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24 avril 2008

Les apports des agences de notation dans la réforme du ratio de solvabilité des banques

Publié par Pierre Georges (1996) | N° 32 - Les agences de notation

La réforme dite « Bâle II » entérine le rôle des agences de notation dans la régulation du secteur bancaire via les outils d’appréciation du risque qu’elles fournissent aux banques.

La réforme dite « Bâle II » demande aux banques de mettre en place un système de gestion, de mesure et de consolidation des risques de crédit permettant de calculer leurs exigences en fonds propres en fonction du risque intrinsèque de leurs clients. En lieu et place d’une approche forfaitaire – c’est-à-dire sans différenciation fine du risque – issue du calcul du ratio Cooke, en vigueur jusqu’à ce jour, à chaque engagement porté par la banque doit dorénavant être affectée une exigence en fonds propres plus précise, parce que directement reliée à la solvabilité du client. Celle-ci doit être appréciée par des méthodes rigoureuses, éprouvées par la banque et homologuées, en France, par la Commission bancaire. Le texte qui régit cette réforme en France, issu de la réglementation bâloise puis de son interprétation européenne, est un arrêté daté du 20 février 2007 qui, entre autres, entérine très nettement le rôle des agences de notation dans les outils d’appréciation du risque dont peuvent se munir les banques.
La réforme de Bâle II propose en effet trois approches distinctes pour mesurer le risque de crédit intrinsèque des clients :
• L’approche Standard, qui est schématiquement une amélioration de l’approche Cooke procédant par différenciation du risque grâce aux notations dites « externes », fournies par les agences de notation ;
• L’approche Notations Internes Fondation, pour laquelle la banque doit construire des modèles internes de notation de ses clients et estimer les probabilités de défaut à un an (PD) correspondantes ;
• L’approche Notations Internes Avancée, approfondissement de la méthode Fondation demandant principalement une estimation complémentaire des taux de perte en cas de défaut (Loss Given default, LGD).

Les notes : benchmark utiles à l’appréciation des risques bancaires

L’information fournie par les agences de notation peut donc être utilisée de plusieurs manières.
Pour les banques qui retiennent l’approche standard sur un ou plusieurs de leurs portefeuilles, les notes fournies par les agences de notation constituent le principal axe de discrimination du risque de crédit des clients. Le calcul des emplois pondérés (c’est-à-dire des encours pondérés par leur risque) est dans ce cas assez simple : la note fournie par l’agence donne par correspondance un facteur de pondération des encours, et même s’il convient de s’assurer que la note est récente, et différencier le calcul par type de produit détenu par le client, les implications quantitatives restent assez simples. Pas de validation, pas de test spécifique, mais une simple historisation des données achetées aux agences : l’approche standard, qui est en théorie la moins incitative en termes de fonds propres, reste de loin la plus simple à mettre en œuvre.

Il existe naturellement des garde-fous à l’utilisation des informations fournies par les agences de notation. Les contraintes fixées par le régulateur sur les banques pour la mise en œuvre de Bâle II sont nombreuses, et il est naturel que le régulateur vérifie que les informations fournies par les agences répondent à des critères précis avant d’autoriser les banques à les utiliser. En France, les trois principales agences (S&P, Moody’s et Fitch) ainsi que la Banque de France, la Coface et l’agence canadienne qui s’installe en Europe (DBRS), et une agence japonaise ont obtenu leur accréditation d’External Credit Assessment Institution (ECAI) [voir encadré].

En méthode Notations Internes, les notes fournies par les agences ne sont pas utilisées telles quelles, mais peuvent servir au calibrage des probabilités de défaut réglementaires. Selon le texte réglementaire, le calcul des probabilités de défaut à un an associées à chaque note interne doit se faire sur des historiques de données qualifiées mesurées sur au moins deux années consécutives au début de la réforme, et cinq années en régime de croisière. En l’absence d’historiques internes suffisants, ou de qualité appropriée, les banques peuvent utiliser les historiques disponibles auprès des agences de notation par la technique du mapping (en croisant les notes internes et les notes des agences sur un historique commun, il est possible d’identifier une matrice de correspondance dont l’application aux historiques de défaut des agences permet de déduire des probabilités de défaut historiques associées aux notes internes). Les agences de notation ont aussi développé des méthodologies d’estimation des taux de perte en cas de défaut (LGD), que les banques peuvent acheter.

