Quelle est la genèse du projet Insefi ?
Pierre Picard : Il faut resituer le projet Insefi dans le projet global de l’X, et pas uniquement dans le domaine de l’économie et de la finance. Il y a plusieurs dimensions à ce projet global :
1- Créer à l’Ecole Polytechnique un grand campus scientifique multidisciplinaire analogue à ce qu’on rencontre dans les grandes universités nord-américaines, avec une pluralité de partenaires et donc quelque chose qui dépasse de beaucoup le cycle polytechnicien traditionnel. Cela implique l’arrivée d’autres partenaires, d’autres écoles par exemple, mais aussi d’autres étudiants, notamment étrangers. Il faut donc être compétitifs par rapport aux universités anglo-saxonnes pour attirer les meilleurs étudiants. Un autre aspect de cette dimension est d’attirer les laboratoires industriels (Thalès est installé, Danone n’est pas loin…).
2- Les relations avec les entreprises. L’X et HEC représentent les deux piliers de l’activité d’entreprise : la technologie, la science, l’innovation pour la première, le management, le business pour la deuxième. L’X crée des chaires d’entreprises, des chaires d’enseignement et de recherche (par exemple avec Arcelor, Dassault Systèmes, Valeo dans le domaine du management de l’innovation. D’importants projets sont en cours de réalisation et certains sont en coopération avec l’ENSAE en finance et assurance. Ces deux premières dimensions expliquent pourquoi le partenariat avec HEC paraissait naturel.
Les relations avec HEC ne datent d’ailleurs pas de ce projet Insefi, mais se situent dans un cadre de coopération plus général, matérialisé depuis trois ans par le fait que chaque année une vingtaine d’élèves de l’X vont faire leur 4e année à HEC. Cela rend les conditions favorables à l’émergence de l’Insefi.
3- Plus spécifiquement à l’économie : l’X a entrepris une mutation extrêmement importante de son département d’économie en liaison avec son département de mathématiques appliquées en ce qui concerne la finance, sans laquelle ce projet Insefi aurait été vide de sens.
Il existait depuis longtemps un département d’économie à l’X, mais ce n’était pas un département de recherche. Il était uniquement composé d’enseignants, nombre d’entre eux exerçant d’ailleurs des fonctions à l’extérieur de l’X, notamment à l’Insee ; et puis il existait le laboratoire d’économétrie. La nouvelle organisation de l’Ecole, dans le cadre du rapport « X 2000 », consiste à intégrer l’enseignement et la recherche.
Le département d’économie va ainsi devenir un département au plein sens du terme à très brève échéance, avec des nouveaux locaux disponibles à la rentrée 2007 : le laboratoire d’économétrie y sera transféré, des recrutements d’enseignants à temps complet sont engagés, des chercheurs CNRS vont rejoindre le campus de Palaiseau. Des personnes à temps partiels vont egalement être ciblées sur la base de complémentarités recherche-décision, notamment des personnes ayant des responsabilités dans de grandes entreprises ou dans l’administration économique (comme par exemple Patrick Artus ou Benoît Coeuré aujourd’hui).
Ce troisième aspect est spécifique à notre département. Sous l’impulsion de la direction de l’Ecole, cette mutation a été examinée et approuvée notamment par le Conseil de l’enseignement supérieur et de la recherche il y a 6 mois maintenant. L’année dernière a conduit aux premiers recrutements à temps complet et l’effort sera poursuivi cette année et ultérieurement, en situant nos recrutements au plus haut niveau international.
Alain Bamberger : Je voulais préciser que l’économie a une place importante dans la scolarité à l’X, puisqu’elle représente grosso modo 15% des enseignements. Par ailleurs, pour être convaincant et attirant, il était indispensable que le laboratoire d’économétrie soit sur le campus de Palaiseau et qu’on établisse un vrai partenariat avec HEC. En 2007, la 4e année à HEC devrait déboucher sur un double-diplôme. Dans la terminologie X, HEC deviendrait en quelque sorte une école d’application. On peut également ajouter que HEC serait très intéressé par rejoindre Paristech. Si on lit le livre blanc de Paristech, sorti il y a deux ans, Paristech avait vocation à accueillir une école de gestion, à condition que cette dernière soit sur un des trois campus de Paristech (Paris centre, Marne-la-vallée, Palaiseau). Le mouvement lancé avec l’Insefi crée donc les conditions pour qu’à terme HEC soit dans Paristech.
Variances : Quels seront les domaines d’enseignement et de recherche abordés par l’Insefi ?
