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29 juillet 2010

L’avenir de la titrisation

Publié par Jean-François Boulier, Président du Directoire d’Aviva Investors France | N° 37 -

La titrisation est utile au financement de l’économie et les investisseurs appellent de leurs voeux une reprise de ce marché. Après l’avoir soutenue au coeur de la crise financière, les autorités publiques doivent à présent en renforcer la surveillance. Du côté des acteurs privés, c’est
une amélioration de l’expertise d’analyse des transactions qui aidera à éviter les errements passés.

L’un des plus vieux métiers du monde a bien failli mourir de sa propre réinvention. La renaissance de la banque commerciale a en effet été stimulée par la titrisation née et développée aux Etats-Unis dans les années 80 ; cette technique a connu une expansion considérable en trente ans tant en termes de nature d’actifs que de marché et de méthodes. Mais ce succès indéniable n’a pas empêché des excès nombreux et contribué à développer une crise financière sans précédent. Cette innovation américaine, fort bien décrite dans le livre au titre provocateur et prémonitoire « La Banque éclatée » paru en 1989 et préfacé par André Levy Lang, aurait pu faire imploser le système bancaire. Comment a-t-on pu en arriver là ? La titrisation est-elle utile ? Quels remèdes apporter au dispositif ? Le marché peutil reprendre ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles je voudrais tenter d’apporter des réponses, dans la perspective d’un investisseur de long terme attentif à la performance des actifs et conscient des risques inhérents à tout placement. Mais ne faut-il pas commencer par rappeler ce qu’est la titrisation ?

Comment la titrisation s’est-elle développée ?

Titriser consiste à rendre échangeables, par exemple sur les marchés financiers, des actifs générant des revenus financiers. Le marché a pris son essor dans les années 1980 avec la titrisation de crédits hypothécaires américains. La diversité des actifs, des structures et des cadres juridiques est considérable et ce foisonnement reste générateur de risques. Peuvent être titrisés toutes sortes de créances, crédit automobile, comme dans la récente émission du groupe Ford de crédit à la consommation, mais aussi toutes sortes d’autres actifs, comme des portefeuilles de films ou de musique. Les titres conçus peuvent être de simples enveloppes autour d’un ensemble de lignes d’actifs, qui redistribuent tous les flux d’intérêts et de principal à l’ensemble des investisseurs. Mais en général un cadre est conçu pour cantonner en maturités et en qualité de crédit au travers de paiements prioritaires à certaines tranches. De telles tranches font alors l’objet de notation à l’instar de notation d’obligations d’entreprises. Des structures plus complexes ont aussi été conçues comme les « Interest Only » et « Principal Only », tranches qui reçoivent (comme leur nom l’indique) les flux d’intérêt pour les premières et ceux de principal pour les secondes.

Parti de la titrisation des prêts immobiliers, les MBS (Mortgage Backed Securities) garantis par l’Etat Federal, le marché américain a connu une première grande crise suite à l’engouement d’investisseurs qui avaient été insuffisamment attentifs au caractère optionnel de ces titres, sujets aux remboursements anticipés des emprunteurs. Le marché a renoué avec la croissance dans les années 1990, avec plusieurs autres segments d’ABS (Asset Backed Securities) ou CMBS (Commercial MBS). Des crédits hypothécaires de qualité moindre « subprime », ont aussi fait l’objet de titrisation au cours des dix dernières années et ont offert des rendements plus élevés en contrepartie d’un risque de défaut accru. A ces marchés classiques se sont ajoutés d’autres titres dénommés « crédits structurés » dont les Collateralized Debt Obligations (CDO). Tout un segment de ce marché s’est développé à partir des ABS, d’où leur nom de CDO d’ABS. Ces structures s’apparentent à la titrisation dans leur mécanisme mais sont davantage des produits dérivés, sous forme de tranche de portefeuille de titres déjà existants, en l’occurrence les ABS. En tout état de cause, les distinctions entre tous ces véhicules n’étaient véritablement comprises que par les émetteurs et quelques investisseurs spécialisés dans ces catégories de titres.