Enfin, dans le cas où les banques ne disposent pas de méthode interne de notation (parce qu’elles n’ont pas les ressources pour l’élaborer, ou parce qu’elles n’ont pas de compétence particulière pour le faire, ou tout simplement parce qu’elles n’ont pas de données sur un marché en particulier), elles peuvent directement acheter une méthode de notation aux agences qui en commercialisent. Ensuite, si elles respectent certaines contraintes réglementaires (appropriation de la méthode par les personnes en charge de la notation dans l’entreprise, application à une partie significative du portefeuille sur un historique suffisant, historisation des notes dans les systèmes et utilisation effective dans les processus d’analyse, d’octroi et de calcul des fonds propres, etc.), elles peuvent utiliser les probabilités de défaut fournies par l’agence de notation en même temps que la méthodologie.

Des données exhaustives, des méthodologies éprouvées

Dès lors, lorsque l’on connaît les contraintes auxquelles les banques sont confrontées, qui sont principalement de deux ordres – informatique d’une part, et statistique de l’autre, la constitution des historiques de notation et de défaut étant les principales contraintes inhérentes à un dispositif Bâle II – les agences de notation disposent pour la réforme Bâle II d’un avantage concurrentiel indéniable, au moins pour le corporate. Elles disposent d’un historique de notes beaucoup plus complet que celui de nombreuses banques françaises, y compris sur les portefeuilles dont le risque de défaut est le plus compliqué à appréhender. Plusieurs agences proposent en effet des méthodologies de notation sur des secteurs très spécifiques (secteur public des États-Unis, hôpitaux publics français, financements aéronautiques, etc.), comprenant peu de clients, et sur lesquels les défauts n’existent pas ou peu dans la pratique… Les méthodologies de notation vendues par les agences de notation sur de tels portefeuilles représentent donc pour les banques disposant d’engagements, mais ni de méthode ni d’historique de données, sur ces marchés le moyen le plus simple, et à coup sûr le plus efficace, de se munir d’un dispositif de notation compatible avec les exigences Bâle II. Les économies de fonds propres attendues suite à l’application de la réforme couvrant largement les investissements.

Si l’on décline cette problématique par marché, néanmoins, on observe que l’apport des agences de notation est assez variable. Sur les marchés dit « retail », c’est-à-dire ce qui relève d’un traitement de masse (aussi bien du point de vue commercial que du point de vue de la gestion du risque), la plus-value des agences de notation reste très marginale. Les particuliers ne disposent (en France) d’aucune notation externe réalisée par les agences, et les professionnels, peu. Les principales notes externes disponibles sont les cotations FIBEN de la Banque de France et @rating de la COFACE, mais elles ne couvrent pas l’ensemble des sociétés ou des affaires personnelles. De surcroît, il est relativement aisé de construire des modèles internes de notation sur ces portefeuilles à partir des informations de comportement de compte, ce qui rend la disponibilité des données externes moins critique : les informations privées dont disposent les banques sur ce type de portefeuille sont plus riches que les informations publiques, et sont facilement intégrables à des modèles statistiques. De surcroît, les crédits de taille importante pour les particuliers, comme les crédits immobiliers, bénéficient généralement de garanties (hypothèque, garanties publiques, privées) inaccessibles aux agences mais connues de la banque originale.

Une couverture incomplète des risques et des portefeuilles

Lorsque la taille grandit, et que l’on arrive sur les marchés dits corporate, les notes externes disponibles sont plus nombreuses, et dès lors que l’on quitte le monde des PME pour arriver dans celui des grandes entreprises (au-delà du milliard d’euros de chiffre d’affaires consolidé, par exemple), la notation externe devient un outil précieux : le nombre de clients diminue, et le nombre de défauts de paiement observé peut chuter (ce qui rend toute modélisation statistique quasi irréalisable). Les notes fournies par les agences de notation, qui étaient par ailleurs utilisées par les analystes crédit bien avant la réforme Bâle II et font partie de leur « capital culturel », deviennent d’une utilité critique.

Certains portefeuilles, pourtant significatifs, sont en revanche assez mal lotis en termes de notation par les agences. Le secteur public français, qui compte plus de 50 000 contreparties (collectivités territoriales et structures intercommunales), ne fait l’objet que d’une quarantaine de notations publiques par les trois principales agences de notation. Certaines notes shadow existent en complément, naturellement, mais pas au point de porter à un nombre conséquent le nombre de notes disponibles sur ce secteur.

