Quels profils dans l’industrie pour un ou une ENSAE ?
Les atouts des ENSAE dans l’industrie sont nombreux. Ils sont liés à la fois à l’originalité de leur approche et leur maîtrise des analyses comparatives chiffrées dans un monde de techniciens ainsi qu’à leur capacité à greffer sur ces analyses des synthèse nourries par leur connaissance fine des mécaniques économiques.
[NDLR : Michel GEORGIN est Vice Président International de THALES SA]
Si l’on comparait l’annuaire de l’ENSAE il y a 15 ans avec l’édition 2006, la montée du secteur Finance et la stagnation, voire régression, de l’Industrie seraient les deux premières observations. Les données interactives disponibles sur le site des anciens de l’ENSAE le confirment : 6% des diplômés avant 1973 travaillent dans l’industrie contre 2% des dix dernières promotions. Au total, seuls 3% des anciens déclarent ? travailler dans l’industrie. Cette évolution est, sans doute, à rapprocher du développement des emplois dans les services beaucoup plus rapide que dans l’Industrie sur cette même période. Mais il faut peut-être, aussi, rechercher des causes plus particulières à l’ENSAE.
D’une part, l’orientation actuarielle et financière des enseignements de l’école, en réponse à un réel besoin, éloigne les ENSAE des voies industrielles traditionnelles. La marque ‘ENSAE’ s’est faite plus financière. Même EDF, qui recrute historiquement de nombreux ENSAE, les oriente désormais autant vers ses départements de recherche et développement que vers ses salles de marché. D’autre part, les carrières financières sont plus lucratives et aspirent naturellement plus de nouveaux diplômés que les autres métiers. Dés lors qu’un jeune diplômé n’a pas de projet professionnel clair, la plus grande pente le conduit aujourd’hui vers les métiers de la banque et l’assurance. La soi disant plus grande difficulté pour trouver des postes types pour un ENSAE dans l’Industrie que dans le secteur Finance est à mon sens une courte vue. L’industrie pour un/une ENSAE présente aujourd’hui un champ de possibilité très large, voire plus large que la variété des postes disponibles dans la Finance !
L’industrie : un territoire riche mais trop peu exploré
Afin d’éclairer la variété des carrières industrielles, je partirai rapidement de mon expérience personnelle. Après avoir exercé à l’INSEE et au Ministère de l’Equipement, j’ai rejoint en 1979 la Compagnie Générale d’Electricité, devenue depuis Alcatel. Un INSEE était directeur de cabinet du Directeur Général. J’ai pu participer à l’élaboration de la Stratégie de la compagnie, préparer des conseils et des conférences de presse. Toutes ces expériences ont été autant d’initiations au monde industriel, jusqu’à la partie de sandwiches des syndicats de CERAVER campant rue de la Boétie dans le bureau d’Ambroise Roux... Dans tous ces cas, la connaissance des mécanismes micro-économiques m’a été particulièrement utile.
Le terrain étant incontournable dans l’Industrie, j’ai ensuite rejoint un poste de contrôle de gestion dans la filiale défense d’Alcatel. L’analyse des chiffres m’a permis de tracer les perspectives du secteur et de mettre en lumière la situation très difficile d’une activité, que l’on m’a demandé de redresser. Nouvel exemple d’activité lors de mon passage d’Alcatel à Thomson-CSF (en septembre 1983) : j’ai été nommé au poste de contrôleur de gestion d’une nouvelle Division de 4 000 personnes résultant de la fusion d’activités des deux groupes. Il m’a ainsi fallu gérer le passage de deux systèmes comptables à un troisième, détourer certaines sous-charges, et mener de nombreuses analyses de rentabilité. La dextérité dans le maniement des chiffres et des systèmes informatiques ont été des points clefs de cette période. Je suis ensuite entré dans l’opérationnel défense (systèmes de commandement France et export) ; stratégie, architectures de systèmes, management ont été mes atouts pour compenser ma faible connaissance opérationnelle du secteur.
