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18 octobre 2010

France / Etats-Unis : convergence et différences d’approches de la recherche en finance

Publié par Lionel Martellini (1995), Professeur de finance à l’EDHEC et Directeur Scientifique de l’EDHEC-Risk Institute | N° 38 - Variances 38

Après un parcours qui l’a mené de l’ENSAE en Californie, Lionel Martellini a pris la direction d’un centre de création et de diffusion de la recherche en gestion d’actifs. Il s’interroge ici sur les différences transatlantiques d’approche de la recherche en finance, qui s’appuie sur une forte base mathématique en France alors qu’elle est davantage issue de l’économie aux Etats- Unis. Il souligne également le besoin de cohérence accrue entre enseignement et recherche.

Variances - Lionel, peux-tu nous rappeler ton parcours académique en finance, partagé entre la France et les Etats-Unis ?

Lionel Martellini - Après deux années de classes préparatoires aux Hautes Etudes Commerciales, et trois années passées à l’Ecole Supérieure de Commerce de Paris, un goût resté inassouvi pour les mathématiques conjugué à un intérêt pour la finance m’a amené à postuler à une admission sur titres à l’ENSAE, dont j’avais découvert l’existence lors de discussions avec des Anciens à l’occasion d’un stage de fin d’études chez JP Morgan Paris. Je complétai la formation de mathématiques dispensée en première année à l’ENSAE par une licence de mathématiques à Paris 6, que je prolongeai l’année suivante par une maîtrise de mathématiques pures en parallèle à la deuxième année de l’ENSAE.

Après une interruption de deux ans liée à un départ à Montréal où j’ai effectué mon service militaire en salle des marchés à la BNP, dans la cellule d’arbitrage sur produits de taux d’intérêt, j’ai suivi à mon retour la troisième année de l’ENSAE dans la filière finance et actuariat, tout en continuant mon cursus parallèle à Paris 6 dans le cadre du mastère recherche, anciennement DEA de probabilités, filière Probabilités et Applications.

A l’issue de ce cursus, mon appétit pour la recherche académique étant devenu parfaitement clair, je commençai une thèse de mathématiques financières auprès de Nicole El Karoui. Après deux années de thèse, financées par un poste de professeur assistant à l’EDHEC qui venait d’ouvrir un campus à Nice, je postulai alors pour une admission en PhD aux Etats-Unis dans un souci de me spécialiser en finance plutôt qu’en mathématiques financières. Je fus finalement accepté à l’Université de Californie à Berkeley, où je commençai alors une thèse portant sur l’évaluation de produits dérivés auprès de Mark Rubinstein. M’appuyant sur un parcours académique déjà assez complet en finance, économie, statistiques et mathématiques, je terminai en un an la partie « course work » du programme PhD, qui en général s’étend sur deux années, et terminai au final mon cursus PhD en trois ans.

Je décidai alors de me lancer sur le « job market » américain, et acceptai une offre de poste de professeur assistant à l’Université de Californie du Sud (USC) à Los Angeles. Après trois années très riches à USC où j’ai eu le plaisir de travailler en particulier avec Fernando Zapatero à la Business School et Jaksa Cvitanic dans le département de mathématiques, je décidai pour des raisons personnelles de rentrer en France, et acceptai, après avoir également discuté avec HEC, une offre de l’EDHEC, qui affichait déjà une stratégie très originale et séduisante de « research for business », sur laquelle je reviendrai plus loin.

V. - Quelles sont selon toi les principales différences de thématiques en recherche en finance entre la France et les Etats-Unis ?

L.M. - Mon parcours académique, d’abord en tant qu’étudiant puis que professeur, m’a permis de mieux apprécier les différences d’approches de la finance entre la France et les Etats-Unis. Il est frappant de constater que ces deux pays, internationalement reconnus pour l’excellence de leur recherche et de leur enseignement dans ce domaine, abordent le sujet de manière très différente. Cela étant dit, les différences d’approche de la recherche en finance s’expliquent a priori plus par les différences d’origine académique des chercheurs en finance que par leurs différences d’origine géographique.

Globalement, la recherche et l’enseignement en finance sont menés en France comme aux Etats- Unis, et comme ailleurs dans le monde, dans trois lieux académiques distincts : les départements de mathématiques, les départements d’économie, et les départements de finance au sein des Business Schools. Suivant l’origine de la recherche, les thématiques abordées sont souvent différentes.

Les chercheurs venant des mathématiques, et en particulier de la théorie des probabilités, s’intéressent plus naturellement aux problèmes d’évaluation par arbitrage de produits dérivés, problèmes qui soulèvent a priori peu de questions de nature économique.

Les chercheurs venant de l’économie s’intéressent au contraire plus volontiers aux problèmes de portefeuille, avec leurs implications en matière d’équilibre partiel ou général.

