Les économistes à la conquête de l'espace.
LES EFFETS DE LA BAISSE ACCÉLÉRÉE DES COÛTS DE TRANSACTION FONT PRENDRE CONSCIENCE AUX ÉCONOMISTES DES INSUFFISANCES DE LEURS ANALYSES.
Longtemps les économistes se sont relativement peu préoccupés de l’intégration de la dimension spatiale dans leurs analyses. Seul le commerce international apparaissait comme une composante à part entière de la théorie économique dominante compte tenu de l’importance des flux d’échanges de marchandises résultant de la forte spécialisation des économies nationales. Corrélativement, la politique commerciale et la politique de change étaient reconnues comme des éléments de la palette des instruments à la disposition des autorités politiques dont les effets faisaient l’objet de l’attention des économistes. Les questions de localisation des activités se sont longtemps cantonnées à des travaux de nature académique dontcertains pouvaient déjà faire présager des phénomènes de polarisation engendrés par la concurrence, tels, par exemple, le célèbre théorème de Hotelling démontrant que deux m a rchands de glaces concurrents sur une même plage ont intérêt à se placer côte à côte au milieu de la plage.Dans ce contexte, les travaux empiriques sur la localisation privilégiaient plutôt une approche selon l’intensité des contraintes de m a rché amont-aval : activités contraintes par l’offre d’inputs (secteur primaire), activités contraintes par la demande (services et BTP) et activités à localisation dite libre (industrie). Avec une telle approche, typique par exemple des travaux de Klaassen, l’industrie apparaît comme le candidat naturel à la pol itique d’aménagement du territoire puisqu’elle est supposée disposer de m a rges de manœuvre en term e s d’implantation. L’industrialisation de l’Ouest de la Franc e prônée et favorisée par la DATAR avant la crise du milieu de la décennie 70 en constitue l’illustration. Clairement ce type de politique s’inscrit dans un volet répartition-solidarité spatiale supposé être sans lien direct avec les préoccupations d’efficacité relatives à la compétitivité du système productif. Le paysage s’est radicalement transformé au fur et à mesure que les p rogrès du transport et de la communication d’une part , et la généralisation des politiques de libéralisation des échanges de marchandises et de flux de capitaux d’autre part, ont provoqué un abaissement substantiel des coûts de transaction. Le processus d’intégration économique s’est alors accéléré à toutes les échelles géographiques. Que ce soit au niveau mondial avec l’intensification des flux d’échanges commerciaux et financiers nécessitant un renforcement de la coordination des politiques macro économiques dans un monde plus interdépendant jusqu’au niveau le plus local avec la disparition des commerces de proximité face à la concurrence exercée par l’émergence des grandes surfaces. Les économistes ont alors pu être déstabilisés. Ils vivaient dans un monde où coexistait une théorie dominante fondée sur l’hypothèse d’une concurrence pure et parfaite et une réalité dans laquelle les coûts de transaction sous leurs diverses formes constituaient des barrières monopolistiques efficaces. Avec la baisse des coûts de transaction, l’a ffaiblissement de ces barrières a suscité des réactions stratégiques des entreprises que les économistes étaient mal armés à expliquer puisque leur analyse niaient l’existence même de ces freins à la concurrence. Cette situation a favorisé une résurgence et un développement des travaux mettant au centre de leurs préoccupations les hypothèses de concurrence imparfaite.
UNE NOUVELLE APPROCHE POUR LA COMPRÉHENSION DES STRATÉGIES D’ENTREPRISES ET POUR L’ORIENTATION DE L’ACTION DES AUTORITÉS PUBLIQUES.
