aujourd’hui le principal élément d’inquiétude des citoyens face à leur système de retraite.
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