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14 mai 2003

La détention d’actions par les ménages français

Publié par Guilhem BENTOGLIO (ENSAE 2000), Economiste au Commissariat Général au Plan | N° 22 - La bourse : un nouveau Père Noël ?

De plus en plus de Français détiennent des actions, mais la part de celles-ci dans le patrimoine fluctue beaucoup, au gré des variations des indices boursiers. Pour pallier cela, les placements indirects sont en augmentation, témoins de la diversification des portefeuilles des ménages. Il ne faut cependant pas oublier que c’est un patrimoine très inégalement réparti, 75% de la population n’ayant pas d’actions et 1% des ménages concentrant 50% des placements.

Les années boursières particulièrement fastes de la fin de la décennie 1990 ont suscité un engouement pour les placements en actions. Même après les fortes déconvenues récentes, les banques rivalisent de produits « mutants » censés combiner les rendements d’une Bourse en bonne santé et la sécurité d’un placement de père de famille. On ne peut plus écouter les informations sans être perfusé des heurs et malheurs des valeurs du Nikkei japonais. Même le site des anciens de l’Ensae vous distille en temps réel les (contre-) performances des indices boursiers indispensables à l’épanouissement de la femme moderne. Et pourtant. Dès que l’on prend ses distances avec les flashs de BFM, force est de constater que les Français ne sont pas tous devenus actionnaires. Certes, le nombre de ménages détenteurs d’actions augmente. Mais la plupart des Français n’a pas fait sa lettre au nouveau Père Noël, refusant ou n’ayant pas les moyens de succomber aux sirènes de la Bourse. Et c’est tant mieux, parce que le Père Noël n’existe pas. Bien sûr, au niveau individuel, il est toujours possible de faire des affaires, à conditions d’être doté d’un nez et d’une patience hors du commun. Mais au niveau agrégé, qui est le cadre de cet article , il apparaît que l’évolution des comportements, bien que réelle, reste lente. Et que le placement actions est à considérer avec prudence.

Les actions se diffusent graduellement au sein des ménages français

Les Français sont de plus en plus nombreux à détenir des actions. A la fin des années 1990, près d’un quart des ménages détiennent des actions soit directement soit indirectement. En ce qui concerne les seules actions directes, le taux de détention par ménage passe de 7 % en 1986 à 17 % en 2000. (Le taux de détention directe par individu est quant à lui de 12 % en 2000.) Il existe des différences sensibles de détention selon les types de ménages. Sans surprise, il apparaît que l’archétype du ménage détenteur d’actions est celui dont la personne de référence est âgée de 40 à 60 ans, exerce une profession libérale ou d’encadrement et a suivi des études supérieures.
Ces caractéristiques se retrouvent dans les principaux autres pays européens et aux États-Unis. Cependant, il existe une assez forte variabilité dans les taux de détention, allant en 1998 de 15 % en Italie à 49 % aux États-Unis, en passant par 23 % en France.

De quelles actions parle-t-on ?

Alors que la plupart des études sur le sujet se restreignent aux actions cotées, ou aux actions détenues directement, les chiffres donnés ici comptabilisent toutes les actions détenues par les ménages, qu’elles soient cotées en Bourse ou non, qu’elles soient détenues directement ou indirectement (par l’intermédiaire de produits de détention collective comme l’assurance-vie ou les OPCVM, SICAV par exemple). Une évaluation rigoureuse des actions des ménages ne peut faire abstraction des actions non cotées. En effet, ces dernières constituent une part prépondérante de l’actionnariat des ménages français. En outre, tous les pays n’ayant pas la même proportion de coté et de non coté, les comparaisons internationales imposent de travailler sur le total. De même, le poids croissant des actions détenues indirectement par les ménages implique de tenir compte de ce mode de détention.

Le patrimoine en actions reste cependant très concentré

Bien que les actions se diffusent parmi les ménages français, il reste que 75 % d’entre eux ne possèdent aucune action. En outre, parmi les détenteurs la distribution est très inégale : 1 % des ménages détiennent presque la moitié des actions. Cette extrême concentration de l’actionnariat se retrouve aux États-Unis où 47 % d’actions sont détenues par 1 % des ménages. Le fort écart entre la France et les États-Unis dans les taux de détention ne doit donc pas faire illusion quant à l’impact de cette différence de structure au niveau national : la frange de la population qui est actionnaire aux États-Unis mais qui ne l’est pas en France ne détient que 3 % des actions des ménages américains. Puisque ces derniers détiennent globalement plus d’actions que les ménages français alors que la concentration de l’actionnariat est presque aussi forte aux États-Unis qu’en France cela signifie que la détention conditionnelle (part des actions dans le patrimoine financier de la sous population des détenteurs d’actions) est plus élevée aux États-Unis. Le fait que la culture de l’actionnariat soit plus diffusée aux États-Unis n’a finalement que peu d’impact sur le montant global des actions en jeu.

Les actions représentent en 2001 près d’un tiers du patrimoine financier des ménages français

Depuis vingt-cinq ans, la part des actions dans le patrimoine financier des ménages français a fortement progressé, s’établissant à environ 30 % fin 2001 (contre 11 % en 1977), ce qui représente 14 % du patrimoine total des ménages. Ce chiffre place la France dans la moyenne européenne et sensiblement en dessous des pays anglo-saxons (où il est de l’ordre de 45 %). Ce différentiel entre la France et les Etats-Unis reflète les particularités de la structure économique française, marquée par le poids relativement fort des entreprises publiques qui ne sont pas détenues par les ménages et l’organisation collective de la protection sociale et d’une certaine forme de production (coopératives).

