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24 avril 2008

Subprime : des ratings sous le regard des utilisateurs

Publié par Bertrand Lamoureux (1998) | N° 32 - Les agences de notation

Variances : Quelles sont les utilisations que vous faites des notations produites par les agences ?
Bertrand Lamoureux : Dans une optique marché, les prix des produits et leurs sensibilités diverses sont les données que nous suivons en priorité. Mais les ratings ne sont jamais très loin avec une cohérence d'ensemble entre les prix, tels que déterminés par le marché, et les niveaux de perte, tels qu'anticipés par les ratings. A noter que classiquement, nos analyses se fondent aussi bien sur les ratings internes que les ratings externes publiés par les agences.

En terme d'utilisation, on peut citer rapidement la mise en place de limite en fonction des ratings, le suivi rapide de la qualité de crédit d'un book de trading, l'identification de produits complexes pour lesquels il existe une certaine "incohérence" entre prix et rating et pour lesquels une analyse plus détaillée est souvent instructive. Enfin, comme l'a dramatiquement souligné l'actualité récente, les ratings peuvent devenir la seule donnée utilisable. En cas de crise de liquidité, le marché n'existe que peu ou plus, et il n’y a donc pas de prix au niveau et aux variations duquel se fier. La seule observation que l'on peut utiliser est alors la note seule donnée publique existante.

Les subprimes, une crise de liquidités non anticipée

V. : La crise du subprime, qui a révélé les faiblesses de la notation des RMBS , a-t-elle changé la donne sur l’utilisation des notes externes par les banques de financement et d’investissement ?
B.L. : La récente crise de confiance dans les agences de notation a, en pratique, surtout porté sur les ratings des subprimes et des structures contenant ces sous-jacents : les ratings des autres produits, en particulier sur les corporate et souverains, ne sont pas affectés par la crise de confiance actuelle. Toutefois, elle met en évidence la problématique d’anticipation et d’adaptation des agences de rating dans un univers évoluant très rapidement.

Sur la crise en elle-même et son déroulement, et même si des signes avant-coureurs avaient pu être perçus dans les prix (un premier hoquet avait eu lieu sur les prix fin 2006, puis une tension s’était fait sentir en février 2007), aucune banque n’aurait pu prévoir l’ampleur de la crise actuelle ni son évolution vers une crise de liquidité.
Concernant les agences, Moody's et S&P ont annoncé courant octobre, soit bien après des chutes significatives des prix, des baisses de rating (downgrade) colossales portant sur des encours d'environ 25 milliard de dollars ; certaines notes étant même passées directement des meilleures valeurs à des valeurs très dégradées. Mais, même si la défiance s'est installée envers les notations que certains trouvent aujourd'hui trop conservatrices, elles gardent un pouvoir de discrimination entre les opérations et restent indispensables dans un marché devenu illiquide. A noter d’ailleurs, pour la petite histoire, que ces tout récents downgrades ont eu un impact significatif sur les prix ; le marché s'ajustant brutalement sur des pertes finales plus importantes qu'anticipées.

V. : Les méthodologies utilisées par les agences de notation font-elles l’objet de critiques régulières ou de demandes d’évolution de la part de leurs clients ?
B.L. : Commençons par quelques exemples. Début 2005, la mise à jour de la méthodologie d'une des agences permettait de construire des structures corporates obtenant le meilleur rating possible et offrant une rémunération bien supérieure aux standards : tout le marché s'est jeté sur cette opportunité et la méthodologie a rapidement évolué.
Autre exemple, Moody's a récemment publié une nouvelle méthodologie de notation des banques sur laquelle elle a du rapidement faire marche arrière suite à la pression des divers intervenants, qui considéraient que la méthodologie ne rendait pas correctement compte de certaines évolutions.
Sans se prononcer sur l’un ou l’autre des cas en particulier, ces deux exemples montrent bien que la pression sur les ratings existe. Le concert de critiques essuyées par les agences sur leur incapacité à avoir anticipé la crise du "subprime" est là pour le rappeler.

La difficile adaptation à un univers très évolutif

Pour s'adapter aux exigences des régulateurs et de leurs clients, les agences ont cherché à améliorer leur réactivité. Il y a environ 6 ans, lorsqu’une breaking news tombait sur une entreprise, aucune mise à jour rapide de sa note agence n’avait lieu, hormis dans les cas des grands scandales. Depuis quelques années, on assiste à des mises en surveillance très rapides des notations, des mises à jour des notations corporate beaucoup plus fréquentes et parfois plus marquées. Quoi qu’il en soit, le fait que les mêmes ratings soient utilisés par les parties prenantes permet, aux différences méthodologiques des agences près, de donner à chaque investisseur son positionnement par rapport au consensus de marché, ce qui est une information en soi. On notera tout de même que les notes, même proches, ne sont pas strictement comparables. Cet aspect, un peu subtil, de la question est éludé dans 99% des cas par les acteurs, mais les probabilités de défauts historiques de ratings similaires par exemple BBB (chez S&P) et Baa2 (chez Moody’s) sont sensiblement différentes…

V : Le débat actuel sur la qualité des notes fournies par agences, et sur leurs éventuels conflits d’intérêt, te semble-t-il de nature à changer la donne en terme d’utilisation des notes ?
BL : On ne remarque pas pour l’instant de changement de comportement vis-à-vis des notes fournies par les agences, hormis une vigilance accrue pour celles des RMBS dont on sait qu’elles sont remises en cause par la crise du "subprime".
L’intérêt économique des agences de notation sur le montage des opérations est indéniable, mais il existe des garanties d’indépendance des analystes des agences vis-à-vis de leurs collègues commerciaux. A défaut d’autres informations disponibles, la situation oligopolistique des agences de notation est un garant de la longévité de l’utilisation des notes qu’elles fournissent. Mais reparlons-en lors de la prochaine tempête, qui ne manquera pas de se produire…

Autrice

Bertrand Lamoureux (1998)

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