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16 avril 2007

Les nouveaux métiers des sondages

Entre experts de l’enquête et métier de conseil, le métier des sondages a vu son périmètre de compétences s’élargir bien au-delà du simple accompagnement du marketing quantitatif. Les efforts d’analyses en aval, couplés à la construction de bases de comparaison, permettent de répondre aux demandes des entreprises qui souhaitent avoir non seulement des résultats d’enquête mais de véritables recommandations d’actions.

L’image du secteur des études auprès du grand public est celle d’un métier centré sur les sondages d’opinions politiques. S’il est vrai que ce sont les sondages les plus médiatisés et sont par conséquents stratégiques, ils n’en représentent pas moins une partie minoritaire de l’activité des instituts. A l’inverse, ceux qui savent que les études Marketing sont le cœur d’activité du secteur, en ont parfois une vision caricaturale restreinte aux tests de produits de grande consommation. La réalité du secteur des études est en fait très diverse.

Une diversité sectorielle et thématique ancienne

Les études marketing se distinguent d’abord par la diversité des secteurs de l’économie concernés. Le secteur de la grande consommation, le plus important d’entre tous, ne représente qu’environ 30% du CA du groupe TNS. Les secteurs de la santé, des loisirs, de l’automobile, des télécommunications des médias ou de la finance, ont très largement recours aux instituts d’études et depuis longtemps.
A cette diversité sectorielle il faut superposer une diversité thématique : une étude marketing peut porter sur des points distincts et précis de la chaîne de valeur d’une entreprise, depuis la formulation des attentes des consommateurs et les tests de nouveaux concepts (de produits ou de services), jusqu’aux questions de satisfaction ou de fidélité à la marque, en passant par à la fixation du prix ou l’efficacité de la communication. Chacun de ces points d’entrée donne lieu à une mise en œuvre particulière des outils d’étude (choix du mode de recueil de données, définition adéquate de la cible, taille de l’échantillon, méthode d’analyse marketing etc.).
Le positionnement d’un institut de sondage sur le marché des études résulte de la conjonction des deux approches, l’une sectorielle et l’autre thématique. Cela se traduit par une multitude de configurations. Les deux acteurs majeurs du secteur, le leader TNS Sofres et son challenger Ipsos ont à cet égard des organisations historiquement orthogonales, le premier mettant surtout en avant une organisation et une expertise sectorielle tandis qu’Ipsos met en avant une organisation et des outils d’étude ajustés à certaines problématiques et applicables à presque tous les secteurs (bilans publicitaires, études de satisfaction).
Cette double clé d’entrée sur le marché favorise d’ailleurs des positionnements de niches et explique en partie un trait caractéristique du secteur des études : il est très atomisé. Les 10 premiers acteurs français ne représentent que 47% de l’activité du secteur, même si une dynamique de concentration et de consolidation des grands réseaux internationaux est à l’oeuvre.
un marché en croissance qui reste très éclaté