A partir de 1989, j’ai pris en charge la stratégie de développement international du nouveau pôle Logiciel et Services de Thomson-CSF. Dix ans d’alternance de stratégie de développement et de management de business units internationales où le marketing opérationnel, la construction et le suivi des budgets en parallèle d’une politique active d’acquisitions ont été les thèmes majeurs. Au cours de ces années, la capacité d’analyse systématique d’une situation en termes économiques et financiers a offert à mon regard une spécificité certaine par rapport aux ingénieurs issus des métiers techniques. Ce n’est que dans la dernière période avant de devenir adjoint du DG International de Thales, de 2001 à 2005, que j’ai retrouvé (enfin !) des ENSAE comme partenaires et/ou clients : j’étais chargé de la création et du développement d’une activité « Services Informatiques » vers le secteur Financier...
Les points forts des ENSAE dans l’Industrie
Dans une carrière industrielle, l’ENSAE part souvent avec un handicap sectoriel. Quand il est directement impliqué au cœur du processus industriel (traitement statistique du son et des images, par exemple), il intervient plus volontiers ? dans la gestion, l’orientation stratégique ou le positionnement de marché que dans les décisions techniques. Ces handicaps sont loin d’être insurmontables. L’ENSAE dote ses diplômés de plusieurs points forts :
- Une capacité reconnue à analyser des chiffres provenant de diverses sources et à effectuer la synthèse des principales informations utiles pour la décision au cœur même des processus industriels.
- L’aptitude à analyser des données de toutes sortes, couplée à une connaissance fine des mécanismes économiques, permet aux ENSAE de reconstruire les stratégies et positionnements des concurrents. Une telle compétence est recherchée car elle permet d’aboutir à des conclusions sur les points compétitifs à renforcer et sur les alliances éventuelles Win-Win à passer pour des entreprises.
- Enfin, la capacité à synthétiser des données de gestion avec un recul suffisant pour dégager les fondamentaux est une troisième corde à l’arc des ENSAE.
On notera que la macroéconomie est utile au niveau culturel, mais moins indispensable que dans d’autres secteurs économiques. Au-delà de cela, la capacité d’entraînement humain dans un cadre multiculturel et l’agilité en langues, notamment en anglais, sont des qualités fondamentales. Mais ce sont des conditions de base pour tout diplômé qui veut arriver à des positions de management, et ce dans n’importe quel secteur.
Quelles carrières dans l’Industrie ?
Les points d’entrée pour les ENSAE dans l’industrie sont nombreux. Ils peuvent se classer en trois familles : les postes « quantitatifs » (contrôle de gestion, finance, qualité et satisfaction client, marketing amont), les postes « semi-quantitatifs » (marketing stratégique), et les postes « systèmes d’information ».
Dans ces postes, c’est toujours notre capacité analytique et synthétique qui doit permettre de faire la différence par rapport à des formations plus commerciales, ou « purement ingénieur ». En fonction du point d’entrée et de la capacité de chacun à faire valoir les spécificités du regard « ENSAE » et ses atouts propres, les évolutions naturelles se font vers cinq types de postes : les Directions Financières et Qualité, le Management d’une ligne de produit, le Management d’un centre de profit, la Direction Stratégique / Marketing et la Direction Générale (aujourd’hui, 22% des anciens ENSAE occupent d’ailleurs des fonctions dans les directions générales).
Un point très important est de capitaliser sur un secteur industriel, ses cycles de vie, son profil de valeur ajoutée, la connaissance des concurrents et partenaires (amont et aval). Cette capitalisation m’a personnellement été très précieuse dans mon parcours au sein du groupe Thales où toute mise en perspective mondiale, très appréciée, permet d’engager un dialogue facile avec les partenaires.
Développer, créer des biens tangibles
L’Industrie reste encore fondamentalement un monde où la connaissance sectorielle fine est un atout majeur ; la capacité de décision rapide attendue des managers étant largement liée à la variété des positions tenues, avec une forte valorisation de l’ouverture internationale. Une carrière très variée dans un groupe industriel, avec l’apprentissage permanent de nouvelles langues (chaque fonction, chaque business à sa langue) c’est ce qu’offre l’Industrie à tout ENSAE qui voudra y entrer, plus la joie de créer des biens tangibles, explicables à tous, contribuant aux infrastructures du développement ou à la consommation de tous les jours, à la différence de la Finance où tout est un peu « virtuel » ! L’Industrie a aussi une perspective pluriannuelle de développement et n’est pas conduite par les seuls résultats trimestriels. Pour toutes ces raisons, je suis à la disposition des candidats « Industriels » pour leur inoculer le virus ou raffermir leur flamme !
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