En résumé et pour simplifier, la nouvelle économie géographique considère que l’abaissement des coûts de transaction réduit les protections monopolistiques. Face à cet accentuation de la concurrence, les entreprises réagissent en différenciant leurs produits par rapport à leur concurrents, re t rouvant dans la spécificité des gammes une protection p e rdue au plan spatial. Ce faisant les entreprises craignent alors moins qu’auparavant la proximité de leurs concurrents. Elles vont même la rechercher indirectement dans la mesure où les unes comme les autres vont vouloir bénéficier des économies externes engendrées par les grandes agglomérations pour développer leurs nouvelles activités plus sophistiquées. Proximité des grands m a rchés avec diversité de clientèles, disponibilité d’une gamme étendue de ser vices publics, existence de m a rchés du travail fournissant un l a rge éventail de qualifications nécessaires pour la mise en place d’investissements de re c h e rche et d’une production de produits différenciés. Il en résulte alors une polarisation des activités sur le territoire qui est, en quelque sorte, le corollaire du processus de complexification et de diversification de la production.Cette nouvelle approche a pu être ressentie comme menaçante par les tenants de la politique d’aménagement du territoire traditionnelle. Dans la mesure où les choix de localisation constituent un élément fondamental de la stratégie des entreprises, la politique d’aménagement du territoire perd la marge de manœuvre dont elle pensait pouvoir disposer concernant les activités dites à localisation libre. Pire encore, cette théorie prédit une polarisation du territoire supposée contraire aux idéaux de l’aménagement du territoire. Enfin cette polarisation ne constitue pas une sorte de dysfonctionnement mais, dans la mesure où elle conditionne la diversité de la production souhaitée par les consommateurs, elle est même auréolée d’un caractère d’optimalité.
Il n’y a alors plus de découplage possible ent re une recherche de répartition harmonieuse des activités sur le territoire, sorte de déclinaisonéconomique de la vision de jardin à la française, et les préoccupations d’efficacité et de compétitivité du système productif. Cette divergence d’approches ne pouvait qu’attiser les débats polémiques. En fait, la réalité est plus complexe et les options plus ouvertes que cette présentation sommaire ne pourrait le laisser croire. Si la nouvelle économie géographique met clairement l’accent sur la tendance à la polarisation, elle ne précise ni à quel niveau territorial ni en quels lieux elle va s’exercer ; elle ne dit pas plus à quelle vitesse le processus va se dérouler. Or toutes ces questions sont fondamentales pour la politique d’aménagement du territoire. Pour ne considérer que le premier point, une polarisation qui s’exercerait directement au niveau de l’Union européenne en spécialisant fortement les économies des Etats membres serait susceptible d’engend rer de fortes tensions et disparités sur les marchés nationaux du travail. Elle impliquerait des ajustements coûteux en cas de chocs assymétriques compte tenu de la faible mobilité internationale du travail. A l’inverse, si cette polarisation s’exerce à des niveaux régionaux ou subrégionaux il peut en résulter un renforcement de l’armature urbaine de chaque pays tout à fait compatible avec les objectifs traditionnels de l’aménagement du territoire. Les travaux empiriques conduisent plutôt à conclure à une polarisation circonscrite au sein de chacun des Etats membres plutôt qu’au niveau de l’union.
L’importance des choix de localisation dans la stratégie des entreprises se traduit égal ement par des responsabilités économiques accru e s pour les collectivités locales. Celles-ci se trouvent alors mises en concurrence, leur offre de biens ou de s e rvices publics locaux devient un élément déterminant pour la compétitivité de leur territoire. Comme pour les entreprises, elles ont intérêt à diversifier cette off re pour éviter une c o n c u rrence ravageuse où les e n t reprises pourraient conditionner leur implantation au montant des avantages financiers obtenus. De ce fait, les acteurs publics que sont les collectivités territoriales deviennent tout autant acteurs que régulateurs du jeu économique. La politique d’aménagement du territoire a évidemment un rôle à jouer pour aider les collectivités locales à diversifier leur off re de biens publics locaux. Ces mêmes collectivités ont également des stratégies de complémentarité à mettre en œuvre pour celles appartenant à un même espace métropolisé. La multiplication récente des expériences de coopérations interc o m m u n a l e s favorisée par le nouveau contexte législatif de 1999 va clairement dans ce sens.
UNE DEMANDE INDUITE DE STATISTIQUES LOCALISÉES CONSTITUANT UN VÉRITABLE DÉFI POUR LE SYSTÈME STATISTIQUE PUBLIC.