Quant aux chercheurs issus des formations financières dans les Business Schools, ils ont tendance à avoir une approche a priori assez complète, et s’intéressent à l’ensemble des questions soulevées dans le cadre de la théorie financière, que ce soit en finance d’entreprise (« corporate finance »), ou bien en finance de marchés (« asset pricing theory », avec ses composantes d’évaluation de dérivés ou bien de gestion de portefeuille).

Evidemment, l’intensification des échanges entre ces différents types de profils permet des fertilisations croisées, et l’on voit désormais de plus en plus de chercheurs sortir, parfois avec succès, de leur « habitat naturel ».

Si l’on revient maintenant à la répartition géographique, la France a été l’un des premier pays, sous l’impulsion notamment de Nicole El Karoui, à comprendre l’intérêt d’offrir des formations en finance aux étudiants de mathématiques ; or l’excellence internationale en matière de recherche et d’enseignement en finance a précisément longtemps été centrée essentiellement sur une approche de type mathématiques financières. La finance est ainsi en France toujours enseignée aux meilleurs étudiants issus des meilleures formations scientifiques du pays par des mathématiciens, et il n’est pas injuste de dire que la formation dispensée, de haut niveau scientifique, accorde une part assez limitée à la théorie économique et à la théorie financière. Aujourd’hui encore, je demeure étonné de rencontrer des étudiants de l’Ecole polytechnique, de l’ENSAE ou de Paris 6, qui se destinent à des carrières en finance et n’ont jamais entendu parlé de Harry Markowitz et William Sharpe.

Parallèlement, il apparaît que la recherche en finance en France a essentiellement porté sur des sujets centrés sur l’évaluation de produits dérivés, plutôt que sur des problématiques de gestion de portefeuille. L’une des implications notables de cet état de fait est probablement que le niveau de sophistication de la banque d’investissement est incontestablement l’un des plus élevés dans le monde, alors que la culture de gestion de portefeuille reste assez peu développée. En conséquence, des établissements français, telle la Société Générale, ont longtemps été des leaders mondiaux en matière de produits dérivés, avec des équipes composées, entre autres, de nombreux Anciens de l’ENSAE. En revanche, aucune société de gestion en France ne peut légitimement se prévaloir de rivaliser avec les grandes sociétés de gestion américaines, où se concentre toujours l’essentiel de l’innovation en termes de produits et solutions d’investissement. Par contraste, les Etats-Unis, même s’ils ont également des centres de recherche internationalement reconnus en matière de mathématiques financières, ont une avance toujours très substantielle en termes de recherche en finance menée dans les départements d’économie et les départements de finance.

V. - Les liens entre enseignement et recherche en finance diffèrent-ils entre France et Etats-Unis ?

L.M. - Mon expérience est que le lien enseignement/ recherche est en définitive assez limité aux Etats-Unis, sauf évidemment au niveau doctoral. Dans les meilleures universités américaines, des chercheurs de très haut niveau dispensent en général un enseignement assez formaté, s’appuyant sur des ouvrages de référence classiques. Cela est probablement lié en partie à la culture américaine, où le professionnalisme est une valeur essentielle, avec des étudiants qui attendent avant tout d’un enseignant de délivrer un produit pédagogique parfaitement fini.

En France, le problème est peut-être moindre dans la mesure où l’on peut plus facilement pardonner à un professeur, sous réserve qu’il soit brillant, de fournir une prestation d’enseignement un peu décalée, alors que le talent n’est jamais une excuse à l’improvisation dans la société américaine.

De manière générale, il est indéniable que le décalage entre enseignement et recherche peut poser de véritables problèmes de cohérence. Par exemple, tandis que le centre EDHEC-Risk construisait une réputation d’excellence pour ses travaux en finance, en particulier dans le domaine de la gestion d’actifs, les étudiants de l’EDHEC ont continué pendant quelques années à recevoir une formation assez classique et comparable à celle dispensée aux étudiants diplômés d’écoles de commerces concurrentes. Nous avons alors mis en oeuvre une stratégie de réconciliation entre la perception par les professionnels de l’expertise développée à l’EDHEC et la réalité de l’expertise acquise par nos étudiants. Ainsi, une filière Financial Economics a été créée au sein de notre école, avec une formation en économie et statistique beaucoup plus poussée que ce qui se fait traditionnellement en école de commerce. En amont, ce développement s’appuie sur un recrutement renforcé d’élèves issus de classes préparatoires Math Spé et de diplômés de l’université dans des formations scientifiques, et en aval, la filière débouche sur des formations très pointues dans les domaines de la gestion d’actifs et de la gestion des risques.