Les évolutions récentes du secteur ont contribué au renforcement de la richesse des problématiques abordées. Le besoin pour les entreprises de disposer d’informations fiables et régulières sur leur marché et leur secteur est devenu crucial : toutes les entreprises s’efforcent de construire des systèmes d’information complets pour piloter leur activité. Une des conséquences de ce mouvement est que de nouveaux pans de l’activité de l’entreprise se sont récemment ouverts au secteur des études : les fonctions comme la Qualité, les Ressources Humaines ou les Relations Investisseurs font désormais appel aux instituts d’études pour construire leur outil de pilotage.
Le développement des services a également conduit à un renouvellement des problématiques et des méthodes. La question de la qualité de service et de son évaluation a été porteuse de nouveaux terrains de travail pour les études. Pour bien des services marchands, la qualité perçue, donc la satisfaction du bénéficiaire est le principal levier d’analyse. On ne citera pas toutes les enquêtes de satisfaction sur les services financiers, sur les opérateurs téléphoniques, ou sur les fournisseurs d’accès à internet, qui sont devenues légions.
Le contexte de dérégulation des secteurs de l’énergie et des télécoms, porteur d’une réflexion spécifique sur la notion d’intérêt général, a mis la question des « bénéfices client » au centre des problématiques des services nouvellement ouverts à la concurrence. Dans le secteur public, le développement de la logique d’usager-client a eu les mêmes conséquences. Ainsi la CNAF dans le cadre de sa Convention d’Objectifs et de Gestion (COG 2004) a confié à TNS Sofres en 2004 la mise en place d’un vaste dispositif d’enquête de satisfaction en vue d’évaluer les 123 CAF dans leur gestion de la relation avec les allocataires (86 000 entretiens téléphoniques menés auprès de populations parfois précaires).
Les Ressources Humaines sont un autre exemple de diversification des terrains d’étude, les enquêtes de climat social interne à l’entreprise sont en quelques années devenues pratiques courantes dans les grands groupes industriels ou de services qui cherchent à piloter ce qui serait la « Qualité totale » de leur activité . Elles ont nécessité pour les instituts la définition d’outils d’enquêtes adaptés : on ne mesure évidemment pas l’attachement d’un employé à son entreprise comme celle d’un consommateur à sa marque de voiture. La passation de tels questionnaires requiert une formation particulière des enquêteurs ; l’architecture de l’étude présuppose en filigrane une conception des mécanismes de d’organisation sociale dans l’entreprise qui doit être applicable (au moins en partie) à toutes les catégories socioprofessionnelles présentes dans celle-ci.
De manière générale, les entreprises cherchent de plus en plus à valoriser des actifs intangibles (capital humain, réputation corporate, image de leur services etc.) et l’offre des instituts d’études est parfois le seul outil rationnel à leur disposition, par exemple pour valoriser financièrement une marque et l’inscrire à l’actif d’une société. Les instituts ont ainsi de nouveaux sujets à approfondir et de nouveaux produits à développer.

Un métier plus proche du décideur

Conjointement à cette diversification des besoins d’information, le métier d’études a lui-même évolué. A la faveur d’une exigence croissante de la part des entreprises commanditaires, le métier de sondeur est passé, pour caricaturer, d’une prestation technique de recueil de données à une prestation intellectuelle d’analyses et synthèses d’informations.
Les commanditaires d’études veulent non pas des chiffres mais des conclusions et des recommandations d’action. En effet, les entreprises elles-mêmes n’ont pas toujours les moyens en interne de ‘digérer’ l’ensemble des informations véhiculées dans une enquête. Très rares sont les entreprises qui réclament les données désagrégées d’enquête pour les exploiter en interne et les rapprocher d’autres sources d’informations. Les contraintes de ressources et de délais dans les chaînes de décision font que cette tâche est réalisée par les responsables de l’étude dans l’institut.
Le métier des études se rapproche donc nettement des métiers de conseil, même s’il reste avant tout basé sur l’analyse de parole des consommateurs, des clients, des salariés…et reste agnostique par rapport à toute école de pensée pré-établie. Cette évolution signifie que des profils plus hybrides qu’avant sont nécessaires. L’accent est un peu moins mis sur l’expertise statistique du chargé d’études, au profit des compétences d’analyses marketing et d’expertise sectorielle.
La situation de l’institut de sondages dans le contexte d’une étude d’impact publicitaire est tout à fait exemplaire de cette évolution. Les budgets de publicité augmentent sur le long terme et peuvent dans certains secteurs être colossaux. Les directions de la communication souhaitent avoir des outils d’évaluation de leurs campagnes et seules les études d’impact publicitaire leur permettent de passer d’une logique de moyens (à quel budget l’entreprise peut-elle consentir ?) à une logique de résultats (maximiser l’impact pour un budget donné). Le dispositif d’études et les analyses des résultats doivent ainsi permettrent de formuler des recommandations précises : garder ou non la création publicitaire, réallouer une partie des budgets d’un support media vers l’autre. L’institut d’études est alors, de concert avec les autres acteurs (agence de publicité, agence d’achat d’espace), un partenaire nécessaire de la définition de la stratégie de communication d’une entreprise.