PP : Le créneau pour être attractif au plan international est le créneau master, et c’est une politique générale de l’X. Cela introduit un bouleversement tout à fait considérable puisque l’on va mêler des étudiants polytechniciens avec d’autres étudiants comme ceux d’HEC, des étudiants étrangers…
Une certaine largeur des domaines
L’Insefi, qui a pour but de délivrer des masters et bien entendu des doctorats, a une ambition internationale. Elle doit couvrir un grand nombre de domaines et ne pas s’interdire de toucher a un champ disciplinaire. Ceci étant, il y a des domaines sur lesquels l’Ecole Polytechnique et HEC sont plus spécialisés. La condition nécessaire pour progresser est d’offrir un programme de M1 (master première année) vraiment attractif et compétitif. Le programme de M1 que nous allons offrir dès la rentrée 2006 mêlera économie, finance et mathématiques appliquées et il donnera un socle pour les différents M2 de l’Ecole Polytechnique. C’est donc un M1 assez général, large.
Les M2 en revanche seront cohabilités. Il y en a qui existent déjà et nous avons d’autres projets. Le M2 APE (Analyse et Politiques Economiques), par exemple, est très important pour l’X : beaucoup de nos étudiants y vont et c’est une modalité de coopération avec le pôle Jourdan. Vivifier ce M2 très généraliste avec nos étudiants est un des objectifs de l’X. Nous participons également à un M2 en économie de l’environnement « Economie du développement durable, de l’environnement et de l’énergie » avec des écoles de Paristech (Agro et Engref notamment), Paris X et l’Ehess. EDF a créé à l’X une chaire de développement durable il y a 4 ans, et c’est là un domaine très important. Nous souhaitons dans l’avenir qu’une partie au moins de ces deux programmes de M2 soient localisés sur le campus de Palaiseau. Les modalités de cette évolution dans la localisation des enseignements vers le campus de l’Ecole Polytechnique devront bien sûr être définis en concertation avec nos partenaires dans ces masters.
Nous avons ensuite un M2 en mathématiques financières dont la responsable est Nicole El-Karoui avec Paris-VI, mondialement connu. Il va être renforcé par une chaire Société Générale. L’X joue également un rôle important, avec ses enseignants et ses élèves, dans le master de théorie de jeux que dirige Sylvain Sorin (Paris VI). Voilà pour les formations existantes.
Nous avons par ailleurs d’autres projets : en économie industrielle, nous souhaiterions développer une coopération avec l’université de Toulouse. Il y a un projet déjà bien avancé avec l’université Fudan de Shanghaï de master en mathématiques financières sous la responsabilité de Nicole El-Karoui. Il y a également un projet de master en actuariat avec l’Ensae et dans lequel Christian Gouriéroux est impliqué dans le cadre de la Fondation du risque avec l’université Paris-Dauphine. Nous avons par ailleurs un projet de chaire en économie d’entreprise qui pourrait irriguer un certain nombre de ces masters, notamment le master APE dans sa dimension entreprise-marchés.
Va : Y aurait-il un projet de créer un M2 Insefi ?
PP : En France, les « M2 recherche » doivent être adossés à des universités. Nous avons pour l’instant des partenariats en M2 qui nous conviennent parfaitement tout en ayant à l’esprit l’objectif de localiser des enseignements de M2 sur le campus de Palaiseau.
Un rapprochement entre l’X et HEC
Va : Quel serait le contenu de la coopération entre l’X et HEC, outre le master M1 et APE ?
PP : Nous n’excluons pas de collaborer dans d’autres M2 qui pourraient être créés, voire de faire entrer HEC dans des masters M2 existants. Pour l’instant le M1 est absolument fondamental, parce qu’il est le socle de tout le reste et surtout il nous permet d’attirer des étudiants au niveau international. L’Insefi offre tous ces M2 (APE, Environnement, théorie des jeux…) et ces masters commencent par le M1 en propre enseigné à l’X et à HEC.
Va : Quelles spécificités du M1 par rapport à APE ?
PP : Il y a des spécificités, bien sûr : notre M1 offrira évidemment le socle classique microéconomie, macroéconomie et économétrie, mais nous avons aussi un souci de faire que dès le M1 nos étudiants soient mieux formés par rapport à leurs objectifs dans les différents M2, et puis il a différents domaines importants, la finance, les mathématiques financières, l’environnement…
Nous aurons un 1er trimestre largement commun à tous les étudiants, puis au 2e trimestre des spécialisations finance ou économie. Au 3e trimestre, les étudiants partent en stage recherche, y compris dans les banques pour les étudiants en finance (c’est à ça, entre autres choses, que servent les chaires) et bien sûr des laboratoires CNRS, notamment ceux d’institutions partenaires comme l’université de Toulouse ou à l’étranger. Ce M1 mélange une formation intensive de 1re année de PhD avec une pré-spécialisation. Nous avons aussi le souci de faire évoluer les méthodes d’enseignement elles-mêmes et développer le travail personnel chez les étudiants. Les masters y contribuent.
