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24 avril 2008

Une nouvelle réglementation du secteur : l’exemple américain

Publié par Emmanuel Léonard (2007) | N° 32 - Les agences de notation

Après la crise asiatique, les faillites d’Enron et Worldcom, la crise des subprime a remis les agences de notation sur le devant de la scène financière pour la troisième fois en dix ans. Les autorités américaines, conscientes de la nécessité de réguler ce qui est peu à peu devenu de fait un service public délégué, jouent la carte du pragmatisme, tout en multipliant les signes d’une vigilance accrue sur les méthodes et les pratiques du milieu.

Le Président des États-Unis a promulgué le 29 septembre 2006 une nouvelle réglementation du secteur (le Credit Rating Agency Reform Act of 2006, CRARA) visant à améliorer la concurrence grâce à la clarification de la procédure d’accréditation NRSRO(*) et renforçant l’autorité de supervision de la SEC(*) sur les agences ainsi régulées. Depuis septembre 2007 deux nouvelles agences japonaises sont enregistrées auprès de la SEC, portant à sept le nombre de NRSRO. Ces évolutions témoignent de l’intérêt du régulateur américain pour l’activité des agences. Elles sont l’occasion de revenir à la fois sur les principes qui guident ces nouvelles réglementations et sur les résultats que l’ont peut en attendre.
Si on peut considérer l’information financière publiée par les agences comme un bien public, son financement et son élaboration n’en restent pas moins privés et non dénués de potentiels conflits d’intérêt. Dès lors, on peut s’interroger sur leur capacité à gérer cette ambivalence et à jouer pleinement leur rôle. Les principales critiques politiques adressées aux agences sont :
• Le caractère oligopolistique du secteur qui nuit à la qualité du service.
• Un mode de rémunération présentant des divergences d’intérêts au sein des agences.
• Les conflits d'intérêts liés à place croissante prise par les activités annexes à la notation, qui représentent jusqu’à la moitié du CA dans le cas de S&P (rapports complets d’analyse, calcul de risques, accès à des bases de données, services d’information financière).
• L’absence de regard critique porté sur les comptes présentés par les sociétés.
• Un processus de notation opaque qui présente des faiblesses méthodologiques comme le montre notamment une certaine inconstance des notes rapportée par la Bond Market Association.
• Les pratiques anticoncurrentielles de la part des firmes dominantes.
• Un manque de réactivité à la hausse comme à la baisse des notes.
• Les activités de notation sont protégées de toute sanction par le 1er amendement à la Constitution au titre de la liberté d’expression qui s’applique à la SEC comme au Congrès. Certes, le régulateur dispose d’un pouvoir d’accréditation, cependant la SEC n'a jamais déchu du titre de NRSRO.

