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16 avril 2003

L’effet de serre : une externalité partiellement traitée par la création de nouveaux marchés

Publié par Sylviane GASTALDO (ENSAE 1988) Ministère de l’environnement, Direction des études économiques et de l’évaluation environnementale | N° 20 - Risques environnementaux

L’effet de serre présente des caractéristiques particulières qui en font, comme d’autres problèmes de pollution atmosphérique, un champ idéal d’application de « droits à polluer », selon la formule maladroite des économistes, ou de « permis d’émission négociables » selon une formule plus acceptable. En effet, l’effet de serre se manifeste par une évolution du climat qui aura des répercussions très hétérogènes selon les zones géographiques, et qui est dû à l’augmentation dans l’atmosphère de la concentration de gaz dits à effet de serre. Du fait que seule la concentration de ces gaz dans l’atmosphère est déterminante, le lieu d’émission de ces gaz est indifférent, seule la quantité totale d’émissions importe. La concentration en gaz à effet de serre de l’atmosphère est un bien public mondial au vrai sens du terme. Parmi les gaz à effet de serre, la contribution du gaz carbonique (CO2) est tout à fait majoritaire, et la majeure partie des émissions de ce gaz provient de la combustion des énergies fossiles. Autrement dit, tout agent qui brûle un combustible fossile (du producteur d’une centrale au charbon à l’automobiliste en passant par le randonneur qui utilise un Butagaz) est à l’origine d’un effet externe négatif pour le reste de l’humanité. Face aux effets externes, les économistes préconisent une internalisation, par exemple par le recours à des mécanismes de marché, en s’appuyant sur une tarification de l’énergie ou sur la création du marché d’un nouveau bien représentatif de l’effet externe visé. C’est plutôt ce dernier instrument qui va nous intéresser par la suite, car il est un objet de curiosité pour les européens qui l’ont encore peu expérimenté. Après avoir explicité les mécanismes d’échange prévus par les accords internationaux, la suite montre que ces mécanismes d’échange apparaîtront de façon décentralisée et avant l’échéance internationale de 2008.

Le Protocole de Kyoto (1997) a prévu un recours à des mécanismes d’échanges

Lors du sommet de la terre de Rio (1992), la Convention Cadre sur le Changement Climatique des Nations Unies établit pour objectif de maîtriser les émissions de gaz à effet de serre. Du fait du principe de ‘responsabilité commune mais différenciée’, le protocole qui en découle propose une dichotomie entre les pays développés et les pays en voie de développement. Le protocole de Kyoto (1997) prévoit en effet que les pays en développement s’en tiennent dans un premier temps à des obligations d’information, alors que les pays développés adoptent des engagements quantitatifs, c’est-à-dire s’engagent à limiter leurs émissions de gaz à effet de serre à un montant calculé en référence à leurs émissions de 1990. Globalement, les pays développés s’engagent à ce qu’en 2008-2012, leurs émissions soient de 5,2 % inférieures à celles de 1990. Si cet objectif est modeste sur le plan environnemental puisqu’il ne changera que très modestement la composition de l’atmosphère, il est déjà considéré comme ambitieux économiquement, voire trop ambitieux pour les Etats-Unis qui ont annoncé leur retrait du Protocole en mars 2001. Trois mécanismes de flexibilité ont par ailleurs été négociés et adoptés en contrepartie de ces objectifs nationaux quantifiés, afin de permettre aux pays de respecter leurs engagements en les autorisant à faire réaliser les réductions d’émissions là où elles sont le moins



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coûteuses, y compris n dehors du territoire national. Cette possibilité a cependant été longtemps l’objet de malentendus des deux côtés de l’Atlantique : présentée comme une souplesse économique sans dommage pour l’environnement aux USA, elle était interprétée par les européens comme un échappatoire pour les pays qui peuvent, sous réserve d’acquérir les réductions d’émissions correspondantes à l’étranger, continuer à avoir des comportements et des modes de vie dispendieux en énergie. Les trois mécanismes de flexibilité prévus sont les suivants : • le marché international de permis d’émissions négociables permet aux pays industrialisés d’acheter et de vendre des droits d’émission. Les acheteurs peuvent y avoir recours au cas où ils ne parviennent pas à s’en tenir à leur quota d’émissions, tandis que les pays ayant pu les réduire au delà de leur engagement en tirent un • la mise en oeuvre conjointe (MOC) permet à un pays industrialisé de financer des projets de réduction d’émissions de gaz à effet de serre sur le territoire d’autres pays industrialisés ou en transition ayant des engagements, dans le but de comptabiliser à son profit une partie des crédits d’émission correspondants ; • le mécanisme de développement propre (MDP) prévoit que des projets de réduction d’émissions de gaz à effet de serre réalisés dans des pays en développement pourront générer des crédits de réductions d’émissions certifiées (CREC), transférables au pays financeur du projet.