Va : Quelles évolutions le rapprochement avec HEC va-t-il marquer ?
PP : La structure de recherche à HEC est déjà similaire à celle qui se construit à l’X, c’est-à-dire un département d’enseignement et de recherche. Nous allons être organisés de la même manière avec trois départements : le département d’économie, la partie finance du département de mathématiques appliquées de l’X et le département de finance et économie d’HEC. Ces structures sont des structures d’enseignement et de recherche, qui sont bien évidemment associées avec le CNRS à travers leurs laboratoires.
La recherche à l’INSEFI
AB : Sur un plan différent nous envisageons une stratégie de co-recrutement d’enseignants-chercheurs avec HEC qui permettrait d’attirer des personnalités réputées aux ambitions financières légitimes : ils seraient financés par les deux écoles.
PP : L’Ecole Polytechnique vise des recrutements au niveau international. Nous nous interdisons de recruter des personnes qui ne pourraient pas être recrutées dans le top 20 nord-américain, pour fixer les idées. Les co-recrutements avec HEC ainsi que les chaires sont un moyen d’attirer ces chercheurs. L’objectif est d’avoir une dizaine d’enseignants à temps complet dans les deux années qui viennent. Simultanément, nous devrions avoir une vingtaine de chercheurs du CNRS en économie dans les nouveaux locaux disponibles à Palaiseau en 2007. Tout ceci fait une trentaine de temps complet auxquels s’ajouteront des temps partiel. A HEC, on trouve à peu près le même ordre de grandeur. Si on arrivait, sur les deux institutions à avoir une cinquantaine d’enseignant-chercheurs à temps complet, on aurait la taille optimale qui est celle de la plupart des départements d’économie des grandes universités nord-américaines. Viser des tailles supérieures est contre-productif.
Var : Quels domaines de recherche allez-vous aborder ?
PP : En ce qui concerne les domaines de recherche, nos points forts sont ceux dans lesquels on s’investit dans les chaires, dans les masters :
En finance de marché et finance d’entreprise (ou il y a une très bonne complémentarité avec HEC), en assurance et gestion des risques (en liaison notamment au projet de Fondation du risque avec l’Ensae), en économie industrielle, régulation des marchés, économie d’entreprise (grâce en particulier à une complémentarité avec le LEI du Crest)et nous avons d’ailleurs un projet de chaire en économie d’entreprise, en environnement, développement durable où nous avons, outre le master, un projet de chaire sur l’investissement socialement responsable, et enfin en théorie des jeux. A HEC, il y a des complémentarités en finance, mais aussi de façon peut-être plus surprenante en théorie économique, avec Hervé Crès ou Nicolas Vieille. Il convient de préciser que les thèmes de recherche privilégiés à l’Insefi reflètent les points forts des deux écoles, mais qu’ils sont appelés à s’élargir ultérieurement.
En économie, le rapprochement avec l’Ensae favoriserait cette évolution, tout particulièrement dans deux directions : l’analyse quantitative et microéconométrique des politiques publiques d’une part, la macroéconomie internationale d’autre part. Il y a donc une évolution naturelle et souhaitable des thèmes qui accordent une place essentielle à l’analyse quantitative et économétrique dans des domaines nouveaux, notamment sur les politiques publiques. En finance, le rapprochement de l’ENSAE, de l’X et de HEC permettrait de créer un pôle de recherche véritablement compétitif au plan international en associant les approches économétriques et statistiques de la finance qui sont un point fort du CREST, la composante plus probabiliste de la finance orientée vers l’ingénierie bancaire pour laquelle le département de mathématiques appliquées de l’X a une forte réputation et les dimensions de finance empirique et de finance d’entreprise pour lesquelles HEC joue un rôle important. Il existe très peu d’endroits au monde qui rassemblent une aussi large gamme de compétences en finance.
Va : Quelles coopérations envisagez-vous avec d’autres institutions françaises ou étrangères ?
