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14 mai 2003

La compétition entre plate-formes de négociations d’action aux Etats-Unis

Publié par Sébastien COCHARD (ENSAE 1994), DREE, Ministère de l’Economie et des Finances | N° 22 - La bourse : un nouveau Père Noël ?

Le commissaire priseur des marchés financiers n’est pas Walrasien : il influence en partie le prix d’équilibre. En l’occurrence, la structure du marché des places boursières a une influence non négligeable sur la fixation des prix d’échange et sur les cours. Entre impératif concurrentiel et fragmentation induite de la liquidité, les places boursières et les intermédiaires vivent, du fait des nouvelles technologies de communication, une recomposition radicale des marchés.

La compétition à laquelle sont soumis les marchés d’action américains se concentre depuis 1966 sur la captation des flux d’ordres qui se répartissent entre une vingtaine de plate-formes de négociation principales. En leur sein, la monté des Electronic Communication Network (ECN) fait l’objet d’une attention particulière du régulateur boursier.

La Security and Exchange Commission (SEC) s’efforce en effet depuis trente ans de concilier deux objectifs contradictoires : (1) assurer un processus de fixation des prix qui soit le plus efficace et le plus concurrentiel possible (2) tout en évitant que la concentration des flux d’ordres, nécessaire à la fixation des meilleurs prix, ne concourre à instaurer un monopole. Ainsi, dès la fin des années 1970, tout en cherchant à créer des concurrents au monopole naturel du New York Stock Exchange, la SEC cherchait à protéger les investisseurs des externalités négatives de la fragmentation du marché en mettant en place le National Market System (NMS).

La compétition entre les marchés : des cotations à la captation des flux d’ordre

La compétition pour les cotations se limite à deux acteurs principaux : au 31 janvier 2002, 2794 sociétés étaient côtées sur le Nyse, représentant une capitalisation boursière de 11585 Mds USD et 4072 sociétés étaient côtées au Nasdaq pour une capitalisation totale de 2873 Mds USD. Très loin derrière, l’American Sotck Exchange liste 680 sociétés pour 102 Mds USD. Les flux d’ordres se répartissent eux entre une vingtaine de plate-formes de négociation : outre le Nyse, le Nasdaq, l’Amex et les bourses régionales (Pacific, Boston, Chicago, Philadelphie, Cincinnati), une dizaine d’ECN représentent des volumes importants de transaction. Au cours du mois de janvier 2002, les ECN ont représenté 53% des volumes et 40% de la valeur des transactions de titres listés sur le Nasdaq. Les parts de marché des ECN sur le Nyse seraient restées moins importantes.

La SEC a délibérément suscité cette concurrence par la promulgation, en août 1996, de la règle sur la diffusion des ordres limites qui vise explicitement à accroître la pression concurrentielle sur les market makers du Nasdaq (1) en leur interdisant de faire de la rétention des ordres dont les cours limites ne leur conviennent pas (ce que la SEC appelle les marchés dissimulés) et (2) en offrant, par la publication instantanée de ces ordres, une opportunité à des systèmes électroniques capables de réaliser l’appariement entre l’offre et la demande non satisfaites par les market makers d’accéder à grande échelle aux investisseurs.

Inquiétudes sur une éventuelle fragmentation de la liquidité

L’article 11A(a) du Securities Act révisé fixe les deux principes fondamentaux qui doivent guider la SEC dans son action de régulation des marchés financiers :

- les intérêts de l’investisseur (individuel ou non) priment toute autre considération.
- La SEC s’engage à mettre en place et à maintenir une structure de marchés qui assure simultanément à l’investisseur (1) le bénéfice de la plus grande interaction possible entre les ordres de vente et d’achat et (2) une concurrence équitable entre les différents centres proposant des services d’exécution de transactions.
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Or, la politique de la Commission d’autoriser la déconcentration des ordres présente des risques importants en matière de recherche du meilleur prix pour l’investisseur. En créant les conditions d’un détournement des ordres du lieu de négociation central (Nyse, Nasdaq), la SEC risque de favoriser les comportements de ‘passagers clandestins’ de plate-formes qui proposent à leurs donneurs d’ordres une simple reconduction en temps réel des prix découverts sur le marché sans que leurs propres flux d’ordres ne participent eux-mêmes au processus de découverte des prix. Ce détournement de liquidité se traduit par des prix moins compétitifs et est ainsi préjudiciable à l’ensemble de la communauté des investisseurs.