Fig.1 Notation d’Enron par trois agences en 2001, année de sa faillite.
Contrairement aux cabinets d’audit, qui ont pour fonction de certifier un état financier présent de l’entreprise, les agences de notation doivent s’appuyer sur cet état pour émettre des informations prospectives. Aussi aucune agence ne prétend-elle être à l’abri d’une erreur d’estimation du risque de crédit, risque qui ne s’exprime qu’en probabilité relative. Bien que la critique des agences s’inscrive dans la mouvance post Enron, on peut considérer pour ces raisons qu’une réglementation aussi restrictive que Sarbanes-Oxley n’est pas transposable au secteur étudié.
Un nouveau cadre juridique conciliant concurrence et régulation
La SEC a publié les modalités d'application du CRARA fin juin 2007 précisant les détails de la procédure d’accréditation ainsi que les règles de contrôle. Le résultat des débats parlementaires est un texte pragmatique qui vise un nouvel équilibre entre concurrence et contrôle, par une clarification de la procédure d’accréditation et un renforcement de l’autorité de la SEC sur les agences enregistrées.
Les éléments du dossier de candidature sont censés refléter la capacité d'une agence à remplir sa mission : ancienneté de l'activité, recommandations des investisseurs institutionnels, ressources financières et procédures visant à prévenir les conflits d'intérêts. Cinq domaines de notation peuvent faire l'objet d'une accréditation.
Par ailleurs, la Commission reçoit le fondement législatif à des pouvoirs réglementaires de contrôle des activités des agences de notation, en termes de surveillance et de sanctions des conflits d’intérêts, des pratiques d’utilisation inappropriée des informations dont elles disposent et des pratiques de marché non concurrentielles, déloyales ou coercitives. Les méthodologies de notation restent libres, mais le Congrès a souhaité donner les moyens au régulateur d’interdire certaines pratiques abusives et de réaliser des investigations ponctuelles en cas de soupçon de fraude, de conflit d’intérêt ou de pratique déloyale anti-concurrentielle chez les agences enregistrées. La SEC a décidé de ne pas interdire formellement ni le notching ni la notation non sollicitée mais se déclare « prête à sanctionner si nécessaire les cas avérés de pratique déloyale ». Ses pouvoirs de sanctions vont de la limitation des activités à la suppression du statut NRSRO en passant la sa suspension.
Les agences jouent la carte de l’autorégulation
Cherchant à éviter qu’on leur impose des contraintes qui pèseraient sur leur rentabilité, elles ont initié, à différents niveaux du processus de notation, des réformes internes importantes depuis 2002.
Cependant, celles-ci relèvent plus souvent d’opérations de communication que de véritables avancées en termes d’indépendance d’analyse ; le modèle n’est pas fondamentalement modifié. Elles mènent un intense travail d'influence visant à dépassionner le débat et participent activement à la réflexion sur l'évolution de la réglementation.
Considérant qu’il n’y a pas de demande suffisante pour une notation payante de qualité et que leur rôle est de délivrer une information gratuite à usage prudentiel, les grandes agences défendent avec vigueur le système actuel de tarification.
Les principaux changements opérés par les agences sont les suivants :
• Des critères supplémentaires de notation (gouvernance, turnover du management, risque juridique, dispositifs de contrôle) s'ajoutent au triptyque principal : le volume des cash-flows, leur volatilité et leur répartition. Bien que la crise récente démontre le contraire, les grandes agences font maintenant une analyse de la liquidité des titres, faisant appel à de multiples niveaux à la modélisation.
• Une évaluation permanente des méthodes à travers des études statistiques et des enquêtes auprès des émetteurs et des utilisateurs.
• Une communication accrue sur la méthodologie afin d'améliorer l'interprétation de leur travail.
• Une plus grande réactivité et des efforts de relations publiques.
• Des codes de bonne conduite inspirés de celui de l'OICV, en pratique relativement peu contraignants et qui n’engagent en rien leur responsabilité juridique.
Quelles améliorations apporter à la régulation actuelle?
La suppression de la barrière réglementaire devrait permettre d’accroître la concurrence dans le secteur. Cependant, l’effet occasionné risque d’être mineur, comme on peut déjà le constater, étant donné le poids de la réputation dans ce métier et la prime dont jouit le premier entré.
