La mutation des établissements de service public : le cas de La Poste
Variances – Pour beaucoup de Français, La Poste fait en quelque sorte partie du patrimoine national ; mais la connaissent-ils vraiment ?
Jean-Paul Bailly – C’est en fait le paradoxe de La Poste : service public préféré des Français d’après les sondages, elle est peut-être aussi l’entreprise française la plus connue grâce à ses 100 000 facteurs et 17 000 points de contact couvrant tout le territoire ; mais elle est aussi d’une certaine manière la plus méconnue, notamment en tant qu’entreprise industrielle et logistique. Pourtant, le chiffre d’affaires du Groupe dépasse les vingt milliards d’euros, sa clientèle est en fait extrêmement concentrée (nos 50 principaux clients génèrent 40 % du CA) et La Poste investit chaque année plus d’un milliard d’euros pour son développement et sa modernisation industrielle. La Poste est également un groupe de plus en plus international, présent dans 40 pays avec plus de 15 000 personnes travaillant hors de France.
L’activité Courrier
V – Le marché du courrier sera complètement ouvert à la concurrence le 1er janvier 2011 : quels sont les enjeux pour La Poste ? En France et en Europe ?
J-P. B. – Tout d’abord, ce marché est d’ores et déjà extrêmement concurrentiel : parce que le courrier de plus de 50 grammes est totalement ouvert à la concurrence depuis plusieurs années et surtout parce que la concurrence, c’est aussi la substitution technologique et le choix qui s’offre aux émetteurs entre courrier physique et électronique.
Dans ce contexte, l’enjeu essentiel pour La Poste est de se préparer à une compétition de plus en plus rude et ouverte, mais qui ne nous fait pas peur car elle comporte des défis et des opportunités. La Poste s’y prépare depuis déjà plusieurs années en mobilisant des moyens importants pour devenir un opérateur efficace, tant sur le plan défensif que sur le plan offensif. Il s’agit d’être l’opérateur le plus performant en matière de qualité de service, d’écoute des clients, d’innovation, de nouveaux services, de développement du marketing direct…
Ainsi, notre activité Courrier, qui représente 55 % du chiffre d’affaires du Groupe, s’est engagée dans un vaste programme de modernisation industrielle, commerciale et sociale (« Cap Qualité Courrier »). Avec 3,4 milliards d’euros, c’est l’investissement le plus conséquent de toute l’histoire de l’entreprise et un des plus importants programmes industriels du pays.
En Europe, notre stratégie consiste à trouver des relais de croissance grâce à un développement ciblé, afin de faire face à la baisse progressive des volumes de courriers de gestion et aux effets progressifs de la libéralisation totale des marchés.
V – Quels sont les enjeux en France en termes de qualité de service sur les plis de moins de 50 grammes ?
J-P. B. – Nos enjeux en matière de qualité de service pour le Courrier sont essentiellement de deux natures. En France, La Poste est le prestataire du service universel postal et, en tant que tel, elle est soumise à des obligations particulières. Entre autres, des objectifs de qualité de service lui sont fixés chaque année par arrêté ministériel, après avis de l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes (ARCEP). Parmi ces objectifs, le plus connu est certainement le « J + 1 » pour la lettre prioritaire, qui est suivi quel que soit son poids (le seuil de 50 grammes étant pertinent pour la tarification et les étapes de la libéralisation du marché du courrier). Sur le territoire français, du fait de ses caractéristiques, le J + 1 est de fait un réel challenge.
Plus généralement, au-delà de ses obligations, La Poste se mobilise pour améliorer la qualité de service afin de renforcer la confiance de ses clients, entreprises comme particuliers, et le lien de proximité unique entretenu avec eux. La croissance régulière du taux de « J + 1 » est un des moteurs de confiance les plus forts : alors qu’il y a quelques années à peine plus de 6 lettres prioritaires sur 10 parvenaient à leur destinataire le lendemain, La Poste bat chaque année un nouveau record et en 2007, grâce à une progression de 1,3 point, 82,5 % de lettres ont été distribués en J+1.
La Banque Postale
V – La Banque Postale a-t-elle une mission de service public ?
J-P. B. – La Poste exerce pour le compte de la collectivité quatre missions de service public : le service universel du courrier et du colis, le service public de la distribution de la presse, la mission d’aménagement du territoire et la mission d’accessibilité bancaire ; cette dernière permet à chaque résident, y compris le plus démuni, de bénéficier aux guichets de La Poste d’une prestation de domiciliation de ses revenus, de retrait d’argent liquide et d’émission de titre de paiement.