En Europe, la titrisation n’a vraiment connu son essor que pendant les dix dernières années. De nombreuses tentatives avaient essayé d’adapter le concept aux marchés locaux, comme lors de la création des Fonds Commun de Créances en France en début des années 1990. En 2002, le volume émis en Europe dépassait les 200 milliards d’Euros ; en 2008 il a atteint 800 milliards, mais la nature des titres a considérablement évolué. Avant le début de la crise, à l’été 2007, la moitié des titres correspondait à des prêts hypothécaires (en particulier, des titres anglais et espagnols alimentant le boom immobilier) et la titrisation était complètement achetée par les investisseurs en recherche de diversification des obligations émises par les entreprises. En 2002, les montants de ces dernières étaient équivalents à ceux des ABS mais baissèrent substantiellement dans les années suivantes avant de connaître une amélioration en 2009. En 2008, la quasitotalité des titrisations ne furent plus placées sur les marchés mais tout simplement conservées au bilan des banques émettrices qui utilisèrent ces titres comme collatéral (gage) auprès de la BCE. Ainsi Rabobank, l’une des banques les plus solides (notée AAA) a émis 30 milliards d’ABS en 2008 pour son refinancement. La crise est passée par là. Entre ces deux dates, plusieurs excès ont fait basculer le marché. Les CDO d’ABS ont créé aux Etats-Unis un deuxième canal de distribution fondé sur la perception erronée de diversification. En outre plusieurs Special Investment Vehicules conçus par plusieurs banques d’investissement ont profité de rémunérations plus élevées des ABS à l’actif et ont financé ces achats à court terme par des créances courtes. Plusieurs fonds monétaires ont également investi en ABS en prenant un risque de liquidité sans toujours bien l’apprécier ni le limiter à un niveau raisonnable. Les dégâts occasionnés par ces excès sont trop nombreux et publics pour être détaillés. Mais ils posent avec insistance la question de l’intérêt de la titrisation :

La titrisation est-elle utile ?

Oui la titrisation est utile. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour ne pas la développer dans un cadre adapté. La crise vient de montrer aux partisans du « laisser-faire » que le développement harmonieux de cette technique passerait par un meilleur encadrement du marché et des pratiques.

La titrisation est fondamentalement utile, j’en suis convaincu. Elle est utile car elle élargit l’offre de financement pour les emprunteurs. Avec davantage d’investisseurs, banques commerciales pour le canal traditionnel et investisseurs pour le canal de la titrisation, l’économie bénéficie de sources de financement plus larges. Elle est utile pour les investisseurs car elle permet d’accéder à des véhicules de placements plus variés et diversifiants. La variété s’exprime par des natures de crédits plus focalisés en type (consommation, immobilier, etc…) et en origine (géographique, sociale, nature du gage) et les études montrent que ces caractéristiques déterminent une plus grande stabilité dans le temps de la qualité de crédit. La titrisation est utile également pour les intermédiaires bancaires et financiers. Pour les premiers, elle permet de garder le contact avec le client sans mécaniquement impliquer un risque excessif au bilan et donc diminue le besoin de fonds propres ; pour les seconds, elle offre un marché supplémentaire et une source d’activité récurrente.

Comment tous ces avantages ont-ils pu engendrer le désastre de la plus grande crise depuis la seconde guerre mondiale ? A bien des égards, la titrisation se présente comme une banque parallèle – une banque alternative - comme je l’avais dénommée dans une chronique du printemps 2007 (Agefi Hebdo). La « banque » et sa « régulation » ont plusieurs siècles d’expériences, d’essais et d’erreurs. Comment croire que la titrisation puisse s’en dispenser ? L’école libérale aura donné un temps l’illusion que le marché avait toujours raison. La crise renvoie libéraux et gouvernements dans leurs buts. Tous sont maintenant convaincus que la titrisation a besoin d’un cadre adapté aux enjeux et accepté par différentes parties prenantes. L’économie de fonds propres bancaires ne peut être réalisée sans quelques conditions.

Quels remèdes apporter aux difficultés mises en lumière par la crise ?

Soulignons d’abord l’action des banques centrales, de la BCE en particulier pour soutenir le marché. Les programmes de soutien aux USA et le rôle de collatéral joué, dans le cadre européen, par la titrisation, a sans doute été une réponse efficace à court terme. A long terme, ceci a montré symboliquement que le concept de titrisation n’est pas déficient et qu’il a le support des autorités, au moins dans une certaine mesure. Pourtant, il serait vain de penser que le marché repartira de lui-même sans des ajustements. Deux registres doivent être à mon sens considérés : le premier est d’ordre microéconomique à l’échelle des acteurs et des transactions, et le second d’ordre macroéconomique car c’est à ce niveau que la crise s’est manifestée.