Des outils en évolution

Ces évolutions du métier se traduisent par une évolution des outils de production et d’analyses des études. En aval de la production d’une étude, la restitution des résultats au client ne peut plus s’arrêter à la phase descriptive (tabulations du questionnaire) mais se double d’analyses plus avancées. Ces analyses mettent en œuvre la panoplie classique des techniques statistiques depuis les analyses exploratoires (pour toutes les approches de type segmentation de marché), jusqu’aux modèles structurels (pour renseigner les schémas de fonctionnement de la satisfaction client). Il s’agit à chaque fois de synthétiser en quelques chiffres clés l’information véhiculée dans plusieurs dizaines de questions.
Sur les problématiques de développement de nouveaux produits, l’adaptation des outils informatiques à des méthodes d’analyse conjointe élaborées ont permis d’étoffer l’offre d’études elle-même. Les instituts deviennent ainsi capables de proposer l’analyse de problèmes de choix et d’arbitrage de consommation de plus en plus complexes. Des plans d’expérience efficaces tenant compte de nombreux facteurs à analyser sont plus facilement définis de manière ad hoc. Des techniques d’estimation moins basiques (modèles non linéaires, etc.) permettent de proposer des modes d’administration d’enquête plus proches de la réalité. Par exemple au lieu de demander à l’interviewé de trier toute une série de produits ou de services par ordre de préférence, ce que concrètement il ne fait que dans de très rares contextes d’achat, on lui soumettra plusieurs petites séries au sein desquelles il devra choisir un produit préféré.
La mise en œuvre de manière courante d’analyses statistiques plus ou moins complexes répond ainsi au double objectif d’accompagner le responsable d’études dans sa mission de conseil auprès du client et d’optimiser le dispositif d’études lui-même (assurer le confort de l’interviewé face au questionnaire ou minimiser la complexité du plan de sondage).

La standardisation des outils

Les efforts pour combiner une expertise à la fois sectorielle et marketing au sein des instituts a favorisé le développement d’outils standardisés. Depuis le terrain de l’enquête jusqu’aux analyses, ils permettent l’accumulation d’éléments de comparaison entre secteurs, pays, etc.
La demande des entreprises de disposer de points de comparaison pour chacun des indicateurs suivis par enquête est devenue générale et quasi systématique, quelle que soit la problématique associée (satisfaction client, image, impact publicitaire). Pour répondre à cette demande, l’offre des instituts d’étude s’est structurée autour de « produits » standardisés (mêmes questions en amont traitées de la même manière en aval) qui offrent une solution de référencement systématique et homogène à travers toutes les occurrences d’enquête. Cette exigence offre un avantage concurrentiel précieux aux gros instituts dont les bases de références sont plus anciennes et s’enrichissent plus vite.
Une étude réussie est donc un savant mélange d’outils standards qui situent l’entreprise par rapport à ses concurrents et d’analyses ad hoc qui répondent à ses préoccupations nécessairement particulières.

Enquêtes en ligne, la prochaine révolution

Pour finir, un changement technologique majeur bouleverse actuellement le secteur des études : internet et les études « on-line ». Ce sujet mériterait des développements bien plus longs et nous ne mentionnerons ici que quelques idées. Ce nouveau mode de recueil (la dernière innovation en la matière était le téléphone dans les années 1980 !) offre des solutions techniques qui permettent de s’affranchir de beaucoup de contraintes. Une enquête on-line permet d’utiliser toutes les fonctionnalités visuelles du face à face (montrer des films, des images sur lesquels on souhaite interroger les individus) et introduit aussi plus d’interactivité (par exemple en laissant les interviewés interagir avec la représentation virtuelle, animée en 3 dimensions, d’un produit)..
L’économie de l’offre d’études est donc profondément modifiée : le on-line est en train d’exploser comme mode de recueil souple et réactif par excellence. En revanche, le coût des études n’a pas forcément diminué à hauteur des premières anticipations : ces études sont souvent réalisées sur des échantillons pré-recrutés (access panels) dont la qualité et la rigueur de gestion induit des coûts assez importants, . Bien sûr de nombreuses interrogations ont accompagné cette innovation : les cibles recrutées par enquête on line induisent-elles une différence importante sur les mesures par rapport aux autres modes de collecte ? Quels sont les effets de recueil ‘auto-administré’ (c’est l’interviewé qui saisit ses réponses) sur le contenu des déclarations ? Si les premières expériences permettent d’être assez confiants sur ces questions, le s études en ligne restent néanmoins un univers très changeant et très imprévisible (voir par exemple l’exemple de la blogosphère) qui nécessite une attention et une remise en cause permanente des Instituts dans leurs approches méthodologiques pour coller au mieux aux nouveaux modes d’expression du consommateur et du citoyen, les utiliser à bon escient et au final, asseoir une recommandation stratégique sur des données de qualité.

Claire Pagès (ENSAE 2000), TNS Sofres, Direction des Opérations - Responsable du pôle Analyses Statistiques

Autrice

Claire Pagès (2000)

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