Ces quatre missions sont au cœur de la vie quotidienne de chacun et contribuent au maintien et à l’amélioration des liens sociaux qui caractérisent la société française. Elles constituent un facteur de cohésion sociale et territoriale.
La mission d’accessibilité aux services bancaires est assumée par La Banque Postale, dont un des principes majeurs est l’accueil de tous et la recherche de la solution bancaire la plus appropriée aux besoins de chacun. Cette mission traverse l’ensemble de l’activité de La Banque Postale : les comptes courants postaux (CCP), les moyens de paiement tels que la carte à autorisation systématique dont elle est de très loin le leader en France et bien entendu le Livret A.
Vous le savez, la Commission Européenne a demandé à la France de mettre fin au monopole de distribution des Livrets A et bleu octroyé à La Banque Postale, aux Caisses d’Epargne et au Crédit Mutuel. Dans le cadre de l’ouverture de cette distribution aux autres établissements bancaires, la mission spécifique d’accessibilité bancaire de La Banque Postale a été reconnue et réaffirmée, dans la mesure où elle a des obligations spécifiques, qui s’ajoutent aux obligations communes à tous les réseaux distributeurs : obligation d’ouvrir un Livret A à toute personne qui en fait la demande, d’accepter les dépôts et retraits dès 1,5 euros… Il en résulte que La Banque Postale gère au quotidien un très grand nombre d’opérations de très faible montant, ce qui entraîne d’importants coûts de gestion et donc la nécessité d’une rémunération destinée à compenser ces coûts liés à la mission spécifique remplie par La Banque Postale.
V – La crise financière actuelle remet en cause, modifie ou conforte le dessin stratégique initial de La Banque Postale ?
J-P. B. – La Banque Postale n’exerce pas d’activité en rapport avec les subprimes ni les dérivés actions. De plus, elle est structurellement dans une situation différente des autres banques : dans la mesure où elle n’est pas encore présente sur des segments importants du marché du crédit, elle est plutôt excédentaire en liquidités.
La crise financière actuelle impacte donc nettement moins La Banque Postale que ses concurrents et ne remet pas en cause le plan d’affaires qui a servi de fondement à l’agrément obtenu du CECEI pour la création de La Banque Postale.
Mais bien évidemment, son activité commerciale actuelle est impactée par les évolutions de l’environnement et du comportement des clients : préférence pour l’épargne à court terme, qui est bien rémunérée par rapport à l’épargne longue, désaffection pour l’épargne-logement, ralentissement des crédits immobiliers dans un contexte de marché moins porteur, marqué par un attentisme croissant des acheteurs qui anticipent des baisses de prix… Mais malgré cet environnement bancaire globalement assez déprimé, La Banque Postale enregistre une belle progression de son produit net bancaire et fait mieux à ce titre que la plupart des autres banques de détail.
La gouvernance de La Poste
V – Les deux activités Courrier et Services financiers seront-elles compatibles longtemps au sein du Groupe, alors que d’autres pays ont fait des choix opposés (l’Allemagne par exemple) ?
J-P. B. – Il n’existe pas de « modèle postal » unique : chaque opérateur national dispose d’un périmètre d’activités différent : de nombreuses postes ont une activité bancaire, plus ou moins étendue, mais pas toutes ; quelques-unes sont présentes dans la logistique ; d’autres sont absentes de la distribution non adressée…
Il n’y a donc aucune incompatibilité à être un acteur majeur dans des domaines différents ; la combinaison d’activités du courrier, du colis-express et de La Banque Postale donnent au contraire à notre Groupe à la fois de grandes perspectives de développement et une vraie stabilité en cas de conjoncture générale difficile ; par exemple, quand l’économie est maussade, le courrier de gestion souffre directement mais la publicité non adressée se porte bien, car les enseignes ont davantage besoin d’un moyen de communication permettant de générer rapidement du trafic dans leurs magasins.
V – Comment La Poste aborde son dialogue avec les élus locaux au sujet de l’aménagement du territoire ?
J-P. B. – La Poste pratique le dialogue et la concertation, afin d’adapter son réseau de points de contact en recherchant la meilleure efficacité pour tous. Ainsi, plus de 5 000 points de contact sont gérés en partenariat, avec des commerçants ou avec des mairies : nous mesurons très régulièrement la satisfaction des consommateurs, qui préfèrent de loin le service rendu par un commerçant aux horaires d’ouverture étendus que la présence d’un bureau de poste aux horaires par la force des choses limités par une activité purement postale souvent assez faible.