La notation interne créée par les banques, qui s’améliore avec le temps et dont les estimateurs sont plus précis à mesure que les bases de données s’enrichissent, et la notation réalisée par les agences sont donc en réalité loin d’être concurrentes dans le nouveau cadre réglementaire. Durant la phase d’initialisation, les apports des agences de notation sont indéniables pour déterminer les premières valeurs des paramètres réglementaires. En régime de croisière, il est légitime de penser que les banques continueront à benchmarker leurs notations internes à celles fournies par les agences de notation, qui dressent le profil d’un consensus de place : la notation externe reste un benchmark connu de tous, qui donne la position moyenne de la place sur une contrepartie. Quant aux portefeuilles à faible taux de défaut, en l’absence de tout organisme européen (consortium interbancaire ou autre) centralisant des données pour les redistribuer aux établissements bancaires, on peut penser que les agences conserveront un avantage concurrentiel sur les banques pour ce qui est de la disponibilité de l’information. Sans parler des méthodologies développées par les agences, qui permettent à toute banque de se doter à moindre coût d’une méthodologie d’évaluation du risque sur un marché qu’elle est déterminée à conquérir.

Un acteur politique influent

N’oublions pas par ailleurs que les agences de notation restent un des meilleurs vecteurs de promotion de la réforme Bâle II auprès des institutions bancaires réticentes, qui utilisent déjà les notes des agences depuis longtemps. En tant que fournisseur d’information soft privilégiée, les agences de notation agissent comme un coordinateur sur le marché de l’évaluation du risque, là où précisément le risque pèse le plus : sur les contreparties corporate. Bâtir et calibrer la réforme Bâle II à l’aide de l’existant fourni par les agences de notation, utilisé et reconnu, était sans doute le meilleur moyen de s’assurer que les banques pourraient la mettre en place sans trop d’appréhension. Au prix, conséquent, du renforcement d’un oligopole auquel les régulateurs nationaux sont dorénavant fortement liés.

Encadré
Notation interne vs notation par les agences : les processus de validation

La reconnaissance des agences de notation en tant qu’External Credit Assessment Institution (ECAI), Organismes Externes d’Evaluation de Crédit (OEEC) en français, est la clef de voûte de l’utilisation des notes externes dans le dispositif Bâle II. Même si l’on sait que les principales agences de notation ont toutes reçu cette accréditation auprès du régulateur français , il convient de revenir sur les critères qui, selon le texte, président à cette reconnaissance.

Les critères vérifiés par le régulateur sont de plusieurs ordres :
• L’objectivité de la méthodologie : celle-ci doit être rigoureuse, documentée, validée et backtestée sur des historiques de données
• L’indépendance : l’évaluation du risque doit être libre de toute influence économique (intéressement) ou politique, ce que des procédures, des audits, un code déontologique et une indépendance financière doivent garantir
• La régularité des évaluations : les notes doivent être revues au moins une fois par an en fonction, entre autres, de l’évolution du contexte économique de l’entité notée
• La transparence : les principes méthodologiques de notation doivent être publics
• La qualité des travaux méthodologiques sous-jacents : de nombreux chiffres , tests, matrices de transition et autres éléments statistiques sont demandés par le régulateur.

Sur le papier, les grands principes imposés aux banques pour leurs modèles de notation interne sont respectés. Néanmoins, les banques qui achètent les notes des agences ne disposent pas du détail de ces informations, ce qui soulève plusieurs problèmes : quelle garantie les banques ont-elles que les contrôles opérés par le régulateur lors de l’accréditation des agences correspondent au niveau d’exigence que la banque fixe elle-même à ses modèles internes, le cas échéant sur recommandation de ce même régulateur ? Le document consultatif publié par la Commission bancaire le 21 septembre 2007 indique que pour « plusieurs de ces organismes, l’évaluation des candidatures a été réalisée conjointement avec d’autres pays européens » : comment être sûr que le niveau d’exigence retenu correspond à celui exigé des banques françaises ? Sur les portefeuilles à faible taux de défaut, par exemple, quelle assurance une banque a-t-elle sur la qualité des probabilités de défaut fournies par l’agence de notation ? Si les défauts sont quasi inexistants, les taux de défaut détaillés sur une quinzaine des notes différentes peuvent difficilement répondre à des tests statistiques tels que ceux qui sont demandés par la réglementation… même s’il faut reconnaître qu’une banque peut difficilement, dans ce cas précis, contredire les chiffres donnés par une agence avec les siens, puisqu’elle n’en dispose pas.
Enfin, si les petites agences font de leur accréditation en tant qu’ECAI un argument commercial majeur, la réputation des grandes agences a-t-elle un impact sur leur reconnaissance en tant qu’ECAI ? Autant de questions qui n’ont pas été soulevées dans le processus d’accréditation récent, mais qui ne manqueraient pas de créer des tensions si les notes devaient montrer des faiblesses : en touchant directement aux fonds propres des banques, ces informations externes de notation concentrent beaucoup d’enjeux.

Autrice

Pierre Georges (1996)

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