PP : L’ouverture internationale est un aspect fondamental de l’X et HEC, et ça ne concerne pas que l’économie et la finance. Mais pour vous donner un exemple, nous avons des liens très forts avec Columbia à travers le réseau Alliance (qui associe aussi Sciences Po et Paris-I), dont Claude Henry est le responsable. L’économie y joue un rôle particulièrement important. Nous sommes en train de mettre en place un système de cotutelle avec Columbia pour y envoyer nos étudiants de doctorat. Au niveau européen, nous sommes associés à plusieurs institutions en économie et finance via l’Idea League, qui regroupe notamment ETH à Zürich (très important en finance mathématique), Imperial College, ainsi que d’autres institutions universitaires. Il y a également le partenariat avec Fudan en Chine, mais ce ne sont que quelques exemples. L’X a été classée au 10e rang mondial et au 3e rang européen (derrière Cambridge et Oxford) par Times Higher cette année. C’est la première fois qu’une institution française atteint ce niveau. Je pense qu’il est illusoire de penser qu’on va être bon en économie et en finance si l’institution dans son ensemble n’est pas reconnue comme une grande institution académique.
Les synergies possibles avec l’Ensae
Va : Que pourrait apporter l’ENSAE à l’Insefi ?
AB : Dès le début du projet Insefi, l’idée était de réfléchir à toutes les synergies possibles avec l’Ensae. Nous y travaillons activement avec Sylviane Gastaldo et tous les acteurs du Crest afin de bâtir ce projet. Les liens sont très anciens et multiples entre l’Ecole Polytechnique, l’Ensae et le Crest : une partie de nos étudiants y poursuivent leurs études, beaucoup d’enseignants sont communs aux deux Ecoles… Et puis notre partenaire identifié en économie dans Paristech, c’est l’Ensae. Il est donc naturel que ce partenaire privilégié fasse partie et soit même moteur dans ce dispositif. Conservons aussi à l’esprit la pluridisciplinarité de ces collaborations possibles en pensant aussi à la statistique. L’exploitation des bases de données dans le marketing, ou le yield management, créneaux d’ailleurs plutôt pris par l’Ensai, offre de sérieux débouchés aux Ensae or l’informatique se développe fortement à l’X. La statistique a aussi vocation à se marier avec d’autres disciplines, comme en témoigne la biostatistique. Le campus offre donc de nombreuses synergies : biologie, géostatistique, environnement… En allant à Palaiseau, l’Ensae s’ouvre aussi à de nouveaux champs de collaboration en plus de ceux de l’économie, de la finance et des mathématiques appliquées.
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PP : Il y a une intersection considérable entre les enseignants actuels ou passés de l’X et de l’Ensae : Bernard Salanié, Stéphane Grégoir, Patrick Rey, Patrick Artus… La liste pourrait être allongée sans difficulté. Je pense qu’il y aurait intérêt à mélanger les élèves. Certains enseignements des deux Ecoles sont déja très comparables et pourraient être encore rapprochés davantage.. La filière actuariat de l’Ensae peut nous apporter énormément et en macroéconomie également l’Ensae nous apporterait une diversification très utile. J’ai aussi souligné combien en finance les compétences de l’Ensae, de l’X et de HEC sont complémentaires. Il serait aussi particulièrement souhaitable d’élargir les thèmes de recherche de l’Insefi vers des problématiques où l’Ensae a une forte réputtion, notamment l’évaluation quantitative et microéconométrique des politiques publiques. Un domaine privilégié concerne tous les aspects de régulation de marchés. Un deuxième domaine a trait aux questions de santé : nous developpons une chaire avec AGF et nous pourrions également collaborer avec le LEI. Nous aimerions aussi développer un certain nombre de travaux économétriques sur le marché du travail et les politiques de l’emploi, domaine qui pourrait faire l’objet d’un recrutement et dans lequel le Crest a acquis une très forte réputation. Des diversifications sont enfin possibles, y compris en dehors de l’économie (langues…) et même le sport ! On pourrait même mutualiser les stages : l’Ecole Polytechnique dispose d’un bureau des stages très efficace et un réseau très large, qui pourrait coopérer activement avec ceux de l’Ensae.
AB : On pourrait également tout à fait envisager des corecrutements de professeurs, comme ceux que nous allons faire avec HEC. Je voudrais par ailleurs préciser qu’il n’y a aujourd’hui plus que 20% des X qui rentrent dans un Corps de l’Etat. Ce sont donc les débouchés dans les entreprises qui pilotent l’évolution à long-terme de la formation et de la recherche, y compris à l’Ensae où 80% des élèves travaillent dans l’entreprise. C’est la donnée de base : où sont les débouchés, où sont les évolutions ? Il est donc important pour l’Ensae d’être sur un campus où il y a d’autres formations d’ingénieurs et tout près le campus d’HEC !
Pierre Picard est président du département d’économie, Alain Bamberger est directeur général adjoint de l'enseignement de l’Ecole Polytechnique.
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