V. - Et qu’en est-il des liens entre le monde académique et le monde de l’entreprise en France et aux Etats-Unis ?

L.M. - Contrairement à une perception assez généralement répandue, le monde de la recherche académique en finance aux Etats-Unis n’est pas de mon point de vue structurellement très proche de l’industrie financière. Plus précisément, les professeurs de finance s’intéressent d’abord et avant tout à publier des papiers de recherche dans les revues de meilleur rang. Les relations avec l’industrie financière ne sont pas encouragées, et même perçues comme nuisibles à la productivité de recherche (mesurée par l’activité de publication d’articles) avant la titularisation (« tenure »).

Après la titularisation, la situation change assez radicalement, et de nombreux professeurs se tournent alors vers l’industrie financière dans un souci d’y obtenir des contrats de conseil plus ou moins rémunérateurs. Même si cette démarche conduit parfois de manière opportuniste à l’éclosion de projets de recherche à fort intérêt pour l’industrie, cette rencontre procède assez rarement d’un effort stratégique de rapprochement entre les mondes académique et professionnel.

Paradoxalement peut-être pour un pays doté d’une élite universitaire réputée allergique aux contacts avec le monde de l’entreprise, la France a parfois su faire preuve d’une plus grande proximité avec l’industrie financière en matière de recherche en finance. Le cas de Nicole El Karoui est à mon sens assez exemplaire, qui a toujours fait preuve d’un intérêt réel et sincère pour des discussions avec l’industrie financière, non pas pour chercher à obtenir des contrats de conseil à titre personnel, mais plutôt pour développer un réseau utile au placement de ses étudiants ou bien à faire émerger des questions de recherche d’intérêt prioritaire. Pour donner un autre exemple, celui que je connais évidemment le mieux, l’EDHEC-Risk Institute a développé depuis sa création en 2001 par Noël Amenc une stratégie visant à améliorer l’utilité sociale de la recherche académique produite dans le cadre d’une démarche appelée « research for business ». Nous avons ainsi mis en place un processus très formel de validation de la pertinence de nos recherches pour l’industrie, qui débute en amont par une validation de nos questions de recherche par un International Advisory Board, qui comprend des personnalités clés de l’industrie financière internationale représentant à la fois les sociétés de gestion, les banques d’investissement et les investisseurs institutionnels. Ce processus se poursuit dans le cadre d’échanges avec des partenaires industriels, qui financent aujourd’hui à l’EDHEC plus d’une dizaine de chaires de recherche, ce qui donne une nouvelle occasion d’affiner la pertinence du choix de nos sujets en termes de leur intérêt pour l’industrie. Enfin, le processus « research for business » se termine par un effort systématique de dissémination des résultats de nos recherches à travers non seulement des publications académiques, mais aussi des publications dans la presse professionnelle, une présence forte dans les media, des offres de séminaires à Londres, New-York et Singapour en partenariat avec le CFA Institute, etc.

V. - Quelles opportunités offre l’EDHECRisk Institute à des élèves et anciens élèves de l’ENSAE ?

L.M. - L’EDHEC-Risk Institute est un centre dédié à la création et dissémination d’une recherche de pointe en gestion d’actifs, avec une stratégie d’impact sur l’industrie. Créé en 2001, ce centre dispose aujourd’hui de la plus importante équipe européenne de recherche en gestion d’actifs avec 35 professeurs, ingénieurs et chercheurs associés. L’EDHEC-Risk Institute conduit six programmes de recherche, tous sponsorisés par l’industrie et dédiés à l’allocation d’actifs et la gestion des risques dans les univers alternatifs et traditionnels. Dans le respect de sa mission, l’EDHEC-Risk Institute cherche à valider systématiquement la qualité académique de ses recherches par la publication d’articles dans les meilleures revues académiques, la mise en oeuvre d’une politique de communication active pour informer les investisseurs et les gestionnaires d’actifs sur l’état de l’art des techniques et concepts et par le développement de partenariats avec l’industrie pour lancer des produits innovants.

Dans le cadre de notre développement, nous sommes toujours très intéressés à continuer à recruter des profils de type ENSAE, dont les compétences en économie, statistiques et mathématiques constituent une préparation idéale à l’analyse de problèmes complexes en finance. Des postes d’ingénieurs de recherche sont offerts sur nos campus de Nice, Londres et Singapour, avec la possibilité de combiner un poste d’ingénieur avec un cursus d’étudiant PhD au sein d’une formation de très haut niveau international, dans laquelle interviennent les plus grands spécialistes mondiaux de la gestion d’actifs.

Pour plus de détails, voir le site
http://phd.edhec.edu

ou contacter l’auteur à l’adresse :
lionel.martellini@edhec.edu

Autrice

Lionel Martellini (1995), Professeur de finance à l’EDHEC et Directeur Scientifique de l’EDHEC-Risk Institute

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