L’effet de serre : une externalité partiellement traitée par la création de nouveaux marchés
L’effet de serre présente des caractéristiques particulières qui en font, comme d’autres problèmes de pollution atmosphérique, un champ idéal d’application de « droits à polluer », selon la formule maladroite des économistes, ou de « permis d’émission négociables » selon une formule plus acceptable. En effet, l’effet de serre se manifeste par une évolution du climat qui aura des répercussions très hétérogènes selon les zones géographiques, et qui est dû à l’augmentation dans l’atmosphère de la concentration de gaz dits à effet de serre. Du fait que seule la concentration de ces gaz dans l’atmosphère est déterminante, le lieu d’émission de ces gaz est indifférent, seule la quantité totale d’émissions importe. La concentration en gaz à effet de serre de l’atmosphère est un bien public mondial au vrai sens du terme. Parmi les gaz à effet de serre, la contribution du gaz carbonique (CO2) est tout à fait majoritaire, et la majeure partie des émissions de ce gaz provient de la combustion des énergies fossiles. Autrement dit, tout agent qui brûle un combustible fossile (du producteur d’une centrale au charbon à l’automobiliste en passant par le randonneur qui utilise un Butagaz) est à l’origine d’un effet externe négatif pour le reste de l’humanité. Face aux effets externes, les économistes préconisent une internalisation, par exemple par le recours à des mécanismes de marché, en s’appuyant sur une tarification de l’énergie ou sur la création du marché d’un nouveau bien représentatif de l’effet externe visé. C’est plutôt ce dernier instrument qui va nous intéresser par la suite, car il est un objet de curiosité pour les européens qui l’ont encore peu expérimenté. Après avoir explicité les mécanismes d’échange prévus par les accords internationaux, la suite montre que ces mécanismes d’échange apparaîtront de façon décentralisée et avant l’échéance internationale de 2008.
Le Protocole de Kyoto (1997) a prévu un recours à des mécanismes d’échanges
Lors du sommet de la terre de Rio (1992), la Convention Cadre sur le Changement Climatique des Nations Unies établit pour objectif de maîtriser les émissions de gaz à effet de serre. Du fait du principe de ‘responsabilité commune mais différenciée’, le protocole qui en découle propose une dichotomie entre les pays développés et les pays en voie de développement. Le protocole de Kyoto (1997) prévoit en effet que les pays en développement s’en tiennent dans un premier temps à des obligations d’information, alors que les pays développés adoptent des engagements quantitatifs, c’est-à-dire s’engagent à limiter leurs émissions de gaz à effet de serre à un montant calculé en référence à leurs émissions de 1990. Globalement, les pays développés s’engagent à ce qu’en 2008-2012, leurs émissions soient de 5,2 % inférieures à celles de 1990. Si cet objectif est modeste sur le plan environnemental puisqu’il ne changera que très modestement la composition de l’atmosphère, il est déjà considéré comme ambitieux économiquement, voire trop ambitieux pour les Etats-Unis qui ont annoncé leur retrait du Protocole en mars 2001. Trois mécanismes de flexibilité ont par ailleurs été négociés et adoptés en contrepartie de ces objectifs nationaux quantifiés, afin de permettre aux pays de respecter leurs engagements en les autorisant à faire réaliser les réductions d’émissions là où elles sont le moins
Un projet de directive européenne propose un marché de pour les industries intensives en énergie et les producteurs d’électricité dès 2005
Après avoir annoncé une stratégie d’adoption de directives dans un programme européen de lutte contre le changement climatique, la Commission a commencé sa mise en oeuvre par une proposition de directive qui, justement, recourt aux mécanismes d’échanges pour maîtriser les émissions de gaz à effet de serre des industries intensives en énergie et des producteurs d’électricité dans l’espace économique européen. Plus précisément, la proposition de directive établit un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre au sein de l’Union Européenne pour les industries intensives en énergie. Prévu pour le CO2, mais destiné à être rapidement élargi aux autres gaz à effet de serre, il débuterait en 2005, ce qui nécessite une transposition rapide et une organisation précise pour chaque Etat membre. Selon la proposition de la Commission, seules les émissions de CO2 des installations de combustion ayant une puissance calorifique supérieure à 20 MW de certaines installations classées seraient couvertes durant la première période (2005-2007). La Commission estime que celles-ci représentent environ 46 % du total des émissions de CO2 de l’Union en 2010, et que 4 000 à 5 000 installations seront concernées dans l’ensemble de l’Union européenne. Afin de se caler sur la période d’engagement de cinq ans prévue dans le protocole de Kyoto à partir de 2008, une première période d’échanges de trois ans (2005-2007) est envisagée, suivie de périodes de 5 ans. Au cours de chaque période, les entités qui auront été autorisées à participer au marché pourront échanger des quotas, chaque quota correspondant à une tonne de CO2. Elles devront, à la fin de chaque année, détenir suffisamment de quotas pour couvrir leurs émissions. Ce système d’échange permet, par le simple
D’autres échanges ont d’ores et déjà lieu
Avant même que le marché européen ne voit le jour en 2005, ou que les actifs du protocole de Kyoto ne soient créés, des échanges ont déjà lieu sous forme de contrats entre acteurs privés ou entre industriels et gouvernements, qui parient sur le fait que les réductions d’émission correspondantes prendront de la valeur. Ces contrats n’étonnent cependant pas les économistes qui, aux USA, ont observé des échanges à terme de quotas d’émissions de SO2 des centrales électriques dès 1992, alors que le marché correspondant n’était crée qu’en 1995. Concernant le changement climatique, Natsource, un courtier actif sur le changement climatique, estimait en août 2001 à 55 MtéqCO2 le volume des échanges contracté lors d’une centaine d’échanges inter-entreprises. Dans le meilleur des cas, ces échanges seront l’équivalent de transactions à terme, c’est-à-dire qu’ils trouveront leur valeur juridique sur le marché international en 2008-2012. Cette valorisation n’étant pas certaine, ces échanges correspondent cependant à une véritable prise de risque des opérateurs. Au travers de l’effet de serre, les idées de création de droits d’émission des économistes s’incarnent. Et dans un univers où les juristes et les administrations responsables de l’environnement sont peu familiers de ce genre d’outils, la vigilance de l’économiste doit être permanente. A lui de les éclairer afin que les détails de mise en oeuvre n’atténuent pas le ressort même du marché envisagé : l’intérêt à échanger des quotas entre sources d’émissions.
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