L’accréditation de DBRS en 2003 et AM Best en 2005 n'a pas entamé la domination de Moody’s ou S&P. Le processus de construction d’une réputation de fiabilité est très long dans ce secteur où un recul de plusieurs années est nécessaire pour évaluer l’efficacité des méthodologies de notation. Cette situation semble s'accentuer avec le développement des financements structurés associé à la pratique du notching par S&P et Moody's. Par ailleurs, la crainte en cas de "dénaturation" du statut de NRSRO, d’une diminution de la qualité du processus de notation de ces agences de taille intermédiaire sous la pression de la concurrence des nouveaux entrants est une hypothèse plausible.
Pour certains observateurs, il fallait certes renforcer la concurrence interne du secteur de la notation mais aussi la concurrence externe. Après tout, la réduction de l’asymétrie d’information est autant du ressort des entreprises que de celui des agences. Si on veut limiter l'impact des changements de note, il faut informer les marchés au maximum sur les éléments stratégiques de l’entreprise. La cohabitation de la certification prudentielle et de services divers à destination des investisseurs et des émetteurs est préjudiciable au bon fonctionnement des marchés financiers, mais ce n’est qu’en période de crise que les symptômes apparaissent. Les grandes agences n’ont pu empêcher les fraudes dans des affaires telles qu’Enron mais leurs performances historiques de notation s’avèrent très honorables. Ces écarts ne doivent donc pas remettre en cause la validité du système dans son ensemble. Attribuer la responsabilité de cette situation aux agences relève d’un raccourci simpliste qui néglige le fait qu’elles n’ont fait que s’adapter aux évolutions de l’industrie en répondant à ses nouveaux besoins et qu’elles sont en partie le fruit d’une réglementation qui les a rendues incontournables. Alors que d’aucuns attendent d’elles plus qu’elles ne prétendent apporter, il est bon de rappeler qu’une note n’est qu’une estimation à long terme d’une probabilité de défaut qui varie au cours du temps. L’ensemble des agences ainsi que les utilisateurs manifestent une crainte unanime de l’ingérence de la SEC dans les méthodologies, arguant que la situation actuelle met les méthodologies en concurrence au-delà des agences elles-mêmes. Si l’indépendance des agences ne peut être renforcée que marginalement par la concurrence, il est loisible d’envisager de le faire en imposant, en aval, un cadre plus strict à la détention de ses activités.
Vers des notes enfin comparables ?
L'approche libérale du législateur semble être la plus réaliste dans le contexte présent. Notons cependant qu'actuellement la SEC s’assure en amont de la performance d’une agence, se contentant de vérifier que celle-ci a les moyens de délivrer une information de qualité, mais qu’elle ne se préoccupe pas d’évaluer cette qualité.
On peut regretter que la mise en application du CRARA se contente d'imposer la publicité d'indicateurs de performance comme les matrices de transition et les taux de défaut par catégorie sans en assurer la standardisation préalable à la comparaison. En l'état actuel des choses, il est en effet presque impossible d'établir ne serait-ce que l'ébauche d'un classement objectif des agences sur la base des indicateurs qu'elles publient sur leurs sites internet, étant donné que chacune a sa propre échelle de notation, met en place ses propres définitions, sa propre méthodologie d'évaluation et étudie un univers de notes qui lui est caractéristique, sur des périodes qu'elle choisit. Il serait pourtant simple de créer une échelle de notation commune et de définir des ensembles "témoins" visant à assurer l'homogénéité des données servant à réaliser ces études. On pourrait imaginer que la SEC ou les agences elles-mêmes établissent des listes officielles de titres et d'entreprises, par secteur et par aire géographique, servant à calculer des matrices de transition "officielles" sur des périodes fixées qui deviendraient alors effectivement comparables d'une agence à l'autre. Pourquoi le régulateur ne prendrait-il pas lui-même l'initiative de mettre au point une méthodologie complète de comparaison ? Cette volonté de standardisation ne semble pas jusqu'à présent animer les agences qui entretiennent une certaine opacité malgré des efforts, qui frisent la paranoïa, sur le plan des relations publiques. Il serait pourtant tout à leur honneur et dans leur intérêt de prendre une initiative de concertation sur ce thème à l'heure où des voix s'élèvent pour exiger une nouvelle remise à plat de la réglementation. Suite à la crise du subprime, les agences sont à nouveau sous un feu nourri de critiques visant leurs méthodologies accommodantes dans la notation des produits dérivés de crédit. Le 8 novembre dernier, l'IOICV a annoncé la création d'un groupe de travail sur ce thème...

Autrice

Emmanuel Léonard (2007)

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