Mais leur poids a fortement varié dans le temps en fonction des cours boursiers

La hausse constatée lors des vingt-cinq dernières années n’est cependant pas régulière. En France comme dans les autres pays étudiés, le patrimoine en actions des ménages passe par des phases successives de hausse et de baisse liées essentiellement aux fluctuations boursières. En particulier, l’éclatement de la bulle boursière rappelle que le produit action est un actif particulièrement volatil. Ainsi, une estimation pour mars 2003 donne une diminution de la part des actions dans le patrimoine financier des ménages de 9 points en France et 5 points aux États-Unis par rapport à décembre 2001.
L’évolution de la part des actions dans le patrimoine des ménages tient donc beaucoup moins à des comportements actifs d’achats ou de ventes d’actions qu’à des effets de valorisation sur les marchés boursiers. La faiblesse des achats nets montre que les ménages français dans leur ensemble ne se sont pas particulièrement tournés vers les actions lors des dernières années (ce qui n’empêche pas des redistributions entre différents ménages). Ils se sont essentiellement contentés de laisser leurs portefeuilles grossir avec la hausse des cours jusqu’en 2000 (et inversement depuis).

Les actions non cotées détenues par les ménages

Il est très délicat d’estimer la valeur marchande des actions non cotées au plan macro-économique, en l’absence d’un marché organisé permettant de suivre l’évolution du prix de ces valeurs. Pour assurer l’homogénéité temporelle des évaluations du patrimoine national, la comptabilité nationale n’a pas d’autre choix que de se référer à la valeur de marché des composantes de ce patrimoine, à la date où les comptes sont établis. L’application de cette règle pose problème pour les actions non cotées, qui n’ont pas de prix de marché observable. Les normes recommandent alors la référence à un marché le plus comparable possible, en l’occurrence celui des actions cotées. Elles invitent toutefois à tenir compte des différences pouvant exister entre actions cotées et non cotées, en terme de liquidité, de rendement, d’appartenance sectorielle et de niveau des réserves accumulées au bilan. Il existe différentes méthodes de valorisation, qui mènent à des résultats sensiblement différents.
En tenant compte de ces aléas de mesure, on peut considérer que la part des actions non cotées dans le patrimoine en actions des français s’élève à 60 % en 2001. Ce chiffre place la France en position intermédiaire parmi les principaux pays d’Europe continentale (Allemagne, Espagne, Italie).

La détention indirecte croit via les OPCVM et l’assurance-vie

Parallèlement, le mode de détention des actions se modifie. En France, la détention indirecte reste minoritaire (35 % de l’ensemble des actions en 2001), mais elle s’est fortement accrue en vingt-cinq ans. Les ménages français sont de plus en plus attirés par les produits de détention collective tels que l’assurance-vie ou les OPCVM de long terme (SICAV par exemple). En revanche, le poids des actions dans ces produits reste relativement stable, entre 20 et 30 %.
En Europe, les chiffres sur la part de la détention indirecte montrent de très fortes variations d’un pays à l’autre. Il faut souligner que ces taux sont très sensibles au mode d’évaluation du non-coté (essentiellement détenu en direct). Aux États-Unis, la part de l’indirect est de 47 % en 2001. L’écart entre la France et les États-Unis provient en partie des différences de système de retraite : les Américains détiennent une part importante d’actions dans des fonds de pension, ces dernières représentant 59 % de l’indirect. Un des types de fonds de pension américain (fonds de pension à cotisations définies, de type 401k par exemple) s’apparente à l’épargne salariale en France. Cette dernière est majoritairement investie en actions, qui représentent 2 % de l’ensemble des actions détenues par les ménages français et 11 % de l’indirect (respectivement 19 % et 38 % pour les actions détenues via les fonds de pension à cotisations définies aux États-Unis). Environ 80 % des actions détenues via l’épargne salariale sont des actions de l’entreprise. Dans le contexte récent de difficultés financières rencontrées par certaines entreprises (allant parfois jusqu’à la faillite), ce chiffre donne la mesure des risques pesant sur l’épargne salariale des ménages.

Sans entrer dans le débat répartition/capitalisation, on peut souligner quelques éléments. Tout d’abord, d’éventuels placements complémentaires en actions doivent tenir compte des règles élémentaires de diversification. Or le mélange des genres qui prévaut actuellement entre participation (dont la logique est d’intéresser les salariés aux profits de leur entreprise et donc de les inciter à détenir des actions de ladite entreprise) et épargne retraite tend à faire oublier le principe de diversification. Ensuite, une approche de long terme des ratios de rentabilité financière des entreprises laisse par ailleurs penser la période de la fin des années 1990 était exceptionnelle et que, malgré les fortes corrections qui ont suivi, il y a peu de raisons pour que, à moyen terme, les marchés boursiers repartent à la hausse à des rythmes semblables à ceux qui prévalaient alors. Cela rappelle que les placements en actions sont des placement de long ou très long terme.

Autrice

Guilhem BENTOGLIO (ENSAE 2000), Economiste au Commissariat Général au Plan

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