Par ailleurs, dans chaque département, une instance tout à fait originale, la Commission départementale de présence postale territoriale (CDPPT), constitue un lieu de rencontre et de concertation entre les élus des différentes collectivités et le management de La Poste, notamment au sujet de l’évolution de notre réseau de points de contact.
Enfin, La Poste contribue tout particulièrement au développement territorial dans les zones rurales d’une part (signataire de la charte des services publics en milieu rural, La Poste peut offrir, en fonction de l’organisation de son réseau, des produits et services d’autres services publics ou administrations) et dans les zones urbaines sensibles d’autre part, grâce à l’implantation d’une part importante de nos points de contact (plus de 1 000 sont situés en ZUS ou en zones limitrophes de ZUS).
V – En termes de ressources humaines, quelle est la politique de recrutement puis de gestion de carrière, avec notamment la différence entre fonctionnaires et salariés ?
J-P. B. – Si les textes qui régissent leur statut sont différents, la volonté de La Poste est de ne faire, chaque fois que c’est possible, aucune différence entre fonctionnaires et agents relevant d’un contrat de travail, qui constituent désormais environ 40 % des postiers.
En matière de ressources humaines, notre politique est résumée par le concept « d’employeur-développeur » : La Poste est une entreprise qui croit et qui investit dans la capacité de ses collaborateurs à progresser professionnellement et à se développer. Nous cherchons ainsi à recruter non seulement les meilleurs, comme toutes les entreprises, mais aussi ceux qui, par leur motivation et leur adhésion à l’ambition du Groupe, ont envie de le devenir.
Cela signifie que La Poste se place dans une logique d’intégration durable à l’entreprise, qui s’appuie sur trois priorités : le développement de la mobilité dans toutes ses dimensions (passerelles entre activités, entre siège et terrain, entre filiales et maison-mère…), la promotion de la diversité et de l’égalité des chances et le développement du sentiment d’appartenance au Groupe.
En 2008, pour accompagner son développement, le groupe La Poste a prévu de recruter 1 500 cadres, prioritairement dans les domaines commercial, bancaire, des ressources humaines, de la logistique ou encore du management de business units. Chacun de nos quatre pôles d’activités (le Courrier, le Colis-Express, La Banque Postale et l’Enseigne de distribution de services et de conseils en bureau de poste) fait appel à de nouvelles compétences et de nouveaux métiers, avec des perspectives de promotion et des parcours professionnels diversifiés, en France et à l’international.
V – Les statuts et modes de gouvernance actuels sont-ils adaptés aux mutations en cours ou bien sont-ils amenés à changer ? Le modèle des sociétés par actions, comme la Deutsche Post, constitue-t-il un exemple à suivre ou bien existe-t-il d’autres formes d’évolution possibles ?
J-P. B. – La Poste a très largement engagé sa modernisation et affiche des résultats financiers solides. Pour autant, une concurrence de plus en plus vive, l’ouverture de nos marchés et l’évolution permanente des besoins de nos clients impliquent de continuer à nous développer sans ralentir le rythme.
Dans cette optique, La Poste réfléchit à l’évolution de sa forme juridique et à l’éventuelle ouverture de son capital. L’objectif est de donner à La Poste les marges de manœuvre financières nécessaires pour lui permettre de saisir les opportunités offertes par l’ouverture des marchés, de poursuivre le développement de toutes ses activités et donc de figurer parmi les postes qui structureront le marché postal européen. La loi transposant la directive européenne qui doit être présentée au Parlement avant la fin de l’année 2010 créée l’opportunité de traiter ces questions essentielles.
A ce stade, plusieurs options peuvent être envisagées et aucune décision n’est prise, ni sur le fond, ni sur le calendrier. Mais quelle que soit la solution retenue, elle devra respecter différents points incontournables : La Poste étant un service public national, l’Etat y restera majoritaire, voire très largement majoritaire ; les missions de service public de La Poste seront réaffirmées et confortées ; les postiers seront étroitement associés aux bénéfices de cette évolution et en aucun cas les droits des fonctionnaires ni les statuts des personnels ne seront modifiés ; enfin, l’unité de notre Groupe sera confortée.
Je terminerai sur une note personnelle : j’ai passé toute ma vie professionnelle, à la RATP puis à La Poste, dans des entreprises publiques ayant des missions de service public. J’y suis très attaché. Je suis convaincu que, dans le monde tel qu’il bouge, c’est en évoluant, en créant les conditions de succès et de développement de nos entreprises, que l’on défend le mieux le service public, que l’on défend le mieux notre vision équilibrée de la société, que l’on défend le mieux, à terme, notre modèle et notre indépendance.
Aucun commentaire
Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.