Si la dimension spatiale occupe une place plus importante dans les stratégies élaborées tant par les acteurs privés que publics, il doit en résulter de nouvelles demandes d ’ i n f o rmations statistiques. Par exemple, les travaux économétriques c h e rchant à identifier les variables explicatives des choix de localisation hiérarchisés butent sur la disponibilité des ces différentes variables à chaque niveau géographique. Mais au-delà des travaux de re c h e rche, la nouvelle économie géographique nous fait aussi mieux compre n d re que r é p a rtition du réseau de distribution des biens et services, éventail de la gamme des produits off e r ts par r a p p o rt à celle de la concurre n c e , caractéristiques de la clientèle locale const ituent autant d’éléments fondamentaux qu’il faut combiner pour définir des stratégies d’entreprise gagnantes. La statistique publique doit alors pouvoir fournir une i n f o rmation finement localisée que l’entreprise puisse intéger de façon p e rtinente à son système d’information interne pour développer une approche géomarketing fondant ses choix stratégiques. C’est un défi de premier ordre pour le système statistique public. L’obstacle le plus directement perceptible est de n a t u re budgétaire : re n d re significatif une enquête à un niveau géographique plus fin engendre rapidement des coûts croissants. Pour fixer un ordre de grandeur, on estime généralement que re n d re si gnificatif au plan régional une enquête nationale suppose de multiplier son budget par cinq. On imagine c l a i rement les limites d’un tel processus sans même parler des problèmes d’acceptabilité de la part des enquêtés liés à l’alourdissement de la charge statistique.
En conséquence, accroître l’offre d’informations localisées c’est d’abord développer l’exploitation à des fins statistique de sources administratives et de gestion. Encore faut-il pouvoir y accéder. La loi de 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière statistique en fixe le cadre juridique dans son article 7 bis. Mais cette possibilité n’exonère pas des longues négociations nécesaire s pour mettre au point les conditions et modalités de mise à disposition entre l’administration détentrice de l’information et les composantes du système statistique public concernées par son exploitation. Rendre l’information potentielle réellement accessible peut aussi nécessiter de lourds investissements préalables, notamment informatiques. Par ailleurs, l’information administrative est conçue en fonction d’une problématique de gestion qui n’est pas toujours adaptée à celle de l’utilisateur de données statistiques. Parfois, la situation est plus ambiguë, l’information intéressant l’utilisateur peut être présente dans la source administrative mais de faible qualité si ce ne sont pas sur ces variables que sont assises les opérations de gestion. Les gestionnaires s’attacheront naturellement à vérifier en priorité la qualité de l’information directement utile à leur activité.
Une autre difficulté tient au respect de la confidentialité de l’inform a t i o n . Même si elle n’est pas nominative, une information finement localisée peut perm e t t re une identification i n d i recte des personnes morales ou privées enquêtées. Au-delà du seul risque d’identification indirecte, la CNIL veille aussi à ce qu’au travers d’une diffusion trop fine des données on ne favorise pas un profilage des individus susceptible de leur port e r préjudice, par exemple s’il apparaît qu’il réside dans un quartier sensible. Ceci a conduit, par exemple pour la diffusion des résultats du recensement de la population 1999, à définir des briques géographiques de base, dites IRIS 2000, pour les zones infracommunales en deça desquelles l ’ i n f o rmation n’est plus délivrée. Le t e rme IRIS 2000 signifie que ces briques élémentaires contiennent e n v i ron 2000 habitants. Il est clair aussi que ces briques de base doivent ê t re définies a priori et constituer une p a rtition du terr i t o i re concerné faute de quoi il serait possible d’obtenir une information sur un micro quartier ne respectant plus les exigences de confidentialité par intersection de briques élémentaires habilement définies.
Enfin, diffuser largement grâce aux possibilités off e rtes par les nouvelles technologies, une statistique finement localisée à un grand nombre d’utilisateurs suppose aussi d’assortir ces données de méta-informations. Il faut, en effet, que chaque utilisateur soit suffisamment averti des caractéristiques du processus de p roduction des données de telle sort e qu’il puisse les employer à bon escient. C’est donc un chantier de grande ampleur pour les statisticiens public s que de bâtir un système d ’ i n f o rmation régional et local à la hauteur des besoins d’aujourd ’ h u i . C’est d’ailleurs la raison pour laquelle cette orientation constitue la priorité retenue par l’actuel programme à moyen terme du Conseil National de l’Information Statistique.
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