Une enquête de la SEC menée sur les transactions d’un échantillon de 200 titres du Nasdaq en 200 a ainsi montré que 85% des ordres des investisseurs avaient été dirigés vers des plate-formes de transaction qui ne proposaient pas dans leurs cotations le meilleur prix disponible sur le marché.. L’appariement en interne est ainsi une pratique courante.

La fragmentation de la liquidité, externalité négative de la réalisation de l’objectif concurrentiel de la SEC, est ainsi potentiellement en contradiction avec son premier objectif : la protection des intérêts de l’investisseur. La SEC a toujours eu une conscience claire de cette contradiction. Ainsi, au cours des années 1970, elle a cherché à combattre, par la création du National Market System (NMS) les risques de fragmentation liés à la mise en place du Nasdaq comme concurrent du Nyse. Créé en 1978, le NMS reste encore aujourd’hui le cadre dans lequel doivent se comprendre les actions du régulateur. Il a été conçu dés l’origine comme un ensemblier, destiné à lier entre eux les différentes places par l’intermédiaire de trois systèmes électroniques chargés de (1) diffuser les caractéristiques des transactions après leur réalisation - Consolidated Tape - (2) publier les informations pré-transaction et déterminer les meilleurs offres à l’achat et à la vente pour chaque titre - National Best Bid and Offer - et (3) rediriger les ordres d’un marché vers un autre pour exécution - Intermarket Trading Service, ITS.

En dépit des efforts de la SEC, les ECN (sauf Instinet) ont refusé de participer aux systèmes électroniques de re-création de la liquidité du NMS. Ils justifient ce refus par les insuffisances du NMS et l’impossibilité d’y valoriser leurs avantages compétitifs hors-prix. L’ITS est en effet lent à comparer et exécuter les ordres (90s) par rapport aux vitesses d’exécution des ECN qui peuvent être inférieures au millième de seconde. Selon les ECN, un investisseur peut être plus intéressé par un gain de vitesse que par un avantage financier (parfois peu considérable) lié à la règle de la meilleure exécution, qui l’obligerait à patienter le temps que « l’antique’ ITS compare tous les prix disponibles entre les différentes plates-formes.

Limiter l’influence des facteurs favorisant la fragmentation

Afin de limiter les effets de cette fragmentation, la Commission est parvenue à imposer aux entreprises de marché et aux courtiers le passage aux cotations décimalisées. Mais surtout les conditions d’une réunification de la liquidité ont été mises en œuvre par l’adoption d’un projet devant permettre à terme de créer ce « carnet central des ordres limites » que la Commission n’avait jamais réussi à imposer aux marchés.

En effet, en janvier 2001 et après quinze mois de négociations avec le Nasdaq et les ECN, la SEC donnait son accord à la mise ne place d’une nouvelle plate-forme de trading supposée révolutionner les conditions de transaction des ordres sur les marchés américains. La Nasdaq Order Display Window, plus connue sous le nom de Super Montage, vise à recréer les conditions d’une liquidité maximale dans le processus de découverte des prix : les ordres collectés y sont dirigés automatiquement et anonymement vers les trois meilleurs prix disponibles sur le marché. Les négociations avec les ECN ont porté essentiellement sur l’algorithme retenu pour l’adressage des ordres. En particulier, ils se sont insurgés contre la première version du projet qui prévoyait une exécution automatique des ordres en fonction de critères stricts meilleur prix - ordre de soumission : contrepartie revendiquée de leurs services ‘hors-prix’ (en particulier leur rapidité d’exécution), les ECN prélèvent en effet des commissions qui les auraient systématiquement disqualifiés. Dans la dernière version retenue par la SEC, les participants à la plate-forme ont ainsi le choix entre trois options d’exécution automatique : stricte priorité prix/présentation, priorité prix/taille/présentation ou priorité prix/présentation le prix excluant les commissions prélevées par les ECN.