Au niveau le plus élémentaire, un besoin clair de simplification des structures et la séparation entre titrisation et structuration font l’objet d’un large consensus. Mais le besoin de différenciation par maturité – titres courts adossés aux premiers flux des portefeuilles par exemple – a besoin d’être mieux pris en compte par les banques d’investissement. Au-delà des standardisations en matière de maturités et crédits, il restera des titres résiduels dont les porteurs ne pourraient qu’être des salles de marché et quelques hedge funds spécialisés. Le marché secondaire doit aussi être mieux structuré avec les engagements de liquidité que dénient malheureusement encore beaucoup d’intermédiaires financiers. Il faut pourtant choisir : soit les titres bénéficient d’une liquidité comparable aux obligations, soit ils sont un placement privé sans grande liquidité pour des fonds de long terme (en pratique détenus jusqu’à maturité). Comment les prix pourraient-ils ne pas refléter ces différences de liquidité ? Le besoin de références, indices et de contrats futurs sur la partie liquide et standardisée est également essentiel pour évaluer les titres, notamment en situation de panne de marché comme nous l’avons connue pendant deux ans. Enfin les investisseurs doivent faire l’effort d’équipement en analyse et en évaluation, leur permettant de faire leur sélection sans suivre trop aveuglément les agences de notation. Les véhicules, fonds ou portefeuilles, investissant dans ces titres à la liquidité plus fragile doivent en outre gérer le risque apparent de liquidité, qui s’est avéré être le grand absent des « radars » d’avant la crise, sans doute par excès de liquidité précisément.

A ces considérations micro-économiques, la crise a montré qu’il fallait ajouter plusieurs éléments de politique macro-économique. Le premier par ordre chronologique dans la crise est la surveillance de l’ensemble des véhicules de titrisations, directs mais aussi indirects (SIF et CDO). Les volumes de 1500 milliards de dollars et 500 milliards d’euros ont frappé les esprits en août 2007, n’auraient-ils pas pu être mesurés et encadrés plus tôt ? La même remarque s’applique aux dérivés de crédit, CDO entre autres. Le deuxième angle est la source même des crédits : qui les distribue et comment en contrôler la quantité ? Au fond, peut-on laisser la quantité totale de crédit dans l’économie sans surveillance, voire sans une forme d’encadrement, ce d’autant plus qu’une partie reçoit des aides publiques. En revanche, l’information disponible sur les actifs sous-jacents me paraît souvent en quantité et qualité suffisante pour qui se donne les moyens de les analyser. L’encadrement des informations diffusées par les agences de notation, pour utile qu’il soit, ne suffira pas. Le marché a besoin de l’expertise des investisseurs pour que l’équilibre puisse s’établir.

La titrisation va-t-elle repartir ?

L’économie de fonds propre apportée par la titrisation peut s’évaluer à plusieurs dizaines de points de base de rendement en fonction des actifs, des maturités et de la qualité des structures. Emetteurs, structureurs et investisseurs ont tous intérêt à faire renaître un marché dont les excès ne peuvent pas être auto-contrôlés, contrairement à ce que certains ont pu laisser croire. L’histoire montre que trop de crédit mal dirigé et mal contrôlé aboutit toujours à des dommages dans l’économie réelle. Pour que la croissance économique soit durable, comment ne pas veiller au dosage du crédit ? La banque parallèle ne saurait donc être une banque « sauvage ». Pour que la titrisation reprenne, ce que les professionnels appellent de leurs voeux, simplicité, transparence et encadrement sont clé. Chaque acteur devra y contribuer par des investissements substantiels, notamment en expertises et peut-être en infrastructure de marché. Il y a sans doute en ce qui concerne le marché hypothécaire une opportunité pour l’Europe qui n’a pas encore d’agence spécialisée comme Fannie Mae et Freddy Mac aux Etats-Unis. Sans initiatives privées et publiques, la grande idée de la titrisation ne renaîtra pas à l’issue d’une crise où elle aura joué un rôle de premier plan, même si « subprime » est un terme bien compliqué pour qualifier une grande, mais somme toute banale crise immobilière.

Autrice

Jean-François Boulier, Président du Directoire d’Aviva Investors France

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