Un projet de directive européenne propose un marché de pour les industries intensives en énergie et les producteurs d’électricité dès 2005

Après avoir annoncé une stratégie d’adoption de directives dans un programme européen de lutte contre le changement climatique, la Commission a commencé sa mise en oeuvre par une proposition de directive qui, justement, recourt aux mécanismes d’échanges pour maîtriser les émissions de gaz à effet de serre des industries intensives en énergie et des producteurs d’électricité dans l’espace économique européen. Plus précisément, la proposition de directive établit un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre au sein de l’Union Européenne pour les industries intensives en énergie. Prévu pour le CO2, mais destiné à être rapidement élargi aux autres gaz à effet de serre, il débuterait en 2005, ce qui nécessite une transposition rapide et une organisation précise pour chaque Etat membre. Selon la proposition de la Commission, seules les émissions de CO2 des installations de combustion ayant une puissance calorifique supérieure à 20 MW de certaines installations classées seraient couvertes durant la première période (2005-2007). La Commission estime que celles-ci représentent environ 46 % du total des émissions de CO2 de l’Union en 2010, et que 4 000 à 5 000 installations seront concernées dans l’ensemble de l’Union européenne. Afin de se caler sur la période d’engagement de cinq ans prévue dans le protocole de Kyoto à partir de 2008, une première période d’échanges de trois ans (2005-2007) est envisagée, suivie de périodes de 5 ans. Au cours de chaque période, les entités qui auront été autorisées à participer au marché pourront échanger des quotas, chaque quota correspondant à une tonne de CO2. Elles devront, à la fin de chaque année, détenir suffisamment de quotas pour couvrir leurs émissions. Ce système d’échange permet, par le simple



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jeu du marché, d’établir un prix de référence pour la tonne de CO2 émise. La proposition de la Commission privilégie une grande flexibilité dans l’organisation du marché et laisse une large place aux initiatives des Etats membres. Cette flexibilité générale dans la mise en œuvre du dispositif doit s’accompagner au niveau de l’Etat membre d’une rigueur dans le contrôle des acteurs et du respect des règles. Les entreprises concernées auront des obligations de mesure et de contrôle de leurs émissions, et les Etats membres devront s’assurer de l’exactitude des déclarations. Par ailleurs, les pouvoirs publics devront tenir le registre national des comptes de leurs entreprises. La Commission standardisera le système des registres et s’assurera de leur compatibilité ; elle désignera également un administrateur central pour assurer un enregistrement indépendant des transactions. Un système de sanctions devrait par ailleurs décourager le dépassement des émissions autorisées. La proposition de la Commission consiste donc à créer des quotas d’émissions de gaz à effet de serre en nombre limité, et à faire respecter ce quota aux industriels européens. C’est le jeu du marché et des échanges entre les entreprises qui répartira ensuite les quotas vers les entreprises qui en ont le plus besoin. La négociation de cette directive est complexe. Le système proposé a pour lui l’avantage de la simplicité et d’une parfaite compatibilité avec le système en place pour les centrales électriques au Danemark depuis 2000. Il présente en revanche des incompatibilités avec le système national qui commencera en Grande-Bretagne au 1er avril 2002, et vient dans certains cas contredire les engagements des gouvernements vis-à-vis de leurs industriels (engagements volontaires allemands, par exemple).

D’autres échanges ont d’ores et déjà lieu

Avant même que le marché européen ne voit le jour en 2005, ou que les actifs du protocole de Kyoto ne soient créés, des échanges ont déjà lieu sous forme de contrats entre acteurs privés ou entre industriels et gouvernements, qui parient sur le fait que les réductions d’émission correspondantes prendront de la valeur. Ces contrats n’étonnent cependant pas les économistes qui, aux USA, ont observé des échanges à terme de quotas d’émissions de SO2 des centrales électriques dès 1992, alors que le marché correspondant n’était crée qu’en 1995. Concernant le changement climatique, Natsource, un courtier actif sur le changement climatique, estimait en août 2001 à 55 MtéqCO2 le volume des échanges contracté lors d’une centaine d’échanges inter-entreprises. Dans le meilleur des cas, ces échanges seront l’équivalent de transactions à terme, c’est-à-dire qu’ils trouveront leur valeur juridique sur le marché international en 2008-2012. Cette valorisation n’étant pas certaine, ces échanges correspondent cependant à une véritable prise de risque des opérateurs. Au travers de l’effet de serre, les idées de création de droits d’émission des économistes s’incarnent. Et dans un univers où les juristes et les administrations responsables de l’environnement sont peu familiers de ce genre d’outils, la vigilance de l’économiste doit être permanente. A lui de les éclairer afin que les détails de mise en oeuvre n’atténuent pas le ressort même du marché envisagé : l’intérêt à échanger des quotas entre sources d’émissions.

Autrice

Sylviane GASTALDO (ENSAE 1988) Ministère de l’environnement, Direction des études économiques et de l’évaluation environnementale

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