Si l’utilisation de Super Montage est prévue pour être facultative, les intentions de la SEC ne trompent personne et les ECN ont obtenu la mise en place d’un garde-fou concurrentiel : le Nasdaq ne pourra débuter les opérations de Super Montage avant qu’une plate-forme alternative n’ait été mise en place par la Nasd. Cette plate-forme à participation volontaire permettrait en particulier l’affichage des cotations des plate-formes de négociations dont les prix ne leur ont par permis d’être retenues dans les trois meilleures offres par Super Montage.

Les ECN ont en effet souligné le conflit d’intérêt d’une entreprise de marché (le Nasdaq) qui gèrerait un outil de concentration de la liquidité comme Super Montage. L’agrément du Nasdaq comme bourse étant lié à la completion du processus de démutualisation et de séparation de la Nasd, les ECN ont ainsi réussi à imposer un calendrier difficile.

A la suite de ce projet de reconstitution de la liquidité par la SEC, l’appréciation majoritairement partagée est que les parts de marchés des ECN ne devraient pas résister à la mise en place de Super Montage. Dans cette perspective, la fusion de Archipelago (5,6% de part de marché sur le Nasdaq en janvier 2002) et Redibook (8,2%) a été annoncée fin novembre 2001 et réalisée dés mars 2002. Archipelago avait par ailleurs proposé à la SEC en janvier 2000 sa fusion avec le Pacific Stock Exchange (PCX). L’acceptation de ce rapprochement par la SEC a ainsi permis à Archipelago d’obtenir le statut de bourse (et donc la capacité à lister des sociétés), principal approt du PCX dans une optique de concurrence post- Super Montage. Instinet de son côté cherche à favoriser la consolidation par une guerre des prix, annonçant par exemple en mars 2002 une réduction de l’ordre de 60% des commissions imposées aux courtiers.

Super Montage favorise également la tendance à l’effacement des distinctions opérationnelles entre les différentes plates-formes de négociations. La distinction continue donc de s’amenuiser progressivement entre marchés d’enchère (Nyse, où la liquidité est animée pour chaque valeur par un ‘spécialiste’) et marché de marchands (Nasdaq, où les courtiers membres se chargent collectivement d’animer le marché). Le Nyse a ainsi mis en place en avril 2001 son propre ECN, fonctionnant selon les principes du Nasdaq. De son côté, le Nasdaq a débuté en décembre 2001 un processus d’enchères imité du Nyse.

Au total, on peut surtout attendre de Super Montage qu’elle réoriente la concurrence entre plate-formes sur le terrain des listings. La structure de revenu du Nyse se décompose ainsi : 20% du chiffre d’affaire provient des revenus du trading, 20% de la vente d’informations au marché, 20% de revenus divers et 40% des commissions du listing. Avec la stabilisation des parts de marché des différentes plates-formes de transaction que devrait induire Super Montage, la concurrence pourrait ainsi se réorienter vers la vente d’information et les tentatives d’attirer les cotations des sociétés. Le statut de bourse, dans ce contexte, devient primordial ; le rapprochement de l’ECN Archipelago avec le Pacific Stock Exchange doit vraisemblablement s’interpréter dans ce sens.

Autrice

Sébastien COCHARD (ENSAE 1994), DREE, Ministère de l